Intervention de Antoine Karam

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 avril 2016 à 9h32
Accord france-brésil — Transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises - accord transfrontalier - examen du rapport et des textes de la commission

Photo de Antoine KaramAntoine Karam :

Ces deux accords, qui font l'objet de deux projets de loi destinés à être votés conjointement, sont deux accords entre la France et le Brésil, le premier sur les biens de subsistance et le second sur les transports routiers internationaux.

Ces accords visent à accompagner l'ouverture du pont sur le fleuve Oyapock, qui marque la frontière entre la Guyane et le Brésil - le premier en établissant un régime d'exemption fiscal pour les habitants des communes frontalières, le second en fixant les conditions de circulation à la frontière des professionnels du transport routier.

Tout d'abord, quelques éléments sur la situation de la Guyane dans son environnement régional.

On l'oublie souvent, mais c'est avec le Brésil que la France partage, par l'intermédiaire de la Guyane, sa plus longue frontière terrestre : la Guyane est en effet séparée du géant sud-américain par une frontière de 725 km, dont une grande portion est matérialisée par le fleuve Oyapock, d'une longueur d'environ 500 km.

En dépit de cette proximité géographique, la Guyane n'a pas eu de liaison terrestre avec le Brésil pendant longtemps, avant la construction des premières routes. La distance entre Cayenne et Macapa, capitale de l'État brésilien d'Amapa, est de 790 km, dont 200 km de Cayenne à la frontière brésilienne. La circulation des biens et des personnes s'effectue par l'intermédiaire de pirogues qui traversent le fleuve Oyapock au niveau des communes frontalières de Saint-Georges de l'Oyapock en Guyane et d'Oiapoque au Brésil.

Du fait de cette contrainte géographique, les échanges entre la Guyane et le Brésil sont limités. En 2007, plus de 50 % des exportations guyanaises étaient destinées à la France hexagonale, contre 0,76 % vers le Brésil. Le Brésil n'arrivait qu'au 14ème rang des fournisseurs de la Guyane en 2009. Il existe toutefois une économie informelle qui vient tempérer ce constat. La faiblesse des échanges commerciaux entre la Guyane et son voisin brésilien s'explique aussi par la différence des réglementations en vigueur sur les deux territoires. Les normes européennes, qui s'appliquent en Guyane, sont globalement plus strictes que les normes auxquelles sont soumis les produits brésiliens, ce qui représente une entrave à leur pénétration sur le marché guyanais.

Concernant la circulation des personnes, chacun sait que la Guyane est confrontée à une importante immigration clandestine. D'après les chiffres communiqués par le gouvernement, la lutte contre l'immigration irrégulière a conduit en 2014 au démantèlement de 21 filières et à la mise en cause de 72 personnes. Cette forte pression migratoire s'explique par un écart de développement important entre la Guyane et l'État voisin de l'Amapa, le plus pauvre du Brésil - en 2008, le PIB par habitant de la Guyane, de 13 000 euros, était près de 10 fois supérieur à celui de l'État de l'Amapa. Les ressortissants brésiliens émigrent vers la Guyane pour des raisons essentiellement économiques, partant à la recherche d'un travail urbain ou sur les sites d'orpaillage. Pour beaucoup de Brésiliens, la Guyane est le vingt-huitième État du Brésil.

Parallèlement, le long du fleuve, et en particulier, en amont, près de la commune de Camopi, on constate une augmentation importante des violences et règlements de compte liés à l'orpaillage illégal. Des incidents assez graves ont encore eu lieu très récemment. Les orpailleurs clandestins s'organisent, saccagent et pillent les ressources au vu et au su des habitants mais également des autorités qui luttent tant bien que mal contre ce véritable fléau social, sanitaire et environnemental.

En raison de ces difficultés, la Guyane est le seul territoire français pour lequel l'obligation de visas de court séjour pour les Brésiliens n'a pas été levée, par dérogation à l'accord sur la libre circulation des personnes conclu entre le Brésil et l'Union européenne, et alors que les guyanais peuvent entrer librement sur le territoire brésilien. Les autorités brésiliennes réclament la suppression de cette obligation depuis des années. Dans un document que m'a transmis l'ambassade du Brésil exprimant la position du pays par rapport aux deux accords que nous examinons, cette exigence est encore réitérée.

J'en viens maintenant au pont sur l'Oyapock.

Le projet de construction d'un pont pour relier Saint-Georges de l'Oyapock, côté français, et la commune d'Oiapoque, côté brésilien, a été lancé le 25 novembre 1997 par les présidents Jacques Chirac et Fernando Henrique Cardoso. En tant que président du conseil régional de la Guyane, j'avais demandé au président Jacques Chirac de bien vouloir envisager qu'un jour les guyanais puisse emprunter la route transguyanaise, qui démarre au Venezuela, pour se rendre jusqu'en Argentine. Aujourd'hui toutefois, le pont n'est toujours pas ouvert ni inauguré. L'accord franco-brésilien relatif à la construction du pont a été signé en 2005, à l'occasion de la visite du président brésilien Lula en France. Cet accord a été approuvé par le Brésil en 2006 et par la France en 2007. Un appel d'offres a été lancé en 2008 pour une somme d'environ 50 millions d'euros, remporté par un consortium brésilien. La construction du pont s'est achevée en 2011. Une partie de la responsabilité relève des Brésiliens, qui n'ont pas mis en place d'infrastructures pour accueillir la police aux frontières, la douane et les services sanitaires. Sur les 590 km de route pour rejoindre Macapa, il reste environ 150 km à bitumer. Entre Oiapoque et Macapa, il y a pratiquement 10 heures à 12 heures de route et même davantage en période de saison des pluies. Ce pont, achevé depuis cinq ans, est devenu la risée de la presse en Guyane et au Brésil. Il commence en effet à se dégrader et des travaux de réfection seront nécessaires.

Pour vous faire une idée, il s'agit d'un pont à haubans de 378 mètres de longueur, comportant deux voies de 3,50 m de largeur et deux voies mixtes séparées pour piétons et cyclistes. Le tirant d'air minimal sous le pont est de 15 m, et les deux pylônes culminent à 83 m de hauteur.

Pourquoi un ouvrage aussi monumental entre deux communes isolées au coeur de l'Amazonie ? Le pont vise à faciliter les échanges avec le Brésil et à ouvrir la Guyane au reste du continent sud-américain. Il prend place en effet dans un réseau routier en projet, celui d'une « Transguyanaise » qui relierait Caracas à Macapa puis, au-delà, à Buenos Aires. Le pont est ainsi susceptible de favoriser le désenclavement de la Guyane en facilitant les échanges transfrontaliers. À l'évidence, il revêt aussi une signification politique : il constitue un « trait d'union » visible entre la France et le Brésil et matérialise ainsi le rapprochement entre nos deux pays.

Comme je l'ai déjà évoqué, le retard pris dans l'inauguration du pont est pour partie dû au fait que les accords nécessaires à son ouverture ne sont pas encore entrés en vigueur. Ce sont précisément ces accords que nous examinons aujourd'hui.

Je commencerai par présenter l'accord sur les biens de subsistance.

Cet accord, qui instaure un régime d'exonération fiscale pour l'acquisition de biens dits « de subsistance » effectués par les habitants des communes frontalières a été signé le 30 juillet 2014. Il fait suite à la signature d'un autre accord, conclu en avril 2014 sous forme d'échange de lettres, qui a institué un statut spécial de « transfrontalier » pour les habitants de Saint-Georges et d'Oiapoque. Cet accord est déjà entré en vigueur - il ne nécessitait pas d'approbation parlementaire préalable. Il dispense de l'obligation de visa les ressortissants des communes frontalières pour des séjours d'une durée inférieure à 72 heures dans la limite de ces deux communes. L'accord sur les biens de subsistance, que nous examinons aujourd'hui, vient compléter ce dispositif en exonérant les bénéficiaires du statut de transfrontalier de certains droits et taxes applicables aux produits acquis sur le territoire de l'État voisin.

Ces accords viennent formaliser les relations qui existent depuis longtemps entre Saint-Georges de l'Oyapock (4000 habitants) et Oiapoque (30 000 habitants). De nombreuses familles sont en effet dispersées sur les deux rives. Tous les jours, des enfants brésiliens étudiant au collège français traversent la frontière, de même que des enseignants français qui habitent sur la rive brésilienne.

L'accord cible spécifiquement les produits de consommation courante que les frontaliers sont le plus susceptibles d'acquérir lorsqu'ils se rendent sur l'autre rive du fleuve : nourriture, vêtements, chaussures, revues, produits d'hygiène et d'entretien. A l'inverse, alcools et tabac sont exclus du dispositif. En outre, l'accord limite le régime d'exemption aux biens faisant l'objet d'un usage courant et familial, à l'exclusion des marchandises importées à des fins de revente.

Cet accord devrait permettre d'intensifier les échanges entre les deux communes frontalières, avec pour effet d'engendrer un surplus d'activité bienvenu pour les commerces de ces deux communes. Les conséquences financières devraient par ailleurs être faibles dans la mesure où les franchises ne s'appliquent qu'aux particuliers et les produits fortement taxés, comme les alcools et le tabac, ne sont pas concernés. Le manque à gagner est évalué par les douanes à 12 000 euros par an maximum.

Le deuxième accord est relatif aux transports routiers internationaux.

Il vise à accompagner l'ouverture du pont sur l'Oyapock en fixant les conditions d'entrée et de circulation des professionnels du transport sur le territoire des deux États parties. Il ne concerne que les professionnels du transport de personnes et de marchandises, à l'exclusion des particuliers, soumis à des règles de circulation différentes.

Il s'agit d'un accord très technique. Je ne rentrerai pas dans le détail mais je me limiterai aux points les plus importants. Il ressort des principales dispositions de l'accord que tous les transports routiers internationaux effectués via le pont devront être réalisés sous couvert d'autorisations et sur la base de la réciprocité. S'agissant du transport de marchandises, les autorisations seront contingentées : leur nombre sera fixé annuellement d'un commun accord entre les Parties dans le cadre d'une commission mixte transfrontalière chargée de la mise en oeuvre de l'accord. Les transports devront en outre s'effectuer dans le respect des réglementations nationales - les transports effectués sur le territoire de la Guyane seront donc soumis à la réglementation européenne.

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