Les attentes des acteurs sont fortes, complexes, variées et parfois contradictoires. L'ouverture des fouilles à la concurrence en 2003, le transfert de la maîtrise d'ouvrage, les dysfonctionnements des outils financiers et fiscaux, la crise économique ont exacerbé des tensions déjà marquées. À la suite de ces auditions, j'ai proposé un cadre fortifié, assaini et apaisé : reconstruire une politique claire et coordonnée de l'archéologie préventive ; garantir un système financier fiable et efficace ; redéfinir les missions et les implications de chaque acteur pour la recherche et la conservation des données archéologiques ; donner des moyens pour développer l'archéologie en mer ; faciliter la mobilité interinstitutionnelle des archéologues. Certaines de nos propositions furent reprises par le ministère dans l'article 20 du projet de loi, dont l'objectif est de rassembler les acteurs de l'archéologie autour d'un projet et de valeurs communes, et non de privilégier les uns au détriment des autres. Cessons de nous disputer. C'est un équilibre sobre et partagé entre les collectivités, l'Inrap, les opérateurs privés qui ont déjà l'habitude de travailler ensemble, même si parfois un fossé sépare les discours de la réalité. Chacun recherche cet équilibre. La diversité du secteur est une force incroyable qui doit redonner à cette discipline scientifique tout son sens au service de la mémoire collective et de l'aménagement cohérent des territoires. Pour cela, le rôle de l'État est primordial : les ministères chargés de la recherche et de la culture, les organes scientifiques de contrôle et d'accompagnement doivent être au centre du dispositif : l'État doit conserver la maîtrise d'ouvrage scientifique pour garantir la qualité des opérations, et conserver les mêmes exigences - scientifiques, sociales, financières, administratives - pour tous les opérateurs, sans exception. Exiger n'est pas complexifier.
Je me réjouis de la reconnaissance par la loi de la forte implication des collectivités locales et de la place qui leur a été donnée par les sénateurs au sein du Conseil national de recherche archéologique (CNRA), que l'Assemblée nationale a confirmée. Nous proposons également de renommer les Commissions interrégionales de la recherche archéologique (Cira) en commissions territoriales de l'archéologie pour tenir compte de la réforme territoriale et de confier l'entière responsabilité de l'archéologie sous-marine et subaquatique à l'Inrap.
Mme Sophie Moati, présidente de la 3ème chambre de la Cour des comptes. - La Cour des comptes s'intéresse régulièrement au secteur de l'archéologie préventive, et l'a contrôlé au travers du prisme de l'Inrap en 2012, premier contrôle de cet établissement public depuis sa création en 2002, dix ans marqués également par le changement de la loi de 2003 ouvrant le secteur à la concurrence.
La Cour recommande une plus grande cohérence de l'action et l'amélioration des outils de gestion. Certaines propositions comme la stabilisation des modalités financières, le rôle de la recherche, le cadre concurrentiel et l'exercice de la tutelle interpellent directement l'État. En réponse au référé que nous avons adressé en juin 2013 aux ministres chargés de la culture et de la recherche, ceux-ci ont pris certains engagements. Mi 2015, nous avons réalisé un contrôle de suivi des recommandations de la Cour des comptes, qui a été inséré dans le rapport public annuel publié en 2016. La démarche de la Cour des comptes et son contrôle sont très différents des autres rapports existants, que ce soit le livre blanc coordonné par M. Garcia ou le rapport de Mme Faure, qui embrassent le secteur dans son ensemble. Notre travail d'instruction a été engagé bien avant le dépôt du projet de loi devant l'Assemblée nationale et s'est conclu alors que les débats en première lecture étaient encore en cours. Notre rapport public annuel reprend ainsi le texte initial et les réponses du ministère. Ces observations concernent aussi bien l'État que l'Inrap.
L'État connaît des retards dans la définition d'une politique publique de l'archéologie préventive. Dans son rôle de prescripteur des diagnostics et des fouilles préventives et de régulateur du secteur, le ministère n'a pas pris certaines mesures nécessaires, comme l'édiction d'une programmation nationale de la recherche archéologique, l'harmonisation des politiques de prescription des diagnostics et des fouilles conduites par les directions régionales des affaires culturelles (Drac), ou encore l'édiction de garde-fous pour garantir la liberté de concurrence des fouilles préventives. La Cour a donc renouvelé ses recommandations.
Quelques dispositions ont été intégrées dans le projet de loi, mais ne seront efficaces que si les services de l'État sont plus performants dans leur rôle de contrôle et de sanction. Nous avons constaté une réforme tardive du financement des activités de service public face à une situation dégradée de l'établissement et l'aggravation récente des difficultés de la redevance d'archéologie préventive, qui existaient depuis les années 2000 : le niveau de perception est faible par rapport au produit attendu. L'État a donc pris de nombreuses mesures d'urgence aux résultats limités, qui ont parfois engendré des difficultés de gestion pour l'établissement et les collectivités territoriales dotées d'un service d'archéologie préventive.
La Cour a pris acte du changement du modèle de financement de l'archéologie préventive décidé dans la loi de finances initiale pour 2016 : une subvention du ministère de la culture s'est substituée à l'affectation d'une taxe. Cela stabilisera le financement du secteur, mais la réussite dépendra des conditions de mise en oeuvre.
L'Inrap ne s'est pas suffisamment adapté aux évolutions du secteur : le ralentissement de l'activité économique depuis 2008 et la pause des grands travaux ont réduit l'activité d'archéologie préventive. Malgré de nouveaux outils de pilotage et de gestion plus performants, ses positions dans le secteur des fouilles préventives se dégradent, par rapport aux structures privées. L'Inrap ne peut plus s'exonérer de réformes plus ambitieuses préconisées lors du contrôle : les outils de prévision de l'activité doivent être fiabilisés ; le régime indemnitaire et de remboursement des frais de déplacement doit être normalisé ; il faut réduire les coûts de structure pour redonner de la productivité ; revoir la carte des implantations de l'Inrap, établir une gestion plus dynamique des ressources humaines ; ajuster les effectifs au niveau réel de l'activité, prendre en compte le vieillissement des effectifs et la dégradation du temps de travail consacré aux activités opérationnelles.
Dès lors que le secteur des fouilles est ouvert à la concurrence, des distorsions sont inévitables en raison de la diversité des acteurs, même si elles doivent être contenues. L'Inrap fournit une assistance aux missions de service public financées par l'État - via la redevance d'archéologie préventive (RAP) et désormais la dotation budgétaire - et a des activités commerciales. Il doit assurer une étanchéité comptable entre ces deux missions et parfaire sa comptabilité analytique, afin d'éviter que le financement étatique constitue une aide indirecte aux activités commerciales. Selon la Cour, le financement des diagnostics doit reposer sur des critères objectifs ; soit sur la base de barèmes préétablis tenant compte de la diversité des opérations, soit sur la base d'engagements précis et concrets de l'Inrap en termes de maîtrise du coût de réalisation des diagnostics.
Le montant de la subvention pour charge de service public instaurée en 2015 par l'État doit reposer sur des bases de calcul précises et correctement justifiées. L'État doit prendre des mesures pour éviter des distorsions de concurrence envers les opérateurs privés - contrôle renforcé sur les projets scientifiques d'intervention ou crédit d'impôt recherche. Il s'y est engagé après le référé de 2013. Le précédent contrôle était centré sur l'Inrap, même si nous en avons profité pour établir des recommandations plus générales sur l'impact sur le fonctionnement concurrentiel.
Récemment, des mesures ont été prises avec retard pour harmoniser la politique des services régionaux d'archéologique et les dispositions du projet de loi précité inciteront la Cour des comptes à réaliser un contrôle d'ensemble de la politique d'archéologie préventive, dans une démarche plus évaluative, avec toutes les parties prenantes.