Intervention de Vincent Hincker

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 27 avril 2016 à 10h05
Archéologie préventive — Audition conjointe

Vincent Hincker, représentant de l'Association nationale pour l'archéologie de collectivité territoriale (Anact) :

L'Anact, association nationale professionnelle, réunit les archéologues des services archéologiques des collectivités territoriales en réseau et assure une expertise auprès des élus et des associations d'élus - Association des maires de France (AMF) et Association des départements de France (ADF), notamment. Archéologue passionné, je travaille au service archéologique du Calvados. J'ai été membre du CNRA durant quatre ans et d'une Cira durant six ans et ai un certain recul sur la qualité scientifique des opérations. Soixante services territoriaux sont agréés, dans lesquels tous les archéologues ne font pas nécessairement d'archéologie préventive : sont concernés un groupement interdépartemental - le pôle archéologique interrhénan, 31 départements, dix communautés de communes, deux métropoles et 21 villes. Les services agréés des collectivités territoriales réalisent environ 20 % des diagnostics et 20 % des fouilles. L'archéologie préventive est une compétence facultative des collectivités, un choix d'investissement pour concilier sauvegarde du patrimoine et aménagement du territoire tout en tenant compte d'enjeux complexes - économiques, sociaux, patrimoniaux, territoriaux....

Les collectivités sont aussi des aménageurs, et les seuls acteurs occupant toute la chaîne opératoire de l'archéologie, de l'élaboration des documents d'urbanisme en amont au musée et autres centres d'interprétation valorisant les collectes et les rapports de fouilles. Nous travaillons depuis longtemps sur ce projet de loi, prévu par le ministère depuis huit ans. Les lois de 2001 et 2003, assez récentes, commencent juste à être comprises et connues par les aménageurs. Arrêtons de changer tout le temps et d'ajouter de la complexité : cela ne contribue pas à l'acceptabilité de l'archéologie. La loi méritait certes un toilettage : nous nous sommes prononcés pour un renforcement du contrôle scientifique et technique de l'État. La procédure d'évaluation des projets scientifiques d'intervention doit intervenir en amont et non en aval de la signature du contrat. Oui à un toilettage, mais pas dans le sens de ce projet de loi, finalisé sans concertation avec les élus ou leurs associations : sous couvert de régulation, n'assiste-t-on pas à une tentative inquiétante de recentralisation à tous les niveaux ? Le contrôle est effectué sur l'économie et l'administration. L'État devra veiller à la cohérence et au bon fonctionnement du service public de l'archéologique. Le rapport Faure évoquait un numerus clausus, un chiffre plafond des opérateurs ; l'État pourrait alors refuser un agrément ou une extension d'agrément si le secteur est en déficit économique. Il déciderait ainsi en dernier ressort. Nous nous étions félicités de la séparation entre habilitation et agrément, qui reconnaissait la place des collectivités. Mais cette différenciation se solde par un renforcement des conditions d'agrément. Auparavant, nous remettions les données tous les cinq ans pour évaluation par le CNRA. Désormais, nous remettrons toujours ces données, mais elles seront directement présentées à l'État. Par ailleurs, la collectivité sera soumise à deux nouvelles exigences : d'abord, elle devra signer une convention avec l'État pour pouvoir opérer dans les domaines de la valorisation et de l'exploitation scientifique des résultats de l'archéologie préventive. Le livre blanc avait montré l'implication des collectivités locales. Il faut rappeler que 60 % des services archéologiques agréés existent depuis 1982, soit bien avant la loi de 2001. Pourtant, notre implication dans la recherche et la valorisation de l'archéologie n'a été reconnue ni dans la loi de 2001, ni dans celle de 2003, alors que les collectivités territoriales financent et portent 70 à 80 % des actions réalisées lors des journées archéologiques nationales. L'obligation de signer une convention avec l'État est vécue comme une ingérence dans la manière dont les collectivités souhaitent exploiter scientifiquement ou valoriser les résultats de l'archéologie préventive.

Autre nouvelle contrainte, l'enfermement territorial : le projet de loi nous empêche d'intervenir dans des fouilles extérieures au territoire de la collectivité qui dispose d'un service archéologique, freinant nos capacités d'intervention, alors que les lois NOTRe et Maptam poussent les collectivités territoriales à la mutualisation et au travail commun. Nous le regrettons.

En tant qu'aménageurs, les collectivités territoriales font remarquer que la maîtrise d'ouvrage scientifique, notion qui n'existe pas en droit, pose un problème juridique. Les petits aménageurs ne comprendront pas l'articulation entre leurs prérogatives de maître d'ouvrage d'archéologie préventive et celles de maître d'ouvrage scientifique. Ils prendront peur et s'en remettront à l'avis de l'État au lieu de faire valoir leurs droits.

L'évaluation des offres par les services régionaux d'archéologie n'est pas encadrée dans le temps par le projet de loi, alors que ce contrôle va entraîner de nouveaux délais, de nouvelles contraintes.

Le recours obligatoire à l'Inrap en cas de défaillance de l'opérateur pose problème puisque les collectivités territoriales n'ont pas la possibilité de contester les conditions qu'imposera cet établissement en matière de prix ou de délai, alors même que l'Inrap reçoit déjà une subvention pour charge de service public pour se substituer à des opérateurs défaillants.

Un décret portant sur les diagnostics a été publié en août 2015. Jusqu'à présent, une collectivité territoriale dispose d'un mois pour décider si elle prend en charge les diagnostics dans leur totalité ou au cas par cas. Le projet de loi réduit ce délai à sept jours, ce qui n'est pas raisonnable. À cela s'ajoute une perte complète de visibilité du financement du diagnostic, due à la budgétarisation de la RAP. Jusqu'à présent, l'existence d'une taxe affectée permettait de décider de la réalisation d'un diagnostic en toute connaissance de cause. Le projet de loi prévoit une subvention potentielle de dix millions d'euros - on nous dit que ce serait mieux puisque, pendant deux ans, les collectivités territoriales n'ont rien reçu au titre de la RAP en raison d'un problème de logiciel... Cette somme étant maximale, plus une collectivité territoriale réalisera de diagnostics, moins elle recevra de subventions pour chacun d'entre eux. On met ainsi des bâtons dans les roues des services des collectivités territoriales.

Le pire est à venir. Certains opérateurs d'archéologie préventive territoriale disparaîtront, et les problèmes de délais et de coûts qu'on a connus avant la loi de 2003 réapparaîtront.

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