Intervention de Gérard César

Commission des affaires économiques — Réunion du 27 avril 2016 à 10h00
Maintien de la réglementation viticole — Communication

Photo de Gérard CésarGérard César :

Monsieur le Président, mes chers collègues, la commission des affaires européennes a adopté avec quelques modifications le 17 mars dernier la proposition de résolution européenne présentée par notre collègue Roland Courteau et plusieurs de ses collègues, en application de l'article 73 quinquies du règlement, relative au maintien de la règlementation viticole. Notre commission disposait d'un délai d'un mois pour examiner cette proposition de résolution. En raison de la suspension des travaux parlementaires, nous n'avons pu le faire. En conséquence, cette proposition de résolution est devenue résolution du Sénat hier mardi 26 avril. Toutefois, il nous a semblé important à Roland Courteau et à moi-même que nous puissions faire état devant vous de son contenu.

Avant de vous présenter l'objet de cette résolution, je souhaiterais rappeler quelques éléments de contexte. Le secteur viticole est soumis à une règlementation spécifique établie en 2008 par le règlement du Conseil portant organisation du marché vitivinicole dit « OCM vins ». Ce règlement a depuis été intégré à droit constant dans l'OCM unique. Plusieurs règlements de la Commission viennent compléter ce texte. Ils portent sur le régime des plantations, sur les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées, sur les pratiques oenologiques, ou encore sur l'étiquetage.

Une première réforme importante du secteur a concerné le régime d'autorisation des plantations de vignes. Certains se souviennent que l'adoption de ce nouveau régime a fait l'objet d'un âpre combat. En effet, en 2008, la Commission européenne avait prévu la libéralisation des droits de plantation à l'horizon 2016 dans le but d'améliorer la compétitivité dans ce secteur mais aussi de développer la production européenne dans un contexte d'augmentation de la demande mondiale de vin. Après une forte mobilisation de la quasi-totalité des États membres producteurs de vins, et notamment une forte mobilisation du Sénat, la Commission européenne a réexaminé la situation en 2012 et une solution de compromis a finalement été trouvée en faveur d'une libéralisation encadrée. Le système retenu est le suivant : des autorisations de plantations de vignes sont octroyées gratuitement ; elles ne sont pas cessibles et leur nombre ne pourra pas dépasser 1 % de la superficie totale du vignoble français par an. Ce nouveau régime d'autorisation est entré en vigueur le 1er janvier dernier.

La seconde réforme importante, qui fait l'objet de la résolution dont nous discutons ce matin, concerne la mise en conformité des textes applicables en matière de règlementation viticole avec le Traité de Lisbonne. C'est ce qu'on appelle la « lisbonisation » des textes. En effet, le Traité de Lisbonne a modifié le régime des actes d'application en distinguant les actes délégués et les actes d'exécution. Les actes délégués sont des actes non législatifs de la Commission européenne qui ne peuvent porter que sur des éléments non essentiels d'un acte législatif. Les actes d'exécution permettent à la Commission d'harmoniser les conditions d'exécution au sein des États membres. Je tiens à préciser que cette mise aux normes n'est ni obligatoire, ni urgente, ni susceptible d'entraîner une quelconque caducité des textes actuellement applicables si elle n'était pas réalisée.

La Commission européenne a soumis aux experts des États membres et aux professionnels du monde viticole des notes informelles qu'on appelle dans le jargon européen des « non paper ». Ces notes circulent et nous inquiètent fortement. Elles portent ainsi sur les procédures d'enregistrement des AOP/IGP et de modification des cahiers des charges ainsi que sur les normes de commercialisation, soit l'étiquetage, les pratiques oenologiques et les contrôles. Les modifications proposées auraient vocation à remplacer les dispositions de quatre règlements européens, à savoir le règlement qui prévoit les modalités d'application sur la politique de qualité pour les vins (AOP- IGP), l'étiquetage et la présentation des produits et les mentions traditionnelles, le règlement relatif au casier viticole, aux déclarations obligatoires, documents d'accompagnements et registres, le règlement concernant les programmes d'aide et les contrôles dans le secteur vitivinicole et, enfin le règlement sur les pratiques oenologiques.

À la lecture de ces documents, les professionnels, précédemment échaudés par la réforme des droits de plantation, ont immédiatement alerté les parlementaires et le ministre de l'agriculture. En effet, ils craignent que sous couvert de simplification des textes, il ne s'agisse en réalité une nouvelle fois de remettre en cause la règlementation vitivinicole afin de franchir un pas supplémentaire vers la libéralisation de ce secteur.

Le règlement du Sénat nous permettant de nous saisir de « tout document émanant d'une institution de l'Union européenne », c'est la raison pour laquelle les auteurs de la proposition de résolution ont pu réagir très en amont du processus. La Commission des affaires européennes du Sénat m'a désigné avec notre collègue Claude Haut, co-rapporteur de la proposition de résolution déposée par notre collègue Roland Courteau et ses collègues.

Quelques modifications ont été apportées mais elles ne remettent pas en cause sur le fond les dispositions de la proposition de résolution. Avec cette résolution, le Sénat rappelle deux points essentiels : premièrement, la nécessité de maintenir la spécificité du secteur vitivinicole et de le protéger d'une libéralisation brutale sans protection et, deuxièmement, la nécessité de veiller à ce que les appellations d'origine et les indications géographiques soient protégées contre toute utilisation visant à profiter abusivement de la réputation associée aux produits répondant aux exigences correspondantes et à protéger le consommateur contre toute adoption de nouvelles règles qui permettrait cette confusion. C'est notre sujet majeur d'inquiétude. Il est fondamental de protéger notre système AOP/IGP.

Alors que les questions portant sur l'étiquetage, les indications géographiques et les mentions traditionnelles qui forment un ensemble indissociable sont actuellement traitées dans un même document, la proposition de la Commission européenne consisterait au contraire à éclater ces dispositions dans des textes séparés. Il y aurait ainsi un règlement sur les normes de commercialisation qui traiterait notamment des questions d'étiquetage et un règlement sur les indications géographiques et les appellations d'origine. Or, non seulement cet éclatement des textes conduirait à une perte réelle de lisibilité, mais il reviendrait à nier la spécificité de la règlementation viticole, qui permet à la fois de garantir la bonne information du consommateur et de constituer en outre un véritable outil de gestion du marché. C'est pourquoi la résolution précise, d'une part, que le Sénat recommande au Gouvernement de veiller à ce que le processus engagé par la Commission européenne, sous couvert de simplification, ne disperse pas les dispositions applicables au secteur vitivinicole dans divers textes européens. Elle indique, d'autre part, qu'il souhaite que les dispositions relatives à l'étiquetage, les mentions traditionnelles et les indications géographiques continuent à être réunies dans un seul et même texte.

La résolution affirme également le souhait du Sénat de maintenir des outils de segmentation du marché permettant la distinction stricte entre des vins bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée et des vins sans indication géographique.

En outre, la Commission des affaires européennes a estimé important de rappeler l'utilité des mentions traditionnelles comme les « château », « clos » ou « abbaye » qui sont réservées aux vins sous AOP et IG et qui ne sont pas mentionnées dans les avant-projets de la Commission européenne. La résolution précise en conséquence que les outils de valorisation des indications géographiques, notamment par le biais des règles d'utilisation des mentions traditionnelles sont nécessaires au rayonnement du secteur viticole.

Enfin, la résolution rappelle utilement la nécessité de maintenir l'interdiction, pour des vins sans indication géographique, de mentionner une origine géographique plus petite que celle de l'État membre, interdiction qui ne figure pas dans les avant-projets de la Commission européenne.

Au moment de l'examen de la proposition de résolution, la Commission européenne semblait - j'insiste sur ce terme - avoir reculé devant la mobilisation des États membres concernés. En effet, la direction générale Agriculture (DG Agri) a indiqué devant le Parlement européen qu'elle proposerait au commissaire européen « de retirer ce texte et de recommencer un nouveau processus de discussion ». Puis, lors d'une réunion de l'intergroupe Vin au Parlement européen le 8 mars dernier, le Commissaire européen à l'agriculture Phil Hogan a annoncé que la Commission allait revoir ses méthodes et indiqué le report de l'examen de ces textes à l'automne.

La Commission des affaires européennes du Sénat a néanmoins souhaité affirmer une position de fermeté, dans la mesure où la Commission européenne a indiqué qu'elle allait cependant poursuivre sa réflexion et que le chantier de la simplification des textes vitivinicoles serait mené à bien. Cette proposition de résolution européenne, adoptée à l'unanimité, est devenue résolution du Sénat hier. Une proposition de résolution allant dans le même sens est en cours d'examen à l'Assemblée nationale.

Depuis, la situation a de nouveau évolué. Nous avons appris avant la suspension des travaux parlementaires que la Commission européenne avait convoqué le 20 avril dernier une réunion du groupe d'experts, à laquelle participaient des représentants du ministère de l'agriculture, pour leur soumettre des avant-projets de textes portant uniquement sur les AOP et les IG, les avant-projets sur les normes de commercialisation n'ayant pas été examinés lors de cette réunion.

Cette procédure, qui contredit les propos de Phil Hogan devant les parlementaires européens, est particulièrement regrettable. Le bureau « Vin et autres boissons » du ministère de l'agriculture m'a indiqué avoir fait part lors de cette réunion de ses réserves quant à la procédure suivie par la Commission européenne et m'a assuré rester particulièrement vigilant sur ces textes. Je vous invite mes chers collègues à être également extrêmement attentifs dans les semaines et les mois qui viennent sur ces questions. En effet, nous serons très certainement conduits à nous saisir de nouveau de ces sujets. L'expérience de la bataille des droits de plantation et de la réalisation des vins rosés à partir d'un mélange de vin rouge et de vin blanc nous incite à rester mobilisés pour la défense de la viticulture européenne et française. Je vous remercie.

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