Dans la négociation se jouaient deux éléments : l'engagement et la confiance.
L'engagement, c'est celui des partenaires sociaux, acteurs intermédiaires dans un pays qui s'en méfie, à continuer à porter une part de l'intérêt général. En effet, la gestion d'un régime obligatoire de droit commun, que sont les régimes Agirc-Arrco, participe de l'intérêt général. L'enjeu de la négociation était donc de montrer que les partenaires sociaux avaient à coeur de continuer à porter cet intérêt général, sans s'en remettre à la puissance publique.
La confiance ensuite, en particulier envers les jeunes générations qui ont une forte interrogation quant à l'avenir du système de retraite par répartition. L'accord permet de restaurer la confiance, au-delà des simples déclarations d'intentions.
Cet accord est une bonne nouvelle pour notre pays.
L'équilibre financier des régimes était en danger. Je veux d'abord rappeler que si l'Agirc et l'Arrco connaissent des déficits depuis quelques années, ces régimes n'ont pas un euro de dette. Cette situation est le résultat de la gestion paritaire qui, pour des raisons tant techniques que politiques, avait permis de constituer des réserves financières dont le montant cumulé avoisine aujourd'hui les 60 milliards d'euros. L'objectif de ces réserves, accumulées pendant une dizaine d'année au cours d'une période économiquement plus favorable, était de pouvoir les mobiliser afin de faire face aux déficits qui allaient forcément survenir dans le futur, comme le prévoyaient les projections démographiques et économiques. Les déficits actuels sont couverts par les réserves financières, comme continueront de l'être les déficits à venir.
L'une des caractéristiques de la négociation a été la prudence dans les chiffrages retenus. Si rien n'avait été fait, les régimes complémentaires auraient enregistré un déficit d'un peu plus de 8 milliards d'euros en 2020. De même, les pensions de l'Agirc auraient également pu être baissées de 11 % en 2018. L'épuisement des réserves financières de l'Agirc était en effet programmé dès 2018, alors que celui des réserves de l'Arrco n'aurait dû intervenir qu'à l'horizon 2030.
D'où l'urgence du calendrier qui s'est tout de même étalé tout au long de l'année 2015. Ce calendrier a été précédé d'un certain nombre de travaux qui ont permis aux partenaires sociaux de s'approprier l'ensemble des leviers à leur disposition. Plusieurs leviers de pilotage ont été mobilisés au cours de la négociation. Ils concernent à la fois le montant des prestations et des cotisations, l'âge de départ à la retraite et la durée de cotisation.
Le point commun de ces mesures est d'être à impact rapide. En matière de retraite, 2020 c'est demain, et dans ce domaine les dépenses sont assez certaines car les équilibres se font notamment sur la base d'éléments liés à la démographie. Les recettes peuvent en revanche connaitre des aléas liés à la situation économique.
L'accord du 30 octobre combine à la fois des mesures paramétriques, applicables dès le 1er janvier 2016 et des mesures systémiques, qui entreront en vigueur en 2019.
J'aborderai tout d'abord les mesures paramétriques applicables dès 2016. L'accord prévoit la poursuite, pendant trois ans, de la sous-indexation des pensions de 1 point par rapport au taux d'inflation. Cette mesure, qui était déjà appliquée depuis l'accord du 13 mars 2013, est accompagnée d'une « clause plancher » permettant le gel des pensions en cas d'inflation négative ou inférieure à 1 %. Elle devrait permettre de générer 1,3 milliard d'euros d'économie en 2017, 2,1 milliards en 2020 et 2,6 milliards en 2030.
Le décalage de la date de revalorisation des retraites complémentaires du 1er avril au 1er novembre a également été instauré. Cette date n'avait pas été reculée au moment où le Gouvernement décidait de le faire au 1er octobre pour les régimes de base. La mesure devrait permettre de rapporter 300 millions d'euros dès 2017 avec une montée en charge progressive pour atteindre 1,5 milliard d'euros en 2015.
L'accord prévoit ensuite une augmentation du prix d'achat du point Agirc-Arrco qui va peser sur les actifs en diminuant légèrement le rendement du point. Il devrait passer entre 2016 et 2019 de 6,56 % à 6 %. C'est une montée en charge très progressive et qui ne concerne que l'acquisition des nouveaux points.
Le salaire de référence sera désormais fixé en fin d'année pour pouvoir être appliqué au premier janvier de l'année suivante. Les partenaires sociaux ont voulu réaffirmer qu'un régime de retraite par répartition dépendait de l'évolution de la masse salariale. La question de l'indexation sur les prix ou sur la masse salariale est un long débat. Dans les modalités de pilotage retenues par les partenaires sociaux, la référence au salaire moyen permet de rappeler l'ancrage sur l'évolution de la masse salariale.
D'autres mesures seront applicables à partir de l'année 2016, parmi lesquelles l'extension de la cotisation à destination de l'Association pour la gestion du fonds de financement (AGFF) aux salaires équivalents à la tranche C de l'Agirc, soit les salaires compris entre 12 680 et 25 360 euros. Il s'agit d'un mécanisme qui donne la possibilité pour les hautes rémunérations de cotiser, ce qui leur permet en cas de départ en retraite avant 65 ans, et demain 67 ans, de ne pas subir d'abattement sur leur pension.
De même, l'accord prévoit le maintien de la contribution exceptionnelle et temporaire à 0,35 % ainsi que celui du pourcentage d'appel des cotisations à 125 % jusqu'en 2018. Ce dernier augmentera de deux points à partir de 2019.
Un effort sur la dotation de gestion sera également accompli. Cette dotation est en baisse sur la période 2016-2018, le montant constaté au titre de l'exercice précédent, en euros constants étant de -4 %. Une baisse annuelle de 2 % de la dotation d'action sociale a aussi été décidée.
Je veux également citer la réaffirmation du souhait, formulé par les partenaires sociaux, de mettre en place des échanges d'information entre l'Acoss et les Urssaf sur les redressements d'assiette. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 prévoyait cette mesure qui n'avait toutefois jamais été appliquée.
Par ailleurs, et l'on y reviendra, l'une des dispositions qui a été décidée est la création d'un régime unifié de retraite complémentaire. Ce régime reprendra à compter du 1er janvier 2019, les droits et les obligations de l'Agirc-Arrco. Dans cette perspective, les organisations syndicales souhaitaient que la définition de l'encadrement puisse donner lieu à l'ouverture d'une négociation interprofessionnelle.
Le rendement de ces mesures devrait approcher 2 milliards d'euros en 2017 et 6 milliards d'euros en 2020. Pour l'année 2016, le rendement va dépendre de l'inflation observée au cours des deux prochaines années. L'hypothèse retenue pour l'année 2016 est une inflation égale à 1 %. D'ici 2017, le rendement attendu de ces mesures s'élèverait donc à 1,7 milliard d'euros.
J'en viens maintenant aux mesures systémiques applicables à partir du 1er janvier 2019. L'accord prévoit la création d'un nouveau régime unifié de retraite complémentaire (NRU) qui reprendra les droits et obligations de l'Agirc-Arrco. Le NRU implique d'harmoniser les tranches de cotisation. L'augmentation du taux d'appel des cotisations à 127 % à partir de 2019 sera répartie à 60 % à la charge des employeurs et à 40 % à celle des salariés, ce qui implique d'augmenter la cotisation salariale de 0,56 point puisque la répartition actuelle se fait sur la base 62-38 à l'Agirc.
Un groupe de travail va être constitué afin de préciser les modalités de fonctionnement et de gouvernance du NRU. Des décisions des commissions paritaires de l'Agirc-Arrco seront présentées en 2016.
Les futurs retraités seront également mis à contribution avec la mise en place du coefficient de solidarité, qui est le fameux « bonus-malus » qui a concentré l'attention à la suite de l'annonce de l'accord. J'en rappelle brièvement le principe. Ce mécanisme prévoit qu'un salarié, en âge de liquider sa retraite de base à taux plein, ne puisse bénéficier de l'intégralité de sa retraite complémentaire que s'il reporte la fin de son activité d'un an. En cas de départ à la retraite l'année d'obtention de son taux plein au régime de base, il se voit appliquer le coefficient de solidarité, c'est-à-dire une décote de 10 % sur le montant de sa retraite complémentaire pendant trois ans. Ce mécanisme ne s'applique plus après l'âge de 67 ans et ne concerne donc pas, en réalité, les salariés à la carrière incomplète. Pour les assurés qui décalent la liquidation de leur retraite complémentaire au-delà de la date à laquelle les conditions du taux plein sont remplies dans le régime de base, il est prévu dans l'accord une majoration des droits à retraite complémentaire pendant 1 an de 10 % pour ceux décalant de 8 trimestres, de 20 % pour ceux décalant de 12 trimestres et de 30 % pour ceux décalant de 16 trimestres.
J'insiste sur ce point : les notions retenues ne sont pas, à proprement parler, des critères d'âge. L'accord met en avant cette idée de retraite à la carte, laissant le salarié libre d'arbitrer entre une durée de cotisation et un montant de pension.
Il avait été question, pendant la négociation, de mesures de fixation d'un âge en dessous duquel la liquidation de la retraite complémentaire n'aurait pas été possible. L'accord n'est pas dans cette logique mais plutôt sur celle d'un couple âge/durée qui permet à chacun de déterminer, en fonction de l'âge à partir duquel il peut prétendre au taux plein au sein du régime de base, l'âge auquel il souhaite partir. Par définition cet équilibre est différent d'une personne à une autre. Les partenaires sociaux ont souhaité partir de l'élément individuel permettant de traiter chaque retraité de manière personnalisée en fonction du moment où il remplit la double condition d'âge et de durée.
Ce coefficient de solidarité sera appliqué au 1er janvier 2019 pour les générations nées après le 1er janvier 1957. Il ne s'applique toutefois pas aux assurés, dont le revenu fiscal au moment de la liquidation de la retraite leur permet d'être exonérés de cotisation sociale généralisée (CSG). De même, les retraités assujettis à un taux réduit de CSG ne pourraient se voir appliquer une décote que de 5 % seulement.
De même, le coefficient ne s'appliquant pas après 67 ans, il ne concernera pas les salariés aux carrières incomplètes. Je vous rappelle que des abattements viagers s'appliquent déjà à l'Agirc-Arrco pour les carrières incomplètes. L'accord ne prévoit donc pas une double peine.
Enfin, ce mécanisme ne s'appliquera pas non plus aux assurés handicapés remplissant les conditions d'un départ anticipé lié à l'amiante, ni même aux assurés inaptes avec un taux d'incapacité permanente partielle de 50 % médicalement constaté. Enfin seront également exonérés de cet abattement, les assurés ayant apporté une aide effective à leur enfant handicapé.
Au final, près de 30 % des salariés partant à la retraite ne seront pas ou très peu concernés par ce système d'abattement. J'ajoute que la décote ne porte que sur le montant de retraite complémentaire. Elle devrait représenter en moyenne de 40 à 50 euros, le montant moyen de retraite complémentaire s'élevant en France entre 400 et 500 euros.
Je veux enfin évoquer la mise en place d'un pilotage pluriannuel au sein du futur NRU. Au cours de la négociation, il y a eu une volonté de la part des partenaires sociaux de se doter d'éléments de gouvernance afin d'assurer la pérennité des retraites complémentaires.
Le pilotage du régime complémentaire se fera sur la base d'un niveau stratégique et tactique.
Le niveau stratégique permettra aux partenaires sociaux au niveau national de mener une négociation tous les quatre ans afin de fixer les objectifs en termes de trajectoire d'équilibre du régime en fonction du scénario économique. Une fois ce cadre fixé, ils pourront déterminer les critères de soutenabilité sur 15 ans du régime (en particulier le niveau de réserves à conserver) ainsi que les paramètres (valeur d'achat du point, taux d'appel...).
S'agissant du niveau tactique, le conseil d'administration réuni annuellement aura pour mission d'ajuster en tant que de besoin les paramètres dans la limite fixée par le pilotage stratégique.
Les organisations représentatives seront par ailleurs réunies obligatoirement en vue d'ajuster les ressources ou les charges du régime unifié en cas d'alerte par le conseil d'administration ou de changement significatif de la conjoncture économique.
Un dernier mot s'agissant de l'objectif de dépenses de gestion. Les partenaires sociaux ont fixé un objectif supplémentaire d'économie de gestion de 300 millions d'euros qui se cumule aux 300 millions d'euros d'économie déjà demandés sur le montant annuel global. Cette décision amène à un total d'économie de gestion globale de 600 millions d'euros.
En conclusion, les points fixés au cours de cette négociation amèneront dans tous les cas à des ajustements qui seront permis grâce au pilotage semi-automatique mis en oeuvre.
De même, les hypothèses de modification de comportement, à la suite de la mise en oeuvre des coefficients temporaires, sont extrêmement prudentes. Si la modification de comportement est plus importante que prévue et si le rendement de la mesure des 10 % donne un résultat plus élevé, ce sont aussi des éléments qui pourront donner lieu à un reparamétrage par les partenaires sociaux.