Intervention de Jean de Kervasdoué

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 15 février 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean de Kervasdoué titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé du conservatoire national des arts et métiers

Jean de Kervasdoué :

Formellement, cela se passe ainsi. Le système hospitalier est devenu bureaucratico-corporatiste ; l'Etat se mêle de tout et les présidents des CME sont élus - contrairement à ce qui se passe en Europe du nord, soit dit en passant. Bien que le National Health Service britannique reste étatisé, les hôpitaux ont une indépendance de gestion grâce à des « trusts » publics. J'ai suggéré dans le passé que le maire nomme un président du conseil d'administration à l'hôpital, responsable civilement et pénalement, au lieu d'occuper lui-même cette fonction. Car si le maire est généralement bon gestionnaire des deniers communaux, il l'est moins des deniers d'une institution où il a beaucoup d'influence et aucune responsabilité. Un président responsable juridiquement nommerait le directeur et le président de la CME. Il tiendrait sa légitimité de l'institution elle-même. Aujourd'hui, les directeurs des ARS choisissent des directeurs non pour leur personnalité affirmée et leur indépendance, comme Jacky Le Menn, plutôt pour leur capacité à leur dire « oui, monsieur le Directeur ». Cela éclaire la T2A.

Les ressources provenant de la T2A sont proportionnelles à l'activité, mais les contraintes empêchent de s'ajuster à celle-ci. Une généralisation de la T2A ne me semble pas souhaitable sans une indépendance accrue de l'échelon local. Tout est compliqué, il faut attendre le renouvellement des générations dans certaines catégories de personnel, les infirmières par exemple : les cliniques s'ajustent beaucoup plus rapidement.

Une partie des financements est liée aux groupes homogènes de séjours (GHS), une autre aux missions d'intérêt général et aides à la contractualisation (Migac), une troisième aux tarifs. On en revient à la question : qu'est-ce que l'activité ? Pour des raisons politiques, l'hôpital voit sa consultation externe payée comme une consultation de médecine de ville, 23 euros pour un généraliste, 27 euros pour un spécialiste, alors qu'une consultation de professeur de médecine coûte 150 euros et celle d'un praticien hospitalier entre 120 et 130 euros. Le professeur André Grimaldi me disait : « quand je débrouille un diabète qui aurait pu avoir des conséquences graves, il est scandaleux de ne pas payer la consultation à son prix... », et il a raison.

Alors, pourquoi notre système de santé est-il le plus cher au monde ? Parce que nous choisissons toujours le plus cher : plus d'hospitalisations plus nombreuses qu'ailleurs - 70 % de plus ! -, plus de médecins, et plus de spécialistes que de généralistes, plus de soins médicaux et moins de soins infirmiers, plus de prescriptions... Si nous suivions l'exemple norvégien, nous économiserions 270 euros par habitant en médicaments, soit 17 milliards. La question est celle du transfert de l'hôpital vers la ville : nous avons 3 500 hôpitaux, contre 2 080 en Allemagne et 640 au Royaume-Uni. Nos hôpitaux emploient autant de personnes qu'en Allemagne, où la population est 25 % plus nombreuse. Tout ce qui favorise le transfert, l'externe, la souplesse doit être favorisé, à commencer par la chirurgie de jour.

Les Migac sont difficilement sécables. Dans certains cas, on pourrait accroître les financements. Nous ne sommes pas capables aujourd'hui d'évaluer précisément les conséquences budgétaires de l'état sanitaire de la population. Faut-il augmenter la part des urgences ? Je crois que oui. Un système à seuils ne me paraissait pas idiot. L'enseignement et la recherche devraient être financés par l'Etat, ils le sont en partie par l'assurance maladie. Cependant, dans les centres hospitaliers régionaux, les choses évoluent plutôt dans le bon sens.

A l'origine, les tarifs des cliniques privées n'ont pas été calculés sur la même base que ceux des hôpitaux. En 2002, on a pris comme référence ce que payait l'assurance maladie par GHM - on ne pourra pas le refaire, puisque le paiement à la journée a disparu. Comment calculer les tarifs des cliniques privées ? Si l'on peut exploiter la comptabilité analytique des hôpitaux, calculer le taux de profit des cliniques privées et le qualifier est une tâche bien délicate.

Je prône quant à moi la médicalisation des tarifs. Ce n'est pas une vaste entreprise, puisque la moitié de l'activité se concentre sur environ 50 GHM dans le privé et 80 dans le public. Pour une prothèse de hanche, demandons à un orthopédiste français et à un étranger quelle est la conduite thérapeutique de référence : deux heures de bloc, répondront-ils peut-être, un jour de réanimation, trois de surveillance, tels examens, telle quantité de sang... On reprend ensuite les coûts analytiques correspondants et l'on reconstitue le tarif. Un exercice plutôt amusant car, personne ne l'a dit, la dotation globale n'a pas suscité d'économies : calculée à la moyenne, elle a rendu plus équitables les financements, sans avoir de fonction redistributrice.

En 1991, l'assurance maladie m'avait demandé d'évaluer ce qu'elle devrait payer si les cliniques étaient à la T2A. Sur les GHM fréquents, l'éventail des tarifs est de 100 à 150 pour un accouchement, de 100 à 300 pour la prothèse totale de hanche, de 100 à 500 pour les varices. Revenons à notre prothèse totale de hanche : l'hospitalisation étant à l'époque comprise entre onze et vingt-six jours, la durée moyenne implicite était de dix-huit jours, quand les spécialistes l'estimaient à sept jours. Pour sortir de la comptabilité analytique et remédicaliser les tarifs, il faut recomposer ces derniers en fonction des conduites thérapeutiques.

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