Intervention de Didier Tabuteau

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 16 mai 2012 : 3ème réunion
Financement des établissements de santé — Audition de M. Didier Tabuteau directeur de la chaire santé à sciences po codirecteur de l'institut droit et santé

Didier Tabuteau, directeur de la chaire santé à Sciences Po, codirecteur de l'Institut droit et santé :

Mon intervention ne sera pas celle d'un technicien de la T2A mais celle d'un analyste du système et des politiques de santé.

Quels sont les objectifs d'une tarification ? Financer l'activité, donc couvrir les coûts et intéresser les acteurs ; inciter à la qualité ; encourager l'efficience, c'est-à-dire l'amélioration de la productivité des offreurs de soin mais aussi la prévention des pathologies ou de leurs conséquences et l'optimisation des traitements et des parcours de soins ; contribuer enfin aux équilibres macro-économiques.

La T2A favorise les gains de productivité : elle incite les offreurs de soins à réduire les coûts et à développer leur activité, elle permet de répondre aux besoins de santé. C'est sans doute pour cette raison que la dotation globale a été abandonnée. Il y a cependant plusieurs difficultés. La tarification est d'abord extraordinairement complexe, ce qui pose des problèmes d'utilisation et conduit à des stratégies de gestion ; selon la façon dont on va qualifier l'acte, il sera plus ou moins bien rémunéré. Il y a là un travail purement comptable, formel, indépendant du soin, en vue d'obtenir la meilleure rémunération, ce qui n'est pas nécessairement souhaitable. Ensuite, la tarification est ciblée sur l'activité - c'est ce pourquoi elle est construite. Elle s'accorde mal avec l'optimisation du parcours de soin car elle se concentre sur ce qui est fait au moment où on le fait. C'est un effet « microscope », alors qu'il faudrait une vision plus large. Troisième remarque : il n'existe pas réellement d'indicateurs de qualité. La T2A pousse à l'efficience par la réduction des coûts, hors de toute évaluation du rapport qualité/coût. Or, en matière de santé, la qualité, c'est la vie des hommes. Certains pays y travaillent ; la France serait bien inspirée d'y réfléchir à son tour.

La T2A est en outre inflationniste ; elle peut conduire à la réalisation d'actes dont l'utilité médicale n'est pas établie. Le Directeur général de l'assurance maladie s'en est récemment fait l'écho. C'est un effet pervers de la T2A - comme c'est un effet du paiement à l'acte en libéral, d'ailleurs.

Ensuite, la complexité de la T2A s'explique par le fait qu'on a essayé de l'adapter à toutes les situations possibles - l'intention était louable. Mais des critères majeurs de l'activité des services ne sont pas pris en compte - ce n'est pas sa vocation - au premier rang desquels les critères sociaux et familiaux des personnes prises en charge. Or, ces critères jouent sur les durées d'hospitalisation et expliquent en grande partie les difficultés rencontrées, surtout par les établissements publics. Il est paradoxal d'avoir à ce point raffiné les critères médicaux et de ne pas avoir pris en compte des critères aussi importants.

Enfin, la tarification a suscité un tel engouement qu'on l'a étendue excessivement, au-delà des secteurs auxquels elle était adaptée. On comprend qu'elle vaille pour les interventions techniques programmables, moins en médecine ou en soins palliatifs.

La T2A est utile dans un certain nombre de domaines. C'est pourquoi je suggère une approche pragmatique. Il faut la conserver pour les activités les plus adaptées - aux spécialistes d'en cerner le champ - mais prévoir aussi une part de financement global ajusté sur l'activité pour d'autres types de soins, notamment en médecine. Je rappelle que le Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) avait été institué pour gérer des dotations globales. Je ne serais pas choqué en outre que, pour certaines activités comme les soins palliatifs, on revînt au prix de journée.

La T2A, ainsi que les éventuelles dotations globales, devraient prendre en compte des critères de qualité et de performance. Certaines publications contestent cette approche et soutiennent qu'ils ont peu de conséquences pratiques ; mais ils seraient utiles sur un plan pédagogique, médical et sanitaire. Le National health service en Grande-Bretagne les a introduits en 2010. D'autres éléments qualitatifs pourraient être envisagés, qui sont bien documentés, comme le vécu des patients ou des personnels. Ces indicateurs de qualité supposent une évaluation externe qui reste embryonnaire en France malgré les efforts de la Haute Autorité de santé et de certaines ARS. Cette évolution est néanmoins souhaitable. Elle aurait l'avantage d'obliger les établissements à définir les critères de qualité, à les suivre et à les rendre publics. Aux Etats-Unis, le public dispose grâce à US Transplant, établissement par établissement, de données précises sur les transplantations.

Ce qui me choque, c'est que le système extrêmement sophistiqué mis en place dans l'objectif légitime de réguler les dépenses n'est pas suffisamment efficace et qu'on est contraint de faire de la régulation en réduisant les Migac... C'est en totale contradiction avec ce qu'est un système de tarification.

Enfin, les conditions de service public ne sont pas correctement prises en compte, j'entends hors celles identifiées Migac. Pour les activités financées par la T2A, un établissement public ne peut pas avoir un taux d'occupation de 100 %, car il doit réserver des lits en cas de crise ou de catastrophe. L'écart de tarif est difficile à apprécier, ce qui remet en cause l'idée de convergence tarifaire entre ce qui relève du service public et ce qui n'en relève pas. A ma connaissance, le Royaume-Uni, depuis deux ans, va à rebours de notre travail de convergence ; s'y est amorcé un mouvement de différenciation tarifaire, au motif que les cliniques privées et les établissements publics ne peuvent pas être soumis à la même tarification de façon équitable et efficace.

Je m'interroge également sur les conditions de prise en compte de critères de différenciation des coûts fixes pour des motifs territoriaux. Si un processus de convergence peut se comprendre, je ne crois pas que certains coûts - je pense notamment à l'immobilier - puissent y entrer. La même question se pose d'ailleurs pour la médecine de ville. L'une des difficultés de la convergence tient aussi à l'absence de prise en compte des coûts complets. Les dépassements d'honoraires ne sont pas intégrés, ce qui ne facilite pas les comparaisons.

La tarification doit conduire à améliorer la productivité et l'organisation, c'est la vertu qu'on lui a prêtée ; si on renonce à encadrer une poche de coûts en expansion, l'édifice ne tient plus - sans parler de la convergence tarifaire...

L'évolution de la T2A ne peut être imaginée sans s'interroger sur celle du cadre juridique de l'activité hospitalière et de la médecine de ville. En tant que juriste, la suppression de la notion de service public hospitalier m'inquiète. Ses conséquences en termes de tarification peuvent avoir un effet boomerang redoutable. La réforme éventuelle de la T2A et de la tarification hospitalière doit s'intégrer dans une réforme plus globale, qui passe par la définition de ce que sont les missions de service public. On ne peut séparer la réflexion sur la tarification d'une réflexion sur le statut des établissements hospitaliers. Elle doit aussi, ce qui est beaucoup plus difficile, être examinée conjointement avec l'évolution de la tarification et de l'organisation de la médecine de ville. Pendant longtemps, la tarification hospitalière et la médecine de ville étaient dissociées ; à l'avenir, elles se recouperont à travers des prises en charge croisées - une journée ou deux à l'hôpital et le reste du traitement assuré par la médecine de ville ; et les activités des professionnels seront de plus en plus partagées entre le salariat et le paiement à l'acte dans le secteur libéral. Il faut intégrer dans la réflexion l'évolution du système dans son ensemble.

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