Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au-delà des arrière-pensées et des maladresses des uns et des autres, pourquoi nous faut-il abroger sans attendre l'article 4 de la loi du 23 février 2005 ?
La réponse est toute simple : parce que cet article est tout aussi inutile et maladroit qu'il est inopportun et perturbateur.
Ce texte est d'abord inutile dans la mesure où ses préconisations ne peuvent en aucune manière s'imposer aux autorités compétentes en matière de définition des programmes scolaires.
Cet article est ensuite maladroit, car la période de colonisation couvrant celle de la traite négrière et de l'esclavage, il ouvre la voie à l'amalgame et, tant qu'à faire, à une reconnaissance éventuelle du « rôle positif de l'esclavage », ce qui serait contraire aux dispositions déjà adoptées par le Parlement.
Cet article est également inopportun, car il intervient précisément au moment où la communauté nationale évolue dans le sens d'une lecture plus apaisée de notre histoire partagée, en particulier dans sa composante ultramarine. Je veux ici rappeler que, en érigeant le 27 mai en jour férié en Guadeloupe, la France a reconnu la lutte héroïque de Louis Delgrès, de Joseph Ignace, entre autres, contre le retour de l'esclavage. D'aucuns pensent d'ailleurs que leur démarche était dans la logique des idéaux humanistes de la Révolution.
Enfin, cet article est profondément perturbateur pour le climat social en France métropolitaine, et on le comprend aisément, mais encore davantage dans les régions d'outre-mer où il va jusqu'à apparaître comme une provocation.
Mais, me direz-vous, pourquoi faut-il abroger cet article 4 de la loi du 23 février 2005 alors même que le Président de la République a missionné le président de l'Assemblée nationale « pour évaluer l'action du Parlement dans les domaines de la mémoire et de l'histoire » ?
Sur la forme, on connaît l'usage qui est fait du recours aux commissions d'études, en particulier lorsque l'on veut éviter de décider.
Sur le fond, la mission confiée au président de l'Assemblée nationale est plus globale, en ce qu'elle a trait à l'action du Parlement. L'objet des deux amendements en discussion est autre, et tous les éléments sont réunis pour revenir à la situation antérieure au 23 février 2005.
En effet, si l'on peut comprendre la position du Gouvernement, hésitant à déjuger une erreur manifeste d'appréciation d'une partie de sa majorité, qui pourrait sérieusement soutenir que l'article 4 de la loi du 23 février 2005 manquait à l'arsenal législatif français ou au dispositif de réflexion sur l'éducation nationale ? Personne !
Personne n'aurait songé à se plaindre de l'inexistence de ce sous-amendement, déposé à l'Assemblée nationale, qui « pollue », voire pervertit cet article 4. Il n'y aurait donc aucun dommage à le faire disparaître et à revenir au statu quo ante bellum c'est-à-dire à l'état de fait et de droit tel qu'il existait avant les « hostilités ».
Dès lors que la suppression de cet article apparaît nécessaire et non dommageable à quiconque, il reste à justifier le choix du moment.
En respectant en quelque sorte le parallélisme des formes, cet article peut tout à fait être supprimé dans les conditions qui ont prévalu à son adoption, c'est-à-dire par un amendement. Nous sommes bien, en effet, dans une thématique adjacente : il est justifié que l'amendement qui vise à supprimer l'article 4 soit introduit à l'occasion de l'examen du projet de loi de programme sur la recherche puisque, à l'évidence, le domaine que nous sommes en train d'étudier couvre la recherche de la vérité historique.
Mes chers collègues, le feu est parti de l'Assemblée nationale et caresse désormais l'ensemble du Parlement et de la communauté nationale. Le Président de la République, avec la mission confiée au président de l'Assemblée nationale, a installé un couvre-feu. Il revient à la Haute Assemblée, constante dans sa sagesse, d'éteindre définitivement ce feu qui ne s'est que trop propagé.
Notre assemblée peut et doit saisir l'occasion du présent amendement pour mettre un terme à cette affaire dans le plus bref délai.
Mes chers collègues, sachez que, dans la France de par-delà les océans, les populations sont extrêmement attentives. Elles attendent, et elles espèrent en particulier que la France, à laquelle elles sont tellement attachées - attachement qui n'a d'égal que les souffrances endurées tant du fait de l'esclavage et de la colonisation que dans la défense de la patrie, notamment au cours des deux guerres mondiales -, à travers son Parlement et son Gouvernement, ne persistera pas à répondre par des procédures dilatoires, des atermoiements, et encore moins par un entêtement qui pourrait être interprété comme de l'indifférence, sinon du dédain, voire du mépris.