Intervention de Antoine Durrleman

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 14 janvier 2015 à 10h05
Avenir des retraites complémentaires des salariés agirc et arrco — Audition de M. Antoine duRrleman président de la sixième chambre de la cour des comptes

Antoine Durrleman :

Le rapport public thématique que nous vous présentons aujourd'hui est le premier rapport que la Cour consacre aux régimes obligatoires de retraite complémentaire des salariés du secteur privé gérés par l'Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc), créée pour les cadres en 1947, et l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco), créée pour l'ensemble des salariés en 1961.

Ces régimes complémentaires constituent un enjeu considérable, tant en termes sociaux que financiers. Ils couvrent en effet plus de 18 millions de salariés et près de 12 millions de retraités. Ils versent chaque année plus de 70 milliards d'euros de pensions de retraite.

Or, l'Agirc et l'Arrco sont aujourd'hui dans une situation financière très difficile et les partenaires sociaux, qui en assurent la gestion, devront prendre des décisions très importantes lors du nouveau cycle de négociation qui va s'ouvrir au mois de février. Je souhaiterais insister sur le fait que le rapport de la Cour vise à éclairer le débat public et non à prescrire les mesures qu'il conviendra de prendre : les partenaires sociaux sont seuls décideurs et la Cour a pour unique ambition de montrer la diversité des choix possibles.

Ce rapport thématique s'articule autour de quatre grands axes.

Il montre tout d'abord que les perspectives financières des régimes complémentaires sont particulièrement alarmantes.

Il explique ensuite que les partenaires sociaux devront nécessairement opérer des choix difficiles, complexes, délicats. Il faudra actionner plusieurs leviers pour éviter tout risque de rupture dans le paiement des pensions.

Il insiste sur le fait que les gestionnaires des régimes devront prendre des mesures indispensables pour réduire des coûts de gestion encore trop élevés.

Il souligne enfin qu'il est urgent de moderniser le pilotage des régimes, notamment en renforçant la prise en compte de l'Agirc et de l'Arrco dans la conduite de l'ensemble de nos finances publiques.

Pendant longtemps, les régimes complémentaires ont connu une situation financière bien plus enviable que celle des régimes de base. Les partenaires sociaux ont su faire preuve de responsabilité en adoptant des mesures courageuses dès 1993. Entre 1998 et 2008, les régimes complémentaires ont connu 11 années d'excédents techniques alors que, dans le même temps, les régimes de base cumulaient 8 milliards d'euros de déficit, repris par la Cades et financés par de la dette. Les partenaires sociaux ont indéniablement fait preuve de davantage de rigueur dans leur gestion financière que les pouvoirs publics.

Depuis 2009, ils font désormais face à leur tour à des déficits. Cette situation préoccupante s'explique par plusieurs facteurs.

Tout d'abord, le ratio démographique entre le nombre de cotisants et de retraités s'est continuellement dégradé depuis le milieu des années 2000, sous l'effet de l'arrivée à la retraite des générations nombreuses du « papy-boom ». Ce phénomène devrait se prolonger jusqu'en 2035 environ et constitue un cap difficile à passer pour l'ensemble de notre système de retraites.

Le ralentissement de la croissance économique depuis 2008 a naturellement précipité la dégradation des comptes de l'Agirc et de l'Arrco, dans la mesure où le ralentissement de la croissance de la masse salariale vient grever leurs recettes.

Enfin, un certain nombre de décisions prises par les pouvoirs publics ont eu tendance à alourdir les charges des régimes complémentaires à l'horizon 2020.

Au total, les déficits se succèdent désormais année après année et les régimes doivent mobiliser leurs réserves financières. En 2013, celles-ci sont venues combler un déficit de 4,4 milliards d'euros, soit 6 % du montant annuel des pensions versées. Or, si rien n'est fait, les réserves de l'Arrco seront épuisées en 2025 et celles de l'Agirc dès 2018, avec pour l'Agirc des réserves qui tomberaient à seulement trois mois d'allocations dès 2016 ! Même en cas de fusion de l'Agirc et de l'Arrco, les réserves financières seraient épuisées dès 2023.

Vous l'avez compris, la succession des déficits des régimes complémentaires et l'épuisement rapide de leurs réserves place les partenaires sociaux au pied du mur.

Le régime des cadres doit faire l'objet de mesures urgentes et il sera nécessaire dès 2017 de demander à ses ressortissants des efforts spécifiques. Ceci étant dit, si les cadres devaient assurer le redressement de leur régime à eux seuls, il faudrait par exemple réduire le montant de leurs pensions de 10 % ! Pour éloigner une telle perspective, il faudra renforcer les transferts de solidarité opérés de l'Arrco vers l'Agirc, transferts qui s'élèvent déjà actuellement à 1 milliard d'euros par an. Il sera également nécessaire de poursuivre la réflexion sur une fusion entre l'Agirc et l'Arrco. Les raisons qui ont présidé à la création d'un régime spécifique pour les cadres ont très largement disparu aujourd'hui et il paraît désormais indispensable de garantir une meilleure égalité de traitement entre cadres et non-cadres, d'harmoniser les rendements entre les deux régimes et de réformer l'Association pour la gestion du fonds de financement de l'Agirc et de l'Arrco (AGFF).

Au-delà des mesures propres à l'Agirc et aux enjeux de sa fusion avec l'Arrco, les partenaires sociaux disposent de trois leviers pour réduire les déficits récurrents des régimes complémentaires.

Ils peuvent agir sur le niveau des pensions, en particulier en déterminant les règles de leur indexation sur l'inflation. Dans l'accord signé en mars 2013, les partenaires sociaux avaient déjà prévu une sous-indexation des pensions par rapport à l'inflation mais les économies espérées n'ont pu être réalisées en raison de la faiblesse de l'inflation. Faut-il dès lors aller plus loin et envisager une baisse du montant nominal des pensions ?

Il leur est également possible de procéder à des hausses de cotisations, mais ils doivent tenir compte d'un contexte très contraint car les hausses au profit des régimes de base ont déjà été nombreuses ces dernières années. Au surplus, le niveau maximal de cotisations pour les salariés est de 28 % et le niveau actuel est déjà en moyenne de 27,5 %... Sur cette question, une amélioration de la concertation entre pouvoirs publics et partenaires sociaux est indispensable.

Enfin, les partenaires sociaux peuvent envisager d'agir sur la durée d'assurance et sur l'âge de liquidation de la pension, quitte à dissocier ces critères de ceux qui sont en vigueur pour les régimes de base. Ce paramètre des bornes d'âge est certes très sensible, mais il convient de le considérer avec beaucoup d'attention.

La Cour n'a nullement pour objectif de proposer un plan de redressement, elle présente uniquement les différents leviers d'action, la décision appartenant exclusivement aux partenaires sociaux. En tout état de cause, il faudra faire en sorte que les efforts à fournir reposent équitablement sur les retraités, les salariés et les entreprises.

Comme je l'ai dit précédemment, la Cour a constaté lors de l'élaboration de son rapport que les régimes complémentaires pâtissaient de coûts de gestion trop importants. Ces dépenses représentent 2,7 % des cotisations perçues et elles ont progressé bien plus rapidement ces dernières années que l'inflation. Elles sont, à périmètre et volume d'activité identiques, de 20 % plus élevées que celles de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav). Les dépenses en matière de systèmes d'information ou bien encore de rémunérations apparaissent particulièrement conséquentes. Le caractère très dispersé des gestionnaires de ces régimes est également générateur de surcoûts. L'Agirc et l'Arrco ont d'ores et déjà décidé un plan d'économie de 300 millions d'euros à horizon 2018. La Cour estime que des marges supplémentaires pourraient être dégagées et que les coûts de gestion pourraient diminuer de 450 millions d'euros à horizon 2020, ce qui représente 4 à 8 % des besoins de financement des régimes.

La Cour s'est également intéressée à la question du contrôle du recouvrement des cotisations des régimes complémentaires, qui demeure très insuffisant, en particulier dans le domaine de la lutte contre le travail illégal. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a prévu qu'un inspecteur des Urssaf puisse contrôler le versement par les entreprises des cotisations Agirc-Arrco mais le décret d'application n'a pas encore été publié. Pourtant, la Cour estime que les pertes de cotisations en raison de fraudes représentent entre 2,2 et 2,7 milliards d'euros pour les régimes complémentaires. Ces pertes sont bien sûr préjudiciables aux régimes, mais également aux assurés qui ne verront pas leurs droits validés.

La qualité du service aux assurés, enfin, est insuffisante, puisque les erreurs de liquidation des pensions sont beaucoup trop nombreuses - en 2013, 260 millions d'euros au moins n'ont pas été versés aux assurés - et des délais anormalement long - parfois supérieurs à trois mois - peuvent être constatés.

Le pilotage des régimes complémentaires de retraite est le dernier axe développé par la Cour dans son rapport. Elle juge nécessaire la rénovation du cadre de décision avec notamment le choix de scenarii économiques plus prudents ou bien encore une gestion des réserves financières plus performante. Elle pose également une nouvelle fois la question d'une intégration du pilotage de ces régimes dans la gestion de l'ensemble des finances publiques de notre pays. Il s'agira ainsi d'intégrer les contraintes qui pèsent sur les régimes complémentaires lors de l'adoption des mesures relatives aux régimes de base. Un meilleur cadre de concertation dans ce domaine apparaît en effet indispensable et l'intégration des régimes Agirc-Arrco dans le cadre d'une loi de financement de la protection sociale permettrait à l'ensemble des acteurs de disposer d'une vision commune. Cette proposition devrait préserver l'entier pouvoir de décision des partenaires sociaux, la Cour ne suggérant en aucune façon une étatisation des régimes complémentaires de retraite.

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