Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 21 décembre 2005 à 15h00
Loi de programme pour la recherche — Article additionnel avant l'article 3 ou après l'article 22

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

Nous payons aujourd'hui le fait d'avoir voulu à certains moments répondre à l'émotion par une inscription dans des textes. Quand ces émotions deviennent contradictoires, nous sommes embarrassés.

Je crois que certains, à l'Assemblée nationale, ont voulu répondre à l'émotion d'une partie de l'opinion publique par une disposition qui semble enjoindre aux enseignants de donner tel ou tel éclairage sur ce qui s'est passé.

Quant à moi, je me pose simplement la question : si j'avais à nouveau à enseigner l'histoire, que ferais-je quand il s'agit de parler d'un moment de l'histoire de la France, à savoir de la période pendant laquelle la France a eu des colonies ?

L'histoire de la France est un tout. Je crois qu'un enseignant se doit de dire à ses élèves ce qu'il sait des errements, des erreurs, des horreurs mêmes, qui parfois ont été commises.

Je n'aurais pas hésité à rappeler que certaines colonnes françaises, conduites par deux officiers français dévoyés, ont ravagé vers 1900 la vallée du Niger.

Je n'aurais pas non plus hésité à rappeler que les restes de ces mêmes troupes, aux côtés de troupes venues d'Algérie, ont écrasé à Kousseri le marchand d'esclaves Rabah, mettant ainsi un terme à certains trafics d'esclaves qui persistaient en Afrique centrale.

Je n'aurais pas hésité à parler du Code noir et de toutes les horreurs commises pendant la période de l'esclavage.

Nos élèves doivent savoir tout cela, et savoir même que, au XVIIIe, une partie de la France des Lumières que nous aimons par ailleurs tant et dont nous sommes très fiers n'était pas choquée par ces faits.

J'aurais aussi sans doute rappelé que si Victor Schoelcher, au souvenir duquel nous sommes tant attachés dans cet hémicycle, a effectivement mis un terme à l'esclavage, il était aussi sous-secrétaire d'État à la marine et aux colonies.

Le devoir des enseignants est donc de montrer ces différents aspects, ainsi que l'ambiguïté et la complexité de ces époques.

Il est bon que nous en parlions, qu'une commission se réunisse pour voir comment, d'une manière apaisée, nous pouvons, dans ce pays, faire notre devoir.

Transmettre aux générations actuelles le récit des faits et de ce que nous en savons, dans leur totalité, sans céder à l'émotion, sans vouloir nourrir telle ou telle idéologie, tel ou tel engagement, voilà, à mon avis, le devoir des enseignants.

Et si, pour ma part, je devais à nouveau enseigner l'histoire, c'est à ce devoir que je m'en tiendrais, quels que soient les articles adoptés au hasard des lois, que l'article 4 existe ou non.

Mes chers collègues, plutôt que de nous prononcer au détour d'un texte sans rapport avec la question, essayons de nous retrouver autour de l'essentiel. Faisons en sorte que, dans ce pays, soit respecté d'abord l'esprit des jeunes Français : ces derniers doivent savoir la vérité sur le passé et l'histoire de leur pays, sans que rien ne soit omis ni des moments d'ombre ni des moments de lumière.

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