Intervention de Monika Queisser

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 21 janvier 2015 à 15h00
Audition de Mme Monika Queisser chef de la division des politiques sociales de l'organisation de coopération et de développement économiques ocde sur les réformes et le pilotage des régimes de retraite en europe

Monika Queisser :

C'est un petit voyage autour du monde auquel je vous invite au travers de ce panorama des systèmes de retraite des différents pays de l'OCDE.

Les Etats de l'OCDE ont mis en oeuvre des réformes de leurs systèmes de retraite selon cinq axes principaux :

 - beaucoup de pays ont mis en oeuvre des réformes visant à assurer la viabilité des systèmes de retraite, et ce, dès avant le début de la crise économique que nous traversons ;

 - les réformes ont pour but d'assurer l'adéquation des prestations de retraites ;

 - un certain nombre de réformes ont été mises en oeuvre afin d'inciter les travailleurs à rester plus longtemps dans l'emploi et, notamment dans les pays où la capitalisation est importante, à épargner suffisamment durant leur vie active ;

 - les différents pays de l'OCDE ont également cherché à améliorer l'efficience administrative des systèmes de retraite afin de réduire les coûts de gestion ;

 - enfin, un certain nombre de mesures visent à diversifier les sources de revenu à la retraite. La situation actuelle et la faiblesse des taux de rendement remettent en question les politiques qui avaient conduit dans certains pays à privilégier les systèmes par capitalisation.

Avant d'aller plus loin, je rappelle que l'espérance de vie s'allonge dans tous les pays de l'OCDE. Les projections permettent d'espérer un maintien de cette tendance jusqu'en 2060. En 2060, une personne âgée de 65 ans aura une espérance de vie supérieure de cinq ans à celle d'une personne de cet âge aujourd'hui. La France se classe particulièrement bien, même s'il existe une importante disparité entre les hommes et les femmes.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que la perception de la « vieillesse » varie de manière notable d'un pays à l'autre. Un sondage Eurobaromètre de 2012 montre que les Allemands considèrent qu'on est « vieux » à partir de 60 ans, contre 65,9 ans pour les Français et 70,4 ans aux Pays-Bas.

La comparaison des taux d'emploi des 55-59 ans et des 60-64 ans est également intéressante. La France a par exemple un taux d'emploi des 55-59 ans proche de la moyenne de l'OCDE (environ 70 %), mais ce chiffre baisse considérablement pour la tranche d'âge suivante (environ 20 % contre près de 50 % en moyenne).

J'en viens aux réformes visant à assurer la viabilité financière des systèmes de retraite. L'âge légal de départ est traditionnellement l'outil le plus utilisé en raison de sa simplicité. Ce n'est toutefois pas la variable la plus facile à faire évoluer, en raison de sa simplicité même, qui la rend particulièrement sensible dans les opinions publiques. De même, très peu de pays ont baissé le niveau nominal des retraites (par exemple la Grèce, ou le Portugal, avant que cette mesure ne soit annulée par les juges).

Les modifications des modalités de calcul des droits sont en revanche moins facilement compréhensibles et suscitent par conséquent souvent moins d'oppositions politiques. Il peut s'agir des règles définissant le salaire de référence ou encore les règles d'indexation des pensions. L'indexation sur les salaires a largement été abandonnée au profit d'une indexation sur les prix. Récemment, les pays ont joué sur les modalités de cette indexation bien que le faible niveau de l'inflation limite les économies ainsi réalisées.

Au cours des dernières années, on a pu observer la fin de programmes de retraite anticipée, qui avaient souvent été utilisés en réponse à la dégradation de la situation de l'emploi au cours des dernières décennies (allocation équivalent retraite en France, utilisation des dispositifs d'incapacité en Allemagne par exemple). Cet outil n'a ainsi pas été utilisé au cours de la dernière crise. Les nombreuses études démontrant notamment un effet négatif sur la qualité de la main d'oeuvre semble ici avoir eu un impact.

Les projections de l'OCDE et la comparaison avec les projections réalisées par le passé montrent que les réformes mises en oeuvre ont souvent permis de limiter l'augmentation tendancielle de la charge des retraites par rapport au PIB. Ce n'est cependant pas le cas partout, et notamment pas en France.

Diverses mesures ont été adoptées dans le but d'améliorer l'adéquation des prestations versées aux besoins. Au début de la crise, et avant que les difficultés budgétaires ne rendent ces mesures insoutenables, plusieurs pays ont mis en oeuvre des allocations exceptionnelles pour faire face à la chute des revenus des ménages âgés. Par la suite, les pays ont cherché à cibler davantage leurs dépenses en augmentant le nombre de prestations sous condition de ressources.

Les formules de calcul ont également été modifiées afin de renforcer la progressivité des taux de remplacement. Les Etats-Unis et la Suisse sont des exemples de pays dans lesquels le taux de remplacement décroît fortement avec le niveau de revenu.

Enfin, on a pu récemment observer un ciblage sur les bas revenus, par exemple au travers de mécanismes d'indexation graduée.

Au cours des dernières décennies, le risque de pauvreté s'est largement déplacé des personnes âgées vers les jeunes. Le taux de pauvreté des plus de 75 ans s'est ainsi largement réduit et est aujourd'hui proche du taux de pauvreté global. A l'inverse, le taux de pauvreté des moins de 26 ans a nettement progressé. Cette évolution permet d'expliquer en partie que le débat sur le partage des efforts entre les générations ait évolué au cours des dernières années.

Un certain nombre de mesures visant à inciter les personnes à travailler plus longtemps ont été développées par les pays de l'OCDE. On peut évoquer les mécanismes de surcote/décote, la fin des mécanismes de retraite anticipée déjà évoquée ou encore des incitations de nature fiscale. Les mécanismes de retraite partielle sont délicats à manier car ils peuvent entraîner une réduction du salaire de référence et, partant, du niveau de la pension. Ces dispositifs nécessitent donc une réflexion sur les modalités de calcul des droits à la retraite.

Parallèlement, et peut être paradoxalement, certains pays (France, Allemagne notamment) ont adopté des mesures de baisse de l'âge de départ à la retraite pour les carrières longues. Si ces mesures peuvent se justifier, les études menées en Allemagne montrent cependant que ces mesures ne bénéficient pas nécessairement à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir ceux qui ont eu une carrière pénible, précaire ou interrompue.

Par ailleurs, l'étude de l'écart entre l'âge légal (actuel et à long terme) et l'âge effectif de départ à la retraite montre que des évolutions importantes du marché du travail sont nécessaires pour que les réformes de l'âge légal aient un impact sur l'équilibre financier global du système de protection sociale.

De nombreux efforts ont par ailleurs été faits dans le sens d'une amélioration de l'efficience administrative des régimes de retraite. La recherche d'une baisse des coûts de gestion est notamment passée par des fusions entre régimes ou entre caisses, l'exemple extrême étant celui de la Grèce. On constate en effet que les réflexions sur l'unification des régimes progressent dans l'ensemble des pays, et que le régime distinct dont bénéficie le secteur public fait de plus en plus débat. On peut noter que les pays dans lesquels il existe une séparation complète entre les régimes (c'est-à-dire des caisses, des règles de calcul et des prestations distinctes), parmi lesquels la France et l'Allemagne, constituent une minorité au sens de l'OCDE. Le débat sur l'harmonisation des systèmes de retraite au sein des modèles nationaux sera, selon l'OCDE, un des grands sujets de débat à l'avenir. Au-delà des économies de gestion, une plus grande harmonisation favorise par ailleurs la lisibilité du système et la mobilité des travailleurs.

Des mesures visant à plus de transparence ont également été mises en oeuvre. Une simplification des démarches, dont le chèque emploi service en France est un exemple, permet de réduire l'emploi non déclaré (souvent en raison de la complexité des formalités administratives), et donc d'augmenter les recettes des régimes basés sur les cotisations.

Les régimes de retraite des pays de l'OCDE ont enfin été marqués par une diversification des sources de revenu des retraités. Il existe en la matière une grande disparité entre les pays. La France se distingue par des revenus du travail particulièrement faibles (alors que cette part est conséquente aux Etats-Unis ou en Corée notamment), mais des revenus du capital (épargne financière et revenus locatifs) plus importants. Ce phénomène s'explique par le large recours aux assurances-vie, et plus généralement par le niveau de l'épargne. Les revenus du capital sont même relativement plus élevés en France qu'en Allemagne malgré les incitations à l'épargne retraite individuelle qui y ont été mises en oeuvre (réformes Riester).

Avant de conclure ma présentation, je souhaiterais lister les défis identifiés par l'OCDE pour l'avenir :

- la situation financière des systèmes de retraite est tributaire de la reprise de la croissance économique et de l'amélioration de la situation de l'emploi, dont les aléas pèsent sur les rentrées de cotisations ;

- dans les systèmes de capitalisation, la remontée des taux de rendement est également nécessaire ;

- des évolutions sur le marché du travail, notamment une hausse du taux de participation des seniors sur le marché du travail, sont également indispensables ;

- la crise a entraîné une perte de confiance dans les marchés financiers, notamment dans les pays d'Europe de l'Est qui ont alors été tentés de revoir l'articulation de leurs systèmes de retraite entre répartition et capitalisation ;

- l'OCDE prévoit par ailleurs une évolution des débats nationaux sur le juste partage des efforts entres les générations. La situation à cet égard est différente d'un pays à l'autre, notamment au regard des disparités dans le processus de vieillissement de la population.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion