Nous recevons aujourd'hui le docteur Jérôme Frenkiel qui, au sein de l'assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), assure la responsabilité de l'information médicale des hôpitaux universitaires Paris Centre, et qui préside également le Synadim, syndicat national de l'information médicale.
La tarification à l'activité repose sur une connaissance précise des actes associés à chaque situation pathologique et des coûts de prise en charge des patients, ainsi que sur le classement aussi objectif que possible de chaque cas dans la grille tarifaire. La T2A a donc considérablement renforcé le rôle de l'information médicale, qui s'est développée à partir des années 1980 avec le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI). C'est pourquoi il nous a paru nécessaire d'entendre des responsables de cette fonction encore récente, mais cruciale dans le fonctionnement des établissements.
A travers cette audition, nous souhaiterions tout d'abord mieux comprendre le rôle des départements d'information médicale dans les mécanismes de financement des établissements. Très concrètement, en quoi consiste le codage, comment et sur quels critères est-il effectué et contrôlé, quelles sont ses incidences sur les ressources des établissements ?
Vous êtes à la charnière des préoccupations médicales et de gestion. Quels est le positionnement des départements d'information médicale par rapport à la direction, mais aussi par rapport aux services de soins ? Quelles sont également vos relations avec l'assurance maladie ? Disposez-vous, en termes d'effectifs et de formation, des moyens suffisant pour assurer vos fonctions ?
Enfin, de manière plus générale, comment évaluez-vous la mise en oeuvre de la T2A au cours de ces dernières années ? Quels sont les aspects positifs, mais aussi les difficultés soulevées par ce type de tarification ? Quelles améliorations devrait-on apporter ?
Dr Jérôme Frenkiel, président du Syndicat national de l'information médicale - Les départements d'information médicale (DIM) ont en charge deux grands types de missions : produire de l'information médicale et en contrôler la qualité ; exploiter ces données médicalisées à des fins statistiques.
La production de données médicalisées est nécessaire à la mise en oeuvre de la T2A. Le travail du service d'information médicale consiste à l'organiser en liaison avec les services de soins et la direction de l'établissement de santé. Nous exerçons un rôle de conseil auprès des personnels impliqués dans ce processus et nous effectuons des contrôles sur la manière dont il est réalisé. Le DIM est réputé garantir la qualité et l'exhaustivité des données. Une fois produites, contrôlées et validées, ces informations médicales sont transmises à la tutelle.
Une seconde série de missions relève de l'exploitation des données médicalisées, qu'il s'agisse de données de nature statistique, anonymes, ou de données nominatives. L'une des tâches principales vise à établir les prévisions d'activité pour l'année à venir, grâce aux données de l'année écoulée, afin d'en déduire une prévision de recettes. En collaboration avec la direction des finances de l'établissement, le DIM participe donc à la construction annuelle de l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD). De manière plus générale, il effectue un suivi de l'activité et des recettes, sous forme de tableaux de bord. Il répond également à des demandes d'analyses ou d'expertises des services de soins et de la direction. Il peut réaliser des études à vocation médicale, mais également des analyses de nature stratégique, par exemple sur les projets d'extension de capacités, sur le dimensionnement des investissements au regard de l'activité ou sur l'évolution des parts de marché de l'établissement pour une activité donnée ou les caractéristiques du recrutement des patients.
Dans les procédures de financement, les DIM exercent un rôle essentiel de production de données et d'analyse.
S'agissant plus spécifiquement de la mise en oeuvre de la T2A, mon sentiment est que le modèle de tarification a désormais acquis une très grande complexité. On peut se demander s'il n'a pas dépassé le stade où il pouvait encore rester maîtrisable. Nous sommes amenés à coder les pathologies, les actes médico-techniques, mais aussi les médicaments coûteux ou les dispositifs médicaux implantables. Les règles sont de plus en plus complexes. L'établissement où j'exerce totalise environ 120 000 séjours par an. Pour chaque séjour, nous procédons au codage d'une dizaine de pathologies en moyenne, et chaque pathologie doit être choisie parmi 70 000 possibilités !
Etant donné le volume considérable de l'information produite, on peut dire que l'activité des services d'information médicale est de nature industrielle. Elle requiert des éléments méthodologiques et culturels assez éloignés de ceux traditionnellement en vigueur à l'hôpital. Ces services sont néanmoins au coeur d'enjeux très importants, car la performance des méthodes mises en oeuvre conditionne directement le niveau des recettes. Une plus ou moins grande maîtrise de ces méthodes en matière d'information médicale peut entraîner des écarts de ressources de 5 à 10 % entre établissements.
Depuis la mise en place de la T2A, les DIM sont extrêmement sollicités. Jusqu'en 2004, le corps médical portait un intérêt très relatif pour le PMSI. Du jour au lendemain, la T2A a créé une contrainte de résultat très prégnante. Ceci pose très directement la question des moyens dont disposent nos services pour exercer leurs missions, à savoir le nombre et plus encore la qualification de leurs personnels. Nous constatons un véritable hiatus entre la complexité des tâches et le niveau d'exigence requis d'une part, et d'autre part l'absence de formation spécifique, sanctionnée par un diplôme, en matière d'information médicale.
Il faut également souligner que les DIM se trouvent dans une situation institutionnelle spécifique, non définie par la loi. Ce sont des services médicaux, dirigés par un médecin. Ils ont une responsabilité explicite en termes de confidentialité et de sécurité des données, car ils gèrent des informations nominatives. Ils entretiennent des relations privilégiées avec les services de soins, mais également avec la direction de l'établissement, notamment la direction des finances. Mais leur rattachement institutionnel ne fait pour l'instant l'objet d'aucune préconisation. Faut-il les intégrer aux pôles médicaux ou à la direction ? Tout cela n'est pas défini. On constate une grande diversité de situations, pas nécessairement consensuelles, ni adaptées au meilleur exercice des missions.
Le Conseil de l'ordre des médecins a rappelé l'importance de l'indépendance d'expert des services d'information médicale. Celle-ci ne doit pas être obérée par les choix d'organisation interne de l'hôpital. Nous souhaitons une recommandation permettant de clarifier la situation institutionnelle de nos services et de garantir leur indépendance d'expert tout en assurant une parfaite synergie avec la direction et l'exécutif de l'hôpital.
Je reviens sur les enjeux liés à la qualité de l'information médicale. Une pratique minimaliste en matière de production de données médicales, telle qu'on la constate dans beaucoup de services de soins dont ce n'est ni le coeur de métier ni la priorité, ne pénalise pas seulement la performance de la facturation. C'est également la qualité et la sécurité des soins qui sont en cause, par exemple lorsque les effets indésirables des médicaments, les complications des patients, les infections nosocomiales ou les bactéries multirésistantes ne sont pas systématiquement pris en compte.
S'agissant de la T2A elle-même, je n'ai pas de doute sur la pertinence de ce modèle de tarification. Il vise une juste répartition de la ressource entre les établissements. Un changement fondamental est intervenu en 1984, avec la dotation globale. Le financement des hôpitaux a été défini a priori, dans le cadre d'une enveloppe fermée fixée au plan national. Cela est bien en accord avec le principe même de l'assurance maladie, dont les ressources découlent des cotisations. Toutefois, en 1984, il n'était pas possible de répartir cette enveloppe autrement que sur une base historique, en reconduisant année après année les recettes des établissements telles qu'elles s'établissaient jusqu'en 1983. La T2A permet la transition vers un modèle beaucoup plus légitime, attribuant la ressource en fonction de l'activité réelle des hôpitaux et de la complexité des pathologies qui y sont traitées.
La T2A présente un caractère normatif. Les ressources sont réparties en fonction des actions que l'hôpital est supposé avoir engagé dans la règle de l'art, compte tenu des situations cliniques qu'il doit gérer. C'est le diagnostic, et non pas les actes, qui constitue le centre de gravité du système de tarification. Le modèle possède donc une légitimité forte. Son évolution est d'ordre technique et vise à mieux prendre en compte la réalité de la situation du patient.
La T2A est cependant devenue très complexe. Les compartiments de financement se sont multipliés : les missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation (Migac), les missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (Merri), les financements spécifiques pour les dispositifs médicaux implantables, les médicaments coûteux, les prélèvements d'organes, les urgences, les actes facturés à part, la réanimation et les soins intensifs, les soins palliatifs ... Toutes ces évolutions sont justifiables, mais leurs conséquences techniques, sur le terrain, n'ont pas été suffisamment évaluées. Il est devenu de plus en plus difficile de produire cette information médicale avec la fiabilité qui serait nécessaire.
Je voudrais également souligner la dimension juridique de notre travail. Les pathologies sont diagnostiquées par les équipes médicales. Le codage consiste à les traduire dans un langage utilisable par les systèmes d'information. C'est une étape essentielle et complexe. Dans la mesure où la facturation, et donc le financement, sont en jeu, la robustesse juridique du codage est cruciale. Or elle ne va pas de soi, comme nous le constatons dans les discussions complexes auxquelles donnent lieu les contrôles de l'assurance maladie. Ce contentieux n'a pas fait émerger de véritable jurisprudence et les établissements éprouvent un grand sentiment d'insatisfaction à l'égard des procédures de contrôle. Certains établissements ont souhaité discuter en amont des questions liées au codage avec l'assurance maladie, mais celle-ci n'a pas donné suite à leurs demandes.
Au plan technique, la mise en oeuvre de la facturation individuelle dans les hôpitaux publics est en préparation. Cette facturation « au fil de l'eau », plus rapide, permettrait une meilleure gestion de la trésorerie. Elle suscite cependant l'inquiétude des établissements car elle suppose une adaptation complexe des systèmes d'information. Mon sentiment est que les établissements ne sont pas prêts techniquement pour passer à court terme à la facturation individuelle.
Enfin, certaines fédérations hospitalières soulignent que nous sommes le pays donnant à la T2A la plus grande part dans le financement des hôpitaux. Je pense qu'il faudrait aussi insister sur le fait que l'information médicale est en partie produite par des cliniciens dont ce n'est pas le coeur de métier, accompagnés par des services d'information médicale pour lesquels n'existe aucune formation spécifique validée par un diplôme. Les pays anglo-saxons ont une grande avance en matière de professionnalisation des métiers de l'information médicale.