J'ajoute à la liste des documents traitant du sujet qui nous occupe le rapport publié par l'ANSM fin 2012, qui présente la situation des génériques en France et dans le monde.
Si l'on en revient aux définitions, un générique est un médicament dont la qualité, la sécurité et le principe actif sont les mêmes que ceux du médicament princeps car la forme pharmacologique, la biodisponibilité et la bioéquivalence sont les mêmes. Un médicament se caractérise par son principe actif, son efficacité, par sa capacité de distribution dans le corps.
Du point de vue de la mise sur le marché, les médicaments génériques sont traités exactement comme les autres médicaments. Vous savez qu'entre 3 000 et 5 000 substances actives sont autorisées en France et 1 000 sont inscrites au répertoire des génériques pour environ 7 000 spécialités. Les génériques sont donc bien représentés parmi les médicaments disponibles.
Les médicaments génériques sont soumis comme les autres à une évaluation préalable à la commercialisation, l'autorisation de mise sur le marché (AMM), qui est dans 80 % des cas, nationale. Ce travail constitue une part importante de l'activité de l'agence. Par nature, il n'y a pas, dans un dossier d'AMM de générique, d'étude clinique démontrant la relation bénéfice risque pour une maladie spécifiée et dans une indication précise. Ce travail n'a pas à être refait puisque le principe actif et la distribution dans l'organisme sont les mêmes que ceux du médicament princeps. L'AMM se fait donc principalement sur la base d'un dossier pharmaceutique et d'une évaluation de la bioéquivalence. Certains médecins disent que les génériques ne sont pas testés. Mais à partir du moment où les critères de bioéquivalence sont réunis, l'effet thérapeutique est le même. A chaque fois, le même principe actif est utilisé dans les médicaments produits.
Une fois les génériques autorisés, ils entrent, depuis 2004, dans un répertoire, ce qui est une spécificité française. C'est cela qui permet à tous les acteurs de la prescription et de la distribution d'opérer des substitutions en toute transparence.
Les génériques par voie injectable, qui sont très peu nombreux, ne font pas l'objet d'une étude de bioéquivalence car on vérifie qu'il s'agit du même produit, à la même dose, dans une même ampoule. Une fois injecté dans l'organisme, le médicament produira le même effet que le princeps car c'est strictement le même produit. Certains le contestent, notamment dans le cas de la vancomycine colombienne ; une étude en Colombie montrerait qu'elle est moins efficace que la vancomycine d'origine. Nous avons contesté cette approche. Nos laboratoires de contrôle ont fait une étude in vivo chez l'animal, qui a établi l'équivalence entre les formes de vancomycine générique et le principe actif d'origine.
Il faut le maximum de transparence et d'information pour que la population soit bien consciente que le générique n'est pas un médicament au rabais. Ce n'est pas parce qu'ils sont moins chers qu'ils sont de moins bonne qualité. Or, il est légitime qu'ils soient moins chers puisque moins d'études cliniques sont conduites pour leur mise sur le marché. L'agence autorise, mais aussi interdit, des médicaments génériques en utilisant un système d'information mais aussi d'inspection et de contrôle. Nous avons diligenté de nombreux contrôles et testé certains génériques dans nos laboratoires. Nous déclenchons aussi des campagnes d'inspection. Certains se demandent si les génériques sont moins chers parce qu'ils sont moins bien produits ou qu'ils le sont dans des pays où les inspections sont moins contraignantes. Nos inspections sont coordonnées avec l'Agence européenne du médicament et la Food and Drug Administration des Etats-Unis. Elles trouvent parfois des anomalies graves ou mineures car elles sont ciblées sur les médicaments pour lesquels nous avons un doute. Les inspections de routine ne montrent pas de différence entre les conditions de production des génériques et des princeps. Nous avons une politique de surveillance identique pour les deux et bien souvent ce sont d'ailleurs les mêmes firmes qui les commercialisent en utilisant les mêmes chaînes et modes de production.
Comme tout médicament qui contient un principe actif, il y a des bénéfices et des risques et nous exerçons donc une vigilance. Nous n'avons repéré aucun indice particulier qui indiquerait que les incidents sont plus fréquents pour les génériques que pour les princeps. L'agence travaille globalement pour la sécurité des patients et surveille l'ensemble des classes de médicaments. Nous ne laisserons pas sur le marché un principe actif dangereux.
Reste une question, celle de l'efficacité de la politique du générique. Nos maîtres mots à l'ANSM sont transparence et réactivité. Ce n'est pas parce qu'un médicament est autorisé qu'il faut l'utiliser. L'abus du médicament a toujours des effets néfastes. Un médicament se situe dans des indications particulières. Dans certaines situations médicalement sensibles, notamment chez les personnes âgées ou dans les cas de personnes greffées ou souffrant d'une épilepsie chronique, une substitution forcée peut entraîner une perte de confiance. Des dispositions législatives existent désormais pour permettre que l'apparence du générique soit identique à celle du princeps. Mais pour les malades chroniques qui ont été péniblement équilibrés avec un médicament, la substitution peut être source de doute et nous sommes donc particulièrement attentifs à ces situations. Elles sont heureusement rares. La relation entre le malade, le prescripteur et le distributeur est aussi un gage de sécurité et d'acceptabilité.
Pr Alain Astier, membre de l'Académie nationale de pharmacie. - L'Académie nationale de pharmacie a adopté un rapport fin 2012 avec une approche purement scientifique. Nous avons ainsi conduit une étude systématique de la littérature scientifique accessible, fait une analyse bibliographique et une méta-analyse.
Nous avons cherché à savoir si la bioéquivalence, c'est-à-dire le fait qu'un médicament absorbé arrive à la même vitesse et avec la même quantité dans l'organisme, entraîne l'équivalence clinique. C'est sur ce point que porte une partie des contestations. Certains contestent la fiabilité des études de bioéquivalence et même si les produits sont bioéquivalents, on affirme qu'il y a des différences cliniques. Or, aucune étude dont on peut s'assurer de la pertinence ne montre de différence significative entre les génériques et les princeps. Très souvent, les laboratoires de princeps sont leur propre « génériqueur » et tiennent un double discours devant les pharmaciens hospitaliers. Il y a beaucoup d'intérêts et de lobbies qui agissent sur cette question, alors que la France utilise près de trois fois moins de génériques que les Etats-Unis et qu'en Allemagne, le taux de recours au générique est de 63 % ou 64 % alors que nous sommes à 25 % en France. Il y a là une spécificité française qui n'est pas fondée sur un « rationnel » scientifique. Une étude a d'ailleurs montré que le même médicament, quand il est prescrit avec empathie, de manière neutre ou avec réticence, produit respectivement 60 %, 40 % et 20 % d'efficacité ! L'attitude du médecin, dans certaines pathologies où le facteur psychologique est important dans la survenue de signes cliniques objectifs, produit donc un facteur trois d'efficacité. Il y a une part objective et une composante psychologique. L'effet placebo ou nocebo est connu. C'est un élément important.
La somme totale de l'efficacité d'un médicament est composée des éléments objectifs et des facteurs extrinsèques. Il faut donc faire attention à la manière dont est présenté le recours au générique. D'ailleurs, quand, dans le cadre d'une étude, on fait passer le princeps pour le générique, on note les mêmes variations en termes d'efficacité. Aujourd'hui donc, aucun élément ne permet de dire objectivement qu'un générique soit moins efficace qu'un princeps. Il faut cependant que le traitement soit le même. Le problème de l'observance est un problème majeur. Par exemple, la moitié des patients hypertendus ne prennent pas leurs traitements. La chronicité fait que le patient ne prend pas son médicament. Si l'on ajoute à cette non-adhésion spontanée de tout patient une pression relative à l'efficacité du médicament, il se passe quelque chose. Le manque de confiance plus ou moins entretenu à l'égard des génériques doit donc être combattu.
Pr Jean-Paul Tillement, membre de l'Académie nationale de médecine. - Le rapport de l'Académie de médecine a sans doute été le premier publié avec le retentissement que vous avez évoqué. L'Académie a pris acte sans ambiguïté de l'utilisation du générique, sachant qu'il s'agit d'une décision mondiale et généralisée. La seule question est que les génériques proposés doivent être parfaitement adaptés à la substitution et il faut que celle-ci se fasse sans aucune difficulté. L'Académie s'est auto-saisie suite à des demandes de praticiens qui ont signalé des différences d'efficacité et des problèmes d'identification. Le rapport a été confié à un praticien prescripteur de génériques dans des maladies chroniques. Avec quels médicaments a-t-on observé des plaintes ? Quelle est leur véracité ? La littérature internationale montre globalement une bonne bioéquivalence entre génériques et princeps.
La conclusion du rapport est sans ambiguïté, elle tient dans le titre même du rapport « La place des génériques dans la prescription ». Il faut un effort de pédagogie pour expliquer que les médicaments génériques, mêmes s'ils ne sont pas identiques aux princeps, sont équivalents et peuvent parfaitement être substitués. C'est notre première recommandation.
Je souhaite néanmoins faire état des difficultés rencontrées face aux différences de présentation entre générique et princeps. Les couleurs, le recours à une gélule moins coûteuse qu'un comprimé ou les présentations sous forme de comprimés multi-sécables, parfois quadri-sécables, peuvent faire perdre leurs repères aux patients ou rendre la prise du traitement plus difficile.
S'il n'y a pas de cas d'allergie avéré aux excipients utilisés par les génériques, je signale un article de presse indiquant qu'un collyre générique a semblé poser des problèmes de tolérance.
Il y a un problème d'acceptabilité de certains médicaments génériques. La bioéquivalence doit également être surveillée spécialement pour certaines classes pharmacologiques signalées dans la littérature internationale.
Nous pensons qu'il faut limiter au maximum les changements de médicaments chez un même malade. Surtout, il ne faut pas multiplier les changements de génériques chez un même patient car il perdra ses repères. On pourrait privilégier le fait de commencer les traitements avec le générique. La fidélité du malade au pharmacien et la mise en place du dossier pharmaceutique peuvent permettre un meilleur suivi.
La prescription en dénomination commune internationale (DCI) est également à développer pour limiter les risques de confusion liés au nom de spécialité.
Pr Jean Sassard, membre de l'Académie nationale de médecine. - Je souhaite insister sur la nécessité que la présentation du générique soit la même que celle du princeps. Par ailleurs, quand un patient est équilibré avec un médicament il ne faut pas le changer.
Je trouve également la définition de la bioéquivalence dans les textes particulièrement obscure et je pense qu'il faudrait lui trouver une alternative qui permettrait une argumentation plus facile.
Enfin, la délocalisation de la production des médicaments génériques impose, à mon sens, une accréditation des structures de contrôle permettant d'éviter les distorsions.
On voit bien la difficulté qui résulte de l'oscillation entre le vécu, le ressenti et les données objectives. Je souhaite souligner que ce problème n'est pas propre aux génériques qui ont soigné de très nombreuses personnes dans le monde, mais qu'il concerne tous les médicaments.
Le concept de bioéquivalence peut paraître obscur mais il s'agit d'un texte opposable aux firmes pharmaceutiques. Il est donc préférable qu'il soit compris par ceux à qui il s'impose plutôt que par le grand public.
Il faut également que nous évoluions dans nos pratiques au regard du médicament. Les reconnaître à la couleur est toujours dangereux. La présentation identique est possible, reste à savoir si les firmes le feront. Mais le principe actif sera de toute façon le même.
Il me semble qu'il ne faut pas forcer les situations médicales dramatiques et user de bon sens en matière de substitution surtout quand les gains économiques réels seraient faibles.
Pr Alain Astier. - La prescription en DCI qui est prévue par la loi devrait régler un certain nombre de problèmes.
Par ailleurs, à l'hôpital, on ne connait pas toutes ces discussions autour des génériques, nous les utilisons largement et s'il existait le moindre problème, ça se saurait !
Même sur des produits à marge thérapeutique étroite, le générique est donc pleinement efficace et il permet des économies substantielles. S'il est évidemment nécessaire de prendre des précautions dans des cas tout à fait particuliers, une politique ne se fait pas sur de tels cas. Il me semble donc que la polémique est close.