Le rapport de l'Igas de septembre 2012 a en effet examiné la politique française des médicaments génériques, qui s'est développée comme un outil de régulation des dépenses de médicaments. Les objectifs poursuivis sont divergents voire contradictoires, puisqu'il faut tenir compte à la fois des intérêts des laboratoires, qui investissent des sommes importantes dans l'innovation, et de la maîtrise des dépenses de santé, tout en sensibilisant les professionnels et les patients. En France, le prix des médicaments génériques n'est pas formé par le libre jeu de l'offre et de la demande, compte tenu de l'instauration de mécanismes de décote fixés par rapport au princeps. La volonté initiale des pouvoirs publics de mobiliser les médecins n'a pas été couronnée de succès. Ils se sont alors appuyés sur les pharmaciens, ce qui a été mal vécu par le monde médical, d'où aujourd'hui encore des réactions fréquemment défavorables des médecins à l'égard des génériques, même si celles-ci sont peu étayées par des arguments scientifiques valables.
La consommation de génériques est inférieure en France à celle des autres pays européens, avec un essoufflement marqué à partir de 2008. Comment expliquer cette situation ? Je pense tout d'abord que l'argument du moindre coût des génériques n'était pas forcément le meilleur moyen de rassurer les patients, enclins à établir spontanément un lien entre la valeur d'un bien et son prix... En outre, les médecins, insuffisamment associés au dispositif, ont peut-être été influencés par une information quelque peu partisane, ce qui n'a pas contribué, là non plus, à rassurer les patients. Par ailleurs, les laboratoires qui n'avaient pas intérêt à voir se développer les génériques ont tout d'abord tenté de gagner du temps par des procédures judiciaires et ont parfois ciblé les leaders d'opinion du monde médical, notamment les professeurs de centres hospitaliers universitaires (CHU). Pour atteindre en bout de chaîne les médecins généralistes, diverses méthodes ont été utilisées, la plus connue étant la vente à bas prix de médicaments princeps aux établissements de santé, ce qui permet d'orienter structurellement les prescriptions tant hospitalières qu'ambulatoires.
En outre, deux polémiques ont porté préjudice aux génériques.
S'agissant de la notion de bioéquivalence, on entend régulièrement des médecins déplorer que la disponibilité dans le sang du principe actif des médicaments génériques peut varier entre moins 20 % et plus 25 % par rapport à celle du princeps. Mais cet intervalle de confiance statistique n'est pas spécifique aux médicaments génériques et n'a rien à voir avec la disponibilité plasmatique du produit. L'efficacité d'un médicament, qu'il soit générique ou non, peut varier de 3 % à 5 % et dépend surtout, on le sait, de la variabilité individuelle. Par conséquent, ce procès fait aux médicaments génériques d'avoir des taux plasmatiques qui varient énormément par rapport aux princeps est un mauvais procès.
Autre polémique déplacée, la question des excipients à effets notoires, qui se pose exactement dans les mêmes termes pour tous les médicaments. Autrement dit, les médicaments génériques ne sont pas fabriqués avec des sous-excipients de moins bonne qualité. Ce sont les mêmes excipients et il faut prendre les mêmes précautions, que ce soit un générique ou un princeps.
Nous avons examiné dans notre rapport pratiquement toutes les études rédigées en français et en anglais sur les médicaments génériques. De cette méta-analyse, nous pouvons conclure qu'il n'y a pas de supériorité des princeps sur les génériques, mais que le changement de médicament, quelle que soit sa nature (substitution d'un générique à un princeps, substitution d'un princeps à un générique ou encore remplacement d'un générique par un autre générique), entraîne toujours des risques, souvent d'ordre psychologique - c'est ce qui est appelé l'effet nocebo.
La difficulté vient de ce que des patients souffrant de maladies chroniques ou traités pour des facteurs de risque (cholestérol, hypertension par exemple) ont suivi, parfois pendant des décennies, le même traitement. Or, aujourd'hui, les repères sont brouillés car un patient, tout en conservant la même molécule active, peut changer de génériques tout simplement en changeant de pharmacie.
Les études de bioéquivalence, réalisées majoritairement par des centres cliniques en Asie sur un panel de douze à trente-six volontaires sains, suscitent deux types d'interrogations. Les caractéristiques des individus de ce panel, par exemple leur poids ou leur mode de vie, n'entrainent-elles pas un biais par rapport au public occidental ou français ? Ces centres sont-ils suffisamment contrôlés ? Bien souvent, ils ne subissent qu'un seul contrôle de l'agence de sécurité sanitaire, sauf si l'inspection a révélé des problèmes. C'est pourquoi l'agence américaine compétente, la FDA (Food and Drug Administration), a ouvert l'an passé trois centres en Chine pour avoir des bases d'inspection opérationnelle réparties sur le territoire. Même si aucun problème réel n'a été aujourd'hui constaté, il est souhaitable que l'Europe, sous l'égide de l'Agence européenne des médicaments, développe également le contrôle des entreprises à l'étranger, et notamment de leurs sous-traitants.
Parmi les principales préconisations du rapport, il convient d'insister sur la nécessité d'augmenter la décote de 20 % pour le prix du princeps lorsque le brevet est tombé, car les coûts de développement sont alors largement amortis. Il faut également lutter contre les règles tarifaires avantageuses indûment accordées aux médicaments « me too », qui sont souvent de fausses innovations modifiant à la marge la composition d'un princeps, et dont l'amélioration du service rendu est faible, comme en témoignent deux récentes molécules dont je tairai le nom...
Ensuite, comme on l'a vu, il faut agir auprès des pharmaciens pour promouvoir la stabilité de la délivrance des génériques, pas seulement pour les personnes de plus de soixante-quinze ans, mais pour tous les patients. Le risque est faible, mais le changement de médicaments pourrait un jour aboutir à un accident dont on parlera beaucoup.
Il faut aussi encourager les médecins à recourir, lors de leurs prescriptions, à la dénomination commune internationale (DCI), ce qui est théoriquement obligatoire depuis 2009 lorsqu'ils prescrivent dans le répertoire. Ceci nécessite la certification et la généralisation des logiciels d'aide à la prescription, ainsi que des subventions à leur acquisition, notamment au bénéfice des médecins généralistes, dont le spectre des pathologies à traiter est très étendu. La DCI devrait d'ailleurs apparaître de manière plus visible que le nom commercial du médicament sur les boîtes pour sensibiliser et habituer les patients.
Il faut enfin que l'Europe développe les inspections des centres cliniques situés à l'étranger et relocalise une partie de la production des matières premières des médicaments. De fait, 80 % des matières premières de médicaments sont aujourd'hui fabriquées à l'international, et notamment en Asie. Une telle relocalisation permettrait de lutter contre les phénomènes de rupture de stock et faciliterait les contrôles.