L'économie du médicament générique se concentre autour de quatre déterminants : le périmètre, c'est-à-dire la surface du répertoire et dans quelles conditions il est possible d'y entrer ; le volume, c'est-à-dire le taux de substitution ; la prescription ; le prix.
Il faut rappeler que la France, qui a fait des progrès significatifs ces dix dernières années, malgré un essoufflement entre 2008 et 2012, reste loin du compte par rapport à certains de nos voisins. Dans notre pays, les génériques représentent, en valeur, 20 % du marché et 27 % des boîtes vendues, alors qu'en Allemagne ils comptent pour 35 % à 40 % du marché et les deux tiers des boîtes vendues. La marge de progression est donc très importante.
L'année 2012 a été marquée par un pic de générication considérable, qui n'est malheureusement pas reproductible : les prochaines années verront le retour d'un chiffre d'affaires des médicaments entrant dans le répertoire qui ne dépassera pas 350 millions d'euros par an, avec une stagnation en 2016 des entrées dans le répertoire. Celui-ci continuera à se développer normalement, sans reproduire les résultats de l'an passé.
Entre 2008 et 2012, le taux de substitution a régressé, passant de 82 % à 72 %. La mesure « tiers payant contre génériques » a eu des effets spectaculaires, puisque le taux de substitution se situe à nouveau entre 83 % et 84 %. C'est un mécanisme d'intéressement des pharmaciens d'officine, dont une part de la rémunération varie en fonction de l'atteinte des objectifs fixés par la convention signée avec la Cnam. Il fonctionne, mais va-t-on pouvoir maintenir ce niveau ou même encore progresser ? Un taux de 90 % n'est pas inenvisageable, dès lors que les efforts sont poursuivis.
Il y a un débat sur le niveau élevé des prix des génériques en France par rapport à ceux constatés dans d'autres Etats-membres de l'Union européenne comme l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. De nombreuses études ont été réalisées, en particulier par la Cnam ; certains les contestent, ce qui n'est pas mon cas. D'où viennent ces différences ? Tout d'abord du modèle d'achat public. Nos voisins achètent en gros, sur la base de procédures similaires à des appels d'offres nationaux (Allemagne, Pays-Bas) ou par le biais de chaines de pharmacies très puissantes (Royaume-Uni), regroupant plusieurs dizaines ou centaines d'établissements et dont la capacité d'achat est très importante. C'est un modèle économique différent de la fixation administrée des prix qui prévaut en France.
La seconde raison est illustrée par la décomposition analytique du coût d'un médicament générique. Depuis 1999, les pouvoirs publics font reposer la politique de développement des génériques sur le pharmacien d'officine. Il est intéressé à la substitution : le tiers payant contre génériques en est le dernier épisode. La marge d'un médicament générique n'est pas calculée sur la base du prix du fabricant de ce médicament mais sur celle du princeps. Il est donc beaucoup plus intéressant d'avoir une marge sur le générique que sur le princeps. Par ailleurs, entre le prix public et celui du fabricant, les « marges arrières » sont plafonnées à 17 % pour les génériques depuis la loi Chatel de 2008, tandis qu'elles sont de 2,5 % pour les princeps. En sus, des coopérations commerciales existent souvent : une part significative du prix fabricant hors taxes revient donc au pharmacien d'officine. J'y vois potentiellement une des raisons de l'écart de prix entre la France et certains pays étrangers concernant les génériques. Des études approfondies sont sans doute nécessaires, mais ce sujet devra être traité.
Plusieurs facteurs pourraient expliquer ce prix plus élevé des génériques.
Est-ce lié aux marges des fabricants ? Il semblerait que la rentabilité des génériqueurs français soit comparable à celle de leurs concurrents. Le prix de revient industriel serait-il différent entre fabricants français et étrangers ? C'est peut être une explication : le recours au marché dans un cadre très concurrentiel, comme aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, incite les génériqueurs à importer leurs produits plutôt qu'à les produire localement. Pour un euro, quelques centimes sont sans doute économisés de cette façon, mais cette technique a des conséquences en termes de coûts supplémentaires, par exemple de transport, de situation sociale et de confiance dans les médicaments qui dépassent un cadre purement économique. En France, les pouvoirs publics sont aujourd'hui attachés à une production avant tout européenne, ce qui est aisément compréhensible.
Enfin, les coûts de distribution sont-ils trop élevés ? Je pense que c'est un facteur important de l'écart des prix des génériques entre la France et l'étranger. Le mode de rémunération des pharmaciens d'officine doit être examiné. En France, ils sont rémunérés plus que proportionnellement au prix du générique. En Allemagne, au contraire, la déconnexion est totale. Les pharmaciens sont rétribués au forfait, à la boîte, que ce soit un générique ou un princeps. Au Royaume-Uni, 80 % de la rémunération des pharmaciens est liée à la délivrance du médicament, c'est-à-dire à la feuille de soins. Seulement 20 % sont liés à la distribution directe du générique.
Le Ceps s'est saisi depuis plusieurs années de la question du prix des génériques. Le prix ab initio est aujourd'hui fixé en appliquant une décote de 60 % par rapport au prix du princeps. Au bout de dix-huit mois, si le taux de substitution est jugé insuffisant, une seconde baisse de 12,5 % est appliquée. Le prix du stock des médicaments génériques est également examiné. En octobre 2012, lors d'un comité de suivi des génériques, une baisse de prix a été décidée après comparaison avec les prix européens. Cette mesure rapporte 90 millions d'euros en année pleine. En septembre prochain, nous renouvellerons la procédure, avec un impact financier similaire. Nous réalisons également des mesures de classes : l'an dernier les inhibiteurs de la pompe à protons, cette année les statines. Dans ce cas, les princeps génériqués et les génériques correspondant font l'objet d'une baisse de prix. Enfin, des baisses peuvent être décidées au fil de l'eau, dans le cadre de l'activité générale du Ceps. Au total, entre 150 et 200 millions d'euros ont été économisés. Notre cible est le niveau de prix allemand, 20 % inférieur au nôtre. Nous nous en approchons progressivement. La question des prix est donc traitée au fur et à mesure des générications mais également par le réexamen du stock des génériques.
Le rapport de l'Igas précise qu'une hausse d'un point de la substitution ferait économiser 14 millions d'euros à l'assurance maladie. La même hausse en matière de prescription dans le répertoire aurait comme conséquence une économie de 89 millions d'euros, soit nettement plus que les autres moyens d'action. Voilà donc le facteur sur lequel il faut agir pour tirer le meilleur profit pour l'assurance maladie du développement des génériques. De nombreuses propositions en ce sens ont été faites ; certaines commencent à être mises en oeuvre afin de favoriser la prescription dans le répertoire. C'est le cas du contrat d'amélioration des pratiques individuelles (Capi), mais on pourrait également imaginer un système de bonus-malus. Le développement de la prescription en dénomination commune internationale (DCI), éventuellement au moyen de logiciels d'aide à la prescription, serait également une solution. Les Suédois s'appuient, quant à eux, sur une liste de référence des produits usuels. Ne faudrait-il pas contrôler plus systématiquement les ordonnances où figure la mention « non substituable » ? A terme, pourquoi ne pas s'acheminer, comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni, vers un objectif médicalisé de prescription pour chacun des prescripteurs, afin de les inciter à recourir davantage aux génériques. Ce dispositif est une des raisons pour lesquelles le marché des génériques y est aussi développé.