Intervention de Christian Müller

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 25 septembre 2013 : 1ère réunion
Agences régionales de santé — Audition de Mm. Christian Müller président de la conférence des présidents de commissions médicales d'établissement de centres hospitaliers spécialisés cme de chs joseph halos président et gilles moullec secrétaire général adjoint de l'association des établissements participant au service public de santé mentale adesm

Christian Müller, président de la Conférence des présidents de CME de CHS :

Tout d'abord, je souhaite vous remercier de nous avoir conviés à vos travaux. Il s'agit d'un moment très important pour nous alors que, tout récemment encore, la ministre des affaires sociales et de la santé faisait savoir que la psychiatrie, et la santé mentale de manière plus générale, constituaient une priorité indispensable et trop souvent négligée. Ne négligez donc pas la psychiatrie !

La conférence est la représentation institutionnelle des présidents de CME des établissements monodisciplinaires en psychiatrie. Vous avez déjà reçu le président de la conférence des hôpitaux généraux et celui des hôpitaux universitaires. Les CHS représentent environ quatre-vingt-dix établissements monodisciplinaires sur l'ensemble du territoire national, outre-mer compris, soit plusieurs milliers de structures gérées par ces établissements, ce qui en fait un maillage assez exceptionnel et unique en son genre, du point de vue international, en termes de proximité et de continuité des soins.

Représentant plus de vingt régions, nous participons à l'élaboration de textes législatifs et réglementaires, comme les récents décrets sur les CME ou les modifications de la loi de 2011. Vous avez, à ce sujet, reçu un certain nombre de nos collègues. Nous sommes satisfaits des propositions qui ont été retenues ; elles correspondent pour l'essentiel à celles que nous avions nous-mêmes faites.

Nos partenaires, au-delà des cabinets ministériels et des directions d'administration centrale, sont la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap), mais aussi les représentations des usagers, des proches et des familles, qui sont au côté de la psychiatrie et de la santé mentale depuis plus de vingt ans, fait unique en Europe et même ailleurs. Nous avons également engagé des travaux avec le Collège de médecine générale et les organisations syndicales professionnelles.

Pour en venir au sujet des ARS, celles-ci nous semblaient constituer une idée qui allait dans le bon sens, le travail avec les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) nous ayant paru plutôt satisfaisant. L'échelon régional apparaît en effet à même de planifier et définir les politiques publiques en psychiatrie, mais il est aussi pertinent pour évaluer les besoins de santé et, le cas échéant, pour rééquilibrer l'offre de soins. C'est également le bon échelon pour l'organisation de certaines ressources spécialisées de soins et d'accompagnement, comme les services médico-psychologiques régionaux (SMPR), les structures de recherche en santé mentale, en partenariat avec les centres hospitaliers universitaires (CHU), ou encore les structures de formation.

L'idée de rassembler un maximum de compétences de santé en une seule entité pour combattre le « millefeuille administratif » et dans une approche englobant le champ médical, médico-social et social correspondait à nos attentes et à notre pratique dans le domaine de la psychiatrie, discipline par essence transversale, qui revêt un certain nombre de spécificités et fait aussi l'admiration de l'étranger.

La possibilité de disposer d'un seul interlocuteur pour les acteurs de santé nous semblait positive, tout comme la meilleure place accordée au secteur associatif, notamment les représentations des usagers. L'idée était pleine de promesses pour les établissements ayant fait l'expérience positive des ARH et le fait de pouvoir disposer d'un pilote régional pour mieux définir et planifier les besoins paraissait intéressant.

Force est pourtant de reconnaître que l'installation des ARS a posé, depuis trois ans, un certain nombre de problèmes sur lesquels je voudrais revenir rapidement. Pour ce faire, nous avons bien évidemment rassemblé les informations de nos correspondants régionaux.

Il existe d'abord une grande hétérogénéité entre les régions. Dans certaines, les relations avec les ARS sont excellentes et correspondent à ce que nous pouvons en attendre. Dans d'autres, au contraire, les relations avec nos établissements sont assez difficiles. On recense ainsi une région dont nous sommes totalement satisfaits et deux autres où les relations sont très tendues.

Un excellent dispositif ne peut malgré tout fonctionner si les personnes ne s'entendent pas ; au contraire, un dispositif complexe, où existe la volonté d'aboutir, peut très bien fonctionner.

Au-delà de ces aspects, des tendances générales peuvent être dégagées. Force est de constater que l'intégration de différentes administrations, organismes et professionnels ne peut se faire sans mal. C'est un phénomène connu dans l'approche systémique des organisations. On ne peut le reprocher aux ARS mais, en tant que psychiatres, nous avons perçu les souffrances des équipes. La question du management interne se pose donc évidemment.

Par ailleurs, le professionnalisme semble, à certains moments, défaillant. Dans certaines ARS, les équipes, extrêmement hétérogènes sur l'ensemble du territoire, ne comptent pas forcément, parmi les postes à responsabilité, de professionnels connaissant les sujets qu'ils ont à traiter. Par exemple, il n'existe pas forcément de personnels issus des établissements, ce qui peut poser des problèmes dans l'appréhension de certains dossiers.

Une faible lisibilité de l'organigramme est également à déplorer. Qui plus est, lorsque nous avons accès à ce document, il n'est pas toujours à jour... Ceci rend délicate l'identification des interlocuteurs. La connaissance de l'organisation interne des ARS est très variable d'une région à l'autre, d'autant que les modifications sont fréquentes.

Il faut aussi relever une absence de transversalité dans le fonctionnement même des agences. L'un des intérêts de la création des ARS résidait largement dans la volonté de décloisonnement entre des champs qui ne s'articulaient que très peu auparavant, notamment le sanitaire et le médico-social. Or, cet objectif est très difficilement atteint, dans la mesure où la plupart des ARS ont répliqué ces mêmes champs dans leur propre organisation interne avec, le plus souvent, deux directions fonctionnelles distinctes et des schémas peu ou pas coordonnés. La transversalité fait encore plus défaut en psychiatrie, notamment en ce qui concerne les liens avec le secteur social dans la lutte contre la précarité et l'exclusion, ces compétences restant par ailleurs attachées au préfet et aux directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass).

Enfin, l'existence de cabinets très interventionnistes dans certaines ARS est venue se surajouter à des organisations internes déjà complexes.

Pour ce qui concerne la psychiatrie, le manque de correspondants clairement identifiés, parfois même l'absence d'une telle responsabilité, rend la communication peu aisée. Sur plus de vingt régions, huit ont indiqué que cette identification était insuffisante. Deux nous ont dit que les représentants qui partaient n'étaient pas remplacés. La continuité pose donc également problème.

Le plan psychiatrie santé mentale (PPSM) 2011-2015, dont on doit la genèse à un travail de concertation important de la direction générale de la santé (DGS), est le premier qui soit postérieur à la réforme de l'organisation territoriale des politiques de santé portée par la loi HPST et confiant aux ARS le pilotage local des politiques sanitaires et médico-sociales. C'est, en ce sens, une première expérience de démocratie sanitaire. Il ressort d'une enquête, réalisée par nos soins en février 2013, que ce plan a été pris en compte dans l'élaboration du Projet régional de santé (PRS) dans vingt régions sur vingt-six, dont sept partiellement, ce qui constitue plutôt un bon score. Toutefois, la démarche a été jugée, dans la majorité des régions, comme « descendante » et insuffisamment inspirée des remarques et des propositions des acteurs de terrain. Des actions ont été retenues sans demande locale, le terme de « psychiatrie » disparaissant même au cours des travaux dans une région ! Cette démarche a été considérée comme insuffisante ou nulle dans quatre régions.

Ces évolutions ont souvent été mal comprises et nous assistons paradoxalement à une centralisation accrue du système de santé du fait d'un pilotage serré des ARS depuis le niveau national. Le rôle des agences se limite souvent à une simple exécution de décisions nationales, sans marges de manoeuvre suffisantes pour une réelle politique régionale de santé. En outre, la réduction du nombre des niveaux hiérarchiques - Direction générale de l'offre de soins (DGOS), ARS, directions générales d'établissements - facilite les injonctions, notamment dans le domaine budgétaire.

Le repli des ARS sur un modèle de type bureaucratique a entraîné le développement exagéré de normes, d'enquêtes et d'indicateurs à la pertinence discutable, ainsi que d'inspections et de contrôles, alors même qu'aucun retour ne nous parvient de toutes ces informations fournies à l'ARS. Certes, nous comprenons que, en l'absence d'outils nationaux, les ARS font ce qu'elles peuvent...

On peut donc déplorer l'impression d'une administration en roue libre, délaissant sa mission de développement d'une politique régionale de santé basée sur l'analyse des besoins spécifiques de la population, au profit parfois d'initiatives locales insuffisamment validées et reposant sur quelques acteurs.

Le rôle de contrôleur de gestion est parfois ressenti comme une ingérence dans les établissements de santé, et non comme l'appui d'un partenaire. Des immixtions fréquentes sont ainsi constatées dans le management et la gestion des établissements. La co-signature des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom) par les présidents de CME renforcerait de ce point de vue la position de l'établissement.

Quelles sont les conséquences de ces constatations ? La première est majeure : il s'agit du peu de soutien dans la réflexion stratégique des établissements. Les ARS sont rarement perçues comme des aides. Des formules de regroupements d'établissements sont proposées avec insistance, parfois de façon contradictoire, oscillant entre incitation et injonction. Une communauté hospitalière de territoire (CHT) est fortement suggérée sur un territoire par une ARS, et fortement déconseillée sur un autre par une seconde, sans tenir compte du PPSM.

Par ailleurs, la réflexion fait défaut en ce qui concerne la territorialisation, point majeur des discussions à venir dans le cadre du pacte de confiance. Dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale, c'est depuis longtemps, pour nous, un point important. Nous avons cru comprendre qu'un accord se faisait sur le fait que nous avions abandonné un « esperanto » des territoires, mais on a imposé des découpages territoriaux souvent non pertinents, dans un amalgame contre-productif avec la médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), notamment en matière de reconfiguration des secteurs. Nous ne sommes pas opposés à une réflexion et sommes tout à fait d'accord pour reconsidérer les territoires et leurs périmètres, mais encore faut-il savoir ce que l'on veut en faire !

Une politique d'appels d'offres se met en place, au risque de désorganiser les dispositifs existants, sur des thématiques non validées territorialement ou nationalement. Des expérimentations techniques voient le jour à l'échelon local, en dehors de tout cadrage national. C'est ce qui se passe pour la valorisation de l'activité en psychiatrie, à l'origine de projets parfois en contradiction avec le PPSM, et risquant de faire jurisprudence. La psychiatrie, ce n'est pas l'armée mexicaine ! Il lui faut quelques règles. Toutefois, cette discipline ne peut être homogène. Les systèmes où c'est le cas sont des dictatures ! La psychiatrie repose plus sur le doute qu'autre chose. On sait aujourd'hui ce qu'il ne faut pas faire, davantage que ce qu'il faut faire.

Une autre conséquence vient de la réelle perte de proximité pour les établissements hospitaliers : on ne sait plus qui sont nos interlocuteurs. Les projets ayant été mis en place de manière « descendante », les PRS se sont souvent révélés illisibles. Des groupes d'experts viennent ensuite s'imposer aux professionnels eux-mêmes, sur des sujets n'ayant pas fait l'objet de concertation, d'où une déconnexion entre les schémas régionaux et les autorisations délivrées.

Se pose aussi la question de la place des conférences de territoire. Nous pensons qu'il s'agit d'un outil de démocratie sanitaire intéressant. Je le mettrai en perspective avec les conseils locaux de santé que nous tentons de développer - même s'ils n'ont pas du tout le même rôle. Nous voudrions développer ces aspects lors des discussions à venir.

Au total, il existe une perte de confiance entre les établissements hospitaliers et leur tutelle, qui se traduit par une augmentation des inspections qui, alors même qu'elles sont parfois nécessaires, créent en pratique un climat délétère.

Nous avons d'autre part observé la modification des rapports entre le public et le privé. L'introduction positive des associations dans les instances de la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA), notamment la commission spécialisée dans l'offre de soins, a parfois joué en défaveur du secteur public hospitalier. Je vous donne un exemple : dans une région, on a, depuis une quinzaine d'années, enregistré une diminution de la capacité d'hospitalisation en psychiatrie de près de 600 lits, dans une dynamique - que nous avons également souhaitée - de réduction de l'hospitalisation inadéquate, au profit de la création de places dans le secteur médico-social, souvent à la faveur d'un débasage budgétaire du secteur sanitaire. Dès lors, comment interpréter la délivrance de nouvelles autorisations de création de lits en psychiatrie au profit du secteur privé lucratif alors que les besoins avancés par le service public ne sont pas satisfaits ?

Je le répète, les ARS sont une bonne chose, elles ne sont en place que depuis trois ans, mais des évolutions paraissent hautement souhaitables pour atteindre l'objectif initial, que nous ne remettons pas en cause. C'est dans cette optique que nous avons élaboré sept propositions pour rétablir la confiance.

Première suggestion : refondre les organigrammes des ARS, dans une logique mieux intégrée, territoriale et/ou transversale, comme cela existe dans certaines d'entre elles, en regroupant par exemple dans une même direction fonctionnelle l'offre de soins et le médico-social.

Deuxième suggestion : un accompagnement plus personnalisé des établissements. Un interlocuteur unique, ou un groupe technique thématique pérenne et identifié par les acteurs, serait le bienvenu.

Troisième suggestion : l'identification d'interlocuteurs dédiés à la psychiatrie et à la santé mentale au sein des ARS. Ce point est apparu comme un facteur déterminant dans la réussite d'une authentique politique régionale.

Quatrième suggestion : une meilleure représentation des compétences des établissements hospitaliers dans les ARS, qui peut constituer un levier important d'amélioration.

Cinquième suggestion : la mise en place d'un véritable dialogue stratégique entre ARS et établissement, en privilégiant la mission de stratégie, d'accompagnement des établissements et d'appui à la communication.

Sixième suggestion : animer une véritable politique de santé s'adaptant aux particularités locales et favorisant les actions concertées avec l'ensemble des acteurs : conseils généraux, DRCSS, Education nationale, qui représentent des acteurs essentiels en psychiatrie et en santé mentale dans le domaine du logement, de la précarité et du champ médico-social.

Septième et dernière suggestion : développer une démarche ascendante d'évaluation des besoins.

Il nous arrive de recevoir des mails extrêmement lourds de la part de l'ARS, auxquels on ne peut répondre sous huit jours, même avec la meilleure volonté du monde. Les documents ont été préparés par les experts dont j'ai parlé et leur travail doit être respecté. Cependant, nous sommes dans une situation délicate pour répondre à ces sollicitations de manière satisfaisante.

Enfin, il nous semble que la mise en place d'une instance nationale éviterait des confusions contre-productives dans notre discipline, grâce à la validation des orientations stratégiques, voire des expérimentations. La psychiatrie est un domaine complexe et rigoureux, qui prend en charge des personnes suicidaires ou agitées. Si nous devons décider d'une contention, dans une situation de violence en rapport avec un trouble psychique, il ne faut pas tergiverser ! Ce sont des choses très sérieuses, et les aspects humains que nous abordons sont extrêmement importants.

Une telle instance nationale a déjà été préconisée par le plan « Santé mentale ». Il y était question d'un pilotage permettant de s'assurer que les ARS déclinent dans leur projet régionaux de santé les objectifs définis dans le plan, et mettent en oeuvre et évaluent les actions ainsi programmées. Ceci autoriserait également l'articulation avec l'Anap et la HAS. Il nous faut une méthodologie ; elle ne s'invente pas, même s'il existe beaucoup de forces créatives et novatrices dans les régions.

Nous sommes en faveur d'ARS qui impulsent, qui incitent, sur la base d'orientations validées. Des ARS qui imposent seraient manifestement contre-productives, alors que nous souhaitons un service public hospitalier rénové.

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