Intervention de Joseph Halos

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 25 septembre 2013 : 1ère réunion
Agences régionales de santé — Audition de Mm. Christian Müller président de la conférence des présidents de commissions médicales d'établissement de centres hospitaliers spécialisés cme de chs joseph halos président et gilles moullec secrétaire général adjoint de l'association des établissements participant au service public de santé mentale adesm

Joseph Halos, président de l'Adesm :

Merci de permettre à l'Adesm de faire entendre sa voix au sujet des relations avec les ARS dans le domaine de la psychiatrie et de la santé mentale.

Le rapport de Gérard Larcher proposait d'exclure la psychiatrie et la santé mentale du champ de la loi réformant l'hôpital, dans l'attente de rapports complémentaires spécifiques sur ces deux sujets. Nous avons alors eu le rapport Couty sur la psychiatrie, mais il dort dans un tiroir, comme le dit lui-même son auteur, si bien que la loi HPST concerne nos établissements d'une manière qui n'était pas prévue.

Nous étions donc quelque peu déçus lors du passage de la loi HPST. Nous étions favorables, sur ce principe, à la transformation de l'ARH en ARS, bien que nous ne soyons pas totalement des hospitaliers - l'activité de nos établissements est largement ambulatoire et extérieure. Les établissements monodisciplinaires ne sont plus des établissements hospitaliers, mais se trouvent dans une autre logique. Nous pouvons penser que l'évolution allait être très favorable à la discipline, même si elle n'était pas inscrite dans la loi elle-même. Nous pensions également bénéficier du regroupement des sept organismes qui constituent les ARS. En effet, nous devions auparavant frapper à cinq ou six portes pour le moindre dossier. Nous gérons en effet des maisons d'accueil spécialisées (MAS), des établissements et services d'aide par le travail (Esat), des foyers, etc. Toutes ces structures ont une diversité d'interlocuteurs et de tutelles. Nous aurions donc été très satisfaits d'un regroupement mais, comme l'a dit le docteur Müller, ce regroupement externe n'est qu'apparent ; les ARS fonctionnent largement en « tuyaux d'orgue », ce qui crée des dysfonctionnements importants.

Nous espérions une loi générale de l'organisation de la psychiatrie, déjà évoquée par le rapport Milon, par le rapport Blisko, par le rapport du comité Fourcade sur l'hôpital ou par le rapport Couty, sans parler du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) ou encore du rapport de la Cour des comptes sur l'évaluation du précédent plan psychiatrie et santé mentale. Tous disaient qu'il fallait une grande loi d'organisation de la psychiatrie et de la santé mentale ! Nous étions donc convaincus, candides, que cela allait arriver et nous permettait d'entrevoir une évolution positive. En attendant, nous avons vu se construire les ARS.

Je souscris entièrement à la présentation du docteur Müller. Les organigrammes qui ont été créés dans les ARS sont parfois déplorables. Un exemple : dans une ARS, le contrôle de la fonction de tatoueur est bien identifié mais les mots de psychiatrie ou de santé mentale ne sont pas mentionnés. La fonction de tatoueur est fort honorable au demeurant, mais le fait de ne même pas évoquer le fonctionnement de la psychiatrie et de la santé mentale est pour le moins étonnant...

On avait, à l'époque, interrogé la directrice générale de l'offre de soins pour savoir si l'organigramme des ARS comporterait ou non des personnes ad hoc pour la santé mentale. Elle nous a répondu par la négative : en substance, nous étions dans le courant général de la médecine et de l'hospitalisation, et nous devions nous couler dans le moule ! Nécessité faisant loi, il a bien fallu, notamment lors de l'élaboration des projets régionaux de santé (PRS), mettre progressivement en place, selon les régions, les personnes-ressources nécessaires pour traiter, coordonner, gérer les problèmes de la psychiatrie et de la santé mentale.

Je rejoins là encore le docteur Müller au sujet du fonctionnement général des ARS et de la création de l'inégalité. Le docteur Müller a parlé d'hétérogénéité : c'est, a minima, le mot que l'on doit effectivement employer ! La marge de manoeuvre régionale donnée au travers de la loi ne confère pas plus d'égalité. C'est le grand débat entre jacobins et girondins ! Le meilleur moment pour examiner l'inégalité, c'est celui de la répartition financière : d'une région à l'autre, en 2012, l'affectation de la dotation annuelle de financement (DAF), qui représente environ 90 % des ressources, a varié, selon les établissements, de - 0,72 % à 1 %.

La mise en place des ARS a eu pour conséquence de placer les établissements monodisciplinaires dans une situation financière plus délicate, les fonds de la DAF ayant servi aux disciplines relevant de la MCO lorsqu'elles étaient en difficulté. Ainsi, seuls les CHS ont connu une augmentation de leur déficit en 2012 et un volume d'établissements déficitaires plus important, alors même que la situation des établissements MCO s'est améliorée. Nos dépenses de personnel n'ont évolué que de 1 %, ce qui est largement inférieur aux autres établissements, toutes catégories confondues.

Nous souhaitons participer à l'effort général, mais également obtenir une juste valorisation de l'activité car l'autonomie que certains souhaitent pour les ARS peut naturellement provoquer des inégalités supplémentaires, dès lors qu'il n'existe aucune évaluation correcte de nos fonctionnements. Toute la question est de savoir ce que l'on veut, et quels sont les accompagnements financiers. Les éléments de comparaison n'existant pas, les ARS utilisent des outils extrêmement rudimentaires pour répartir leurs moyens. Par exemple, la circulaire budgétaire relative à la loi du 5 juillet 2011 sur la protection et la prise en charge des patients faisant l'objet de soins psychiatriques avait prévu une dizaine de millions d'euros pour les établissements pratiquant des soins sans consentement et devant déplacer leurs patients. On a affecté les sommes en fonction du nombre de journées sans consentement sans évaluer les charges réelles des établissements. Qui plus est, ce type d'hospitalisation permet d'obtenir des financements supplémentaires, ce qui est en fait en contradiction avec notre politique, qui consiste à éviter les soins sans consentement, dont la durée est généralement de plus de douze jours. La répartition égalitaire ne doit donc pas être mise en oeuvre. Il est vrai que l'ARS n'a pas la possibilité de faire autrement et, quand elle s'y essaye, elle le fait malheureusement avec des outils inadaptés, renforçant encore les divergences.

On a vu des cas étonnants : lorsque l'éducation thérapeutique s'est développée, des règles spéciales ont été élaborées. Certains établissements ont monté des dispositifs et un même projet a pu être validé dans certaines régions alors que, dans d'autres, l'établissement a reçu un arrêté négatif, qui plus est accompagné d'une menace d'amende de 30 000 euros en cas de poursuite du programme. Autant dire que cela ne motive pas, alors que l'éducation thérapeutique constitue un produit dynamisant, qui permet d'être en phase avec les politiques de relation avec les usagers : ceci n'aide pas vraiment au développement du service public...

Les ARS devraient être stratèges en santé mentale, mais selon une définition nationale. Ainsi, les PRS devraient contribuer aux objectifs fixés dans le PPSM. Certaines régions l'ont remarquablement mis en oeuvre. Le grand défaut de la psychiatrie et de la santé mentale a toujours résidé dans l'absence d'indicateurs simples qui puissent donner une idée de l'hétérogénéité.

Les ARS pourraient également servir à identifier les obstacles juridiques et techniques que nous rencontrons en matière de fluidité dans le parcours des personnes. La prise en charge dépasse notre mission hospitalière : elle est une mission sociale dans bien des cas. Il ne devrait pas être difficile pour un établissement de mettre en place une organisation, avec l'aide de l'ARS, qui elle-même pourrait avoir un partenariat plus solide avec la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), pour trouver un logement prioritaire, élément fondamental dans l'évolution d'une pathologie et qui peut largement contribuer à ralentir son évolution. C'est un investissement qui pourrait avoir un retour très positif, que l'on devrait d'ailleurs pouvoir calculer.

Les souffrances que les médecins perçoivent dans l'organisation des ARS ne sont pas étonnantes quand on considère les différences de statut et l'obligation de répondre à des injonctions particulièrement délicates. Comment alléger le fonctionnement des ARS ? C'est peut-être mission impossible ! La question est cependant bien posée pour nos établissements.

Je pense aussi que les ARS peuvent initier une communication positive de crise. Notre association en a développé le concept. L'un des éléments pénalisant qui retarde la prise en charge et le soin réside dans la stigmatisation de la personne elle-même et de ses proches lorsque le diagnostic doit être établi. Certains retards sont considérables. Les Norvégiens ont réalisé une étude pour expliciter le rôle d'une communication sémantique positive, qui recourt à la grammaire, voire à la philosophie, afin de permettre une lecture collective positive de la pathologie elle-même. On a découvert que la prise en charge avait été ainsi réduite de dix à quinze semaines. Nous pourrions être en avance dans ce domaine si nous utilisions les études norvégiennes et la charte de Trieste, en vertu de laquelle l'association des journalistes italiens a banni certains mots des articles de presse, comme « fou », ou « schizophrène ». C'est une analyse que nous pouvons et devons mener collectivement. On pourrait communiquer sur ce thème en direction des ARS, et faire remonter une étude collective permettant de prendre conscience de l'intérêt même de cette opération. Je pense que le lien local peut y aider, d'autant qu'il peut y avoir, selon les régions, des différences dans les pathologies que nous prenons en compte.

Enfin, je pense que l'ARS doit aussi être un générateur d'évaluations. Beaucoup d'établissements sont maintenant lancés dans des certifications ISO. Le concept de service public ne s'y oppose pas. L'ARS pourrait générer une dynamique complémentaire. Combien d'ARS connaissent le nombre d'établissements certifiés en rang 1 par la HAS ? Combien d'entre eux cumulent les recommandations, voire les réserves ? Ceci constituerait un indicateur dans la connaissance des établissements, tout particulièrement en matière de psychiatrie. Pendant longtemps, nous avons par ailleurs été soumis au même régime que les autres établissements : par exemple, nous devions répondre à des questions sur les dons et prélèvements d'organes ! Sincèrement, il a été très difficile de faire modifier ce critère par la HAS, alors qu'il est manifestement inadapté pour nos établissements. Il est très intéressant d'être évalué et de chercher à améliorer le service public : encore faut-il que les critères correspondent ! Ceci démontre qu'il existe bel et bien une spécificité de la psychiatrie et de la santé mentale. Vous l'avez reconnue en nous invitant, mais elle n'est pas encore prise en compte par toutes les ARS - c'est le moins que l'on puisse dire !

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