A titre introductif, M. Serge Volkoff, directeur de recherches, a indiqué être à la fois statisticien, ce qui l'a conduit à travailler à la direction pour l'animation de la recherche et des statistiques (Dares) au ministère du travail, et ergonome. C'est en cette qualité qu'il a créé, en 1991, le centre de recherches et d'études sur l'âge et les populations au travail (Créapt), dont il est le directeur. Ce groupement d'intérêt scientifique vise à favoriser la compréhension des relations entre le vieillissement et l'activité de travail. S'appuyant sur une approche pluridisciplinaire (démographie, économie, médecine, etc.), le Créapt mène des analyses sur les conditions de travail dans l'objectif de proposer des aménagements aux politiques du travail dans les entreprises.
Après avoir rappelé être membre du conseil d'orientation des retraites (Cor) depuis sa création en 2000, M. Serge Volkoff a ainsi défini le rôle de l'expert scientifique : éclairer le débat public en apportant des connaissances scientifiques indispensables à la compréhension des problématiques sociales. En aucun cas il ne peut, au nom de la science, trancher entre telle ou telle solution ; les décisions relèvent du pouvoir politique. Il n'est, par exemple, pas du ressort des experts scientifiques de se prononcer pour ou contre la mise en place d'un dispositif de départ anticipé à la retraite. Les connaissances scientifiques ont un double mérite : elles précisent les termes du débat, c'est-à-dire définissent un cadre de réflexion, puis permettent d'en analyser chacune des composantes.
Il existe trois acceptions de la pénibilité. Celle-ci désigne tout d'abord une situation de travail qui influe, à plus ou moins longue échéance, sur l'espérance de vie du travailleur et sur sa qualité de vie au grand âge. Les ergonomes utilisent la notion d'« astreinte potentiellement invalidante ou pathogène à long terme ». Seule cette acception de la pénibilité justifierait qu'elle soit prise en compte dans la définition des règles relatives au bénéfice des pensions de retraite. La pénibilité peut ensuite faire référence aux déficiences de santé avec lesquelles vivent certains salariés. Elle se rapporte enfin à la perception qu'ont les intéressés de la pénibilité de leur travail.
Cette troisième acception, la plus courante, insiste sur la composante subjective de la pénibilité. Certaines caractéristiques du travail peuvent avoir pour conséquence qu'une partie des salariés qui y sont confrontés éprouvent une forme de mal-être, s'exprimant différemment selon chaque individu (grande fatigue, douleurs musculo-squelettiques, troubles du sommeil). Dès lors que le travail est vécu comme pénible, la volonté de partir le plus tôt possible à la retraite est très forte. De nombreuses études ont en effet montré que les individus qui ne perçoivent plus l'utilité de leur métier et ne s'épanouissent plus sur leur lieu de travail font souvent part de leur désir de partir en retraite le plus rapidement possible. Ce comportement n'est pas propre aux travailleurs seniors ; il concerne l'ensemble des actifs, quel que soit leur âge. En revanche, on observe deux spécificités s'agissant des salariés âgés : d'une part, les évolutions démographiques - notamment le vieillissement - sont telles que les seniors sont aujourd'hui conduits à occuper des postes qui ne leur auraient pas été attribués par le passé et qui peuvent parfois s'avérer pénibles ; d'autre part, beaucoup de salariés expérimentés vivent très mal les mutations organisationnelles et techniques à l'oeuvre dans de nombreuses entreprises. La lutte contre ce type de pénibilité appelle des mesures d'amélioration des conditions de travail, d'encouragement de la formation professionnelle tout au long de la vie et de réaménagement de l'organisation des tâches au sein des entreprises. En tout état de cause, il ne relève pas du système de retraite de prendre en compte cette pénibilité.
Concernant la deuxième acception de la pénibilité, relative aux déficiences de santé, les travaux de recherche montrent que les pourcentages de travailleurs victimes de pathologies augmentent avec l'âge, surtout après la cinquantaine. Il faut toutefois préciser qu'une partie seulement des travailleurs ayant une déficience de santé éprouvent, à cause de celle-ci, des difficultés dans l'exercice de leur métier. Par exemple, un tiers des personnes déclarant souffrir de fréquents maux de tête estime que ceux-ci influent sur leur travail. La diminution de la prévalence de ces déficiences nécessite une politique de santé au travail, impliquant par exemple des réaffectations de postes. Actuellement, la prise en compte de cette forme de pénibilité passe par différents dispositifs, parmi lesquels le licenciement pour inaptitude au travail, fréquemment utilisé. A terme, l'allongement de la durée d'activité risque mécaniquement d'accroître le nombre de travailleurs souffrant de pathologies.
La pénibilité au sens d'« astreinte ayant des conséquences sur l'espérance de vie » est l'acception qui intéresse le plus le système de retraite. Les connaissances scientifiques actuelles permettent d'affirmer que le travail peut avoir des conséquences sur la longévité et la qualité de vie au grand âge. Sur cette problématique, les travaux du professeur de médecine Gérard Lasfargues ont montré que l'état de santé des travailleurs en fin de vie active et au-delà dépend des conditions de travail et, plus globalement, de la pénibilité de leur travail. Dans son rapport intitulé « Départs en retraite et travaux pénibles », il a identifié trois facteurs de pénibilité susceptibles d'entraîner des effets, à long terme irréversibles, sur la santé : l'exposition professionnelle à des agents toxiques cancérogènes (par exemple, l'amiante) ; le travail de nuit ; les travaux nécessitant des efforts physiques importants (par exemple le port de charges lourdes). En revanche, la science ne permet pas de définir les seuils à partir desquels la soumission à ces facteurs influe sur l'espérance de vie et la qualité de vie des travailleurs. On sait toutefois qu'il existe un continuum, autrement dit que plus l'exposition est forte et longue, plus les risques d'altération de l'état de santé augmentent. En outre, il est difficile d'évaluer précisément combien d'individus sont confrontés à ces facteurs de pénibilité. Des recherches sont actuellement en cours à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) pour tenter d'améliorer l'état des connaissances sur cette question. Par ailleurs, il est vraisemblable que certains dispositifs sociaux - comme le départ anticipé pour carrière longue - permettent de limiter les effets de l'exposition aux trois facteurs de pénibilité identifiés. En tout état de cause, les effets de ces facteurs de pénibilité sur la santé ne se mesurent pas forcément au moment du départ en retraite mais peuvent se manifester bien plus tard.
La pénibilité est un sujet complexe et épineux du débat social car elle joue sur trois registres qui appellent la mise en oeuvre de politiques publiques différentes : une politique de prévention, une politique de prise en charge des déficiences en santé, une politique de prise en compte de la pénibilité par des départs anticipés. Pour cette dernière, la difficulté réside dans le fait que la pénibilité comme « astreinte tout au long de la vie » n'est, le plus souvent, pas vécue comme telle par les intéressés. Par exemple, les travailleurs exposés à des substances toxiques ignorent le plus souvent leur situation. De même, les salariés travaillant la nuit bénéficient souvent de compensations horaires et apprécient parfois cette forme d'activité qui leur permet d'organiser différemment leur vie. De surcroît, il existe un risque d'effet pervers : si l'on accorde aux travailleurs dont le métier sera reconnu comme pénible l'accès à des dispositifs de compensation, ceux dont l'activité n'aura pas été reconnue comme telle concluront de leur non-éligibilité à ces mesures que leur métier n'est pas considéré comme pénible.