A titre liminaire, M. Didier Tabuteau a indiqué qu'il limiterait son propos à la santé et à l'assurance maladie, qui entrent dans son champ de compétences actuel. En réponse aux interrogations des rapporteurs sur l'organisation du système de protection sociale français, il a estimé qu'il existe aujourd'hui un décalage complet entre les fondements théoriques de la sécurité sociale élaborés en 1945 et les transformations très profondes qui l'ont affectée au cours de ces soixante dernières années. Il s'est constitué, en particulier, en matière d'assurance maladie, un fossé important entre le monde virtuel des institutions en place et le monde réel, qui repose sur un fonctionnement très différent.
Les mécanismes d'origine prenaient appui, jusque dans les années soixante-dix, sur une gestion par les partenaires sociaux disposant d'une autonomie effective, dans la mesure où il n'existait pas de problèmes de financement des dépenses de santé. Pendant cette période, le taux global de remboursement et de prise en charge de la dépense de maladie a crû de manière continue.
A partir de la fin des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt, la légitimité de la démocratie sociale a été en pratique progressivement battue en brèche, sans que la question de la remise en cause éventuelle des institutions ne soit posée.
Cinq étapes peuvent être distinguées : la création de la CSG entre 1991 et 1995, d'abord pour le financement de la branche famille, puis pour celui de la branche maladie ; la transformation du débat sur les conventions médicales qui, de strictement contractuel, est devenu un débat de portée politique ; la mise en place de la réforme Juppé ; la création de la CMU ; enfin, l'institution, par la loi de 2004, de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam). Ainsi, par petites touches, la France est sortie en pratique du système instauré en 1945, tout en y restant sur le plan organique.
a fait ensuite observer les divergences d'évolution entre les trois principales branches de la sécurité sociale, s'agissant du degré de maintien du paritarisme : celui-ci reste très présent dans la branche vieillesse, notamment avec les régimes complémentaires, alors qu'il a de fait disparu dans la branche famille, qui ne constitue plus qu'un instrument d'intervention aux mains de l'Etat placé au sein de la sécurité sociale ; l'assurance maladie se situe entre ces deux extrêmes.
Le débat réel porte aujourd'hui sur les modes de régulation. De ce point de vue, force est de constater que l'enveloppe institutionnelle n'a que peu d'effet et que la création des lois de financement de la sécurité sociale n'a pas véritablement remis en cause les facteurs de détermination de la dépense, notamment en matière de maladie. Au-delà d'un débat somme toute assez formel entre le Gouvernement et les assemblées au moment de la discussion de ce texte, chaque automne, la réalité du pouvoir reste entre les mains des patients et des professionnels de santé, qui continuent à déterminer seuls, en pratique, le niveau de la dépense, et donc du solde.
Il est indispensable, à son sens, de se tourner vers les modèles étrangers pour repérer ceux qui ont permis une approche plus satisfaisante de la régulation des dépenses de santé. A l'épreuve de cet examen, deux réponses apparaissent pertinentes : d'une part, la territorialisation, d'autre part, le partenariat avec les professions de santé, qui est un élément central du dispositif allemand, mais qui n'a jamais réussi à trouver sa place en France. Se contenter de vouloir retailler le « château de sable » de 1945 ne présente donc aucun sens.
Au-delà de la question des modes de régulation, l'autre défi à relever est celui de la mise en place d'une approche globale des besoins de financements sociaux, lesquels recouvrent la dépendance, les réponses à apporter à la pauvreté, l'effort à poursuivre en matière de handicap, la progression des dépenses de maladie au rythme d'un point de PIB supplémentaire par décennie, l'expansion des retraites, l'indemnisation persistante du chômage et, enfin, l'éducation.
Sur tous ces sujets, il apparaît aujourd'hui très difficile de disposer d'une approche d'ensemble fondée sur des projections intégrées permettant de définir le besoin global de financement à échéance de cinq ou dix ans. C'est pour cette raison que la chaire « Santé » de l'Institut d'études politiques de Paris vient de se doter d'outils de projection pour évaluer les effets à long terme des décisions prises en matière de financement.
C'est donc sous cet angle d'une vision intégrée des besoins de financements sociaux pris dans leur ensemble que doit être posée la question de l'articulation entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale. La conclusion à en tirer pour l'organisation des pouvoirs publics est double : cette organisation doit permettre une synthèse, mais les décisions finalement retenues doivent être le fruit d'arbitrages entre plusieurs instances distinctes présentant chacune leur demande. Cette nécessité d'un arbitrage découlant d'un dialogue préalable exclut la création d'une structure unique et il n'apparaît pas pertinent de mettre dans la même main, de ce point de vue, ce qui relève de la sphère budgétaire et ce qui relève du domaine social.