A titre introductif, M. Henri Sterdyniak, directeur du département Economie de la mondialisation de l'OFCE, a rappelé que le rendez-vous sur les retraites de 2010 n'était pas prévu par la loi du 21 août 2003 qui fixe le principe de bilans d'étape quadriennaux. Le dernier rendez-vous ayant eu lieu en 2008, le suivant devait être normalement programmé pour 2012. Or, le Medef a réclamé un avancement du calendrier afin de poser, une nouvelle fois, la question du relèvement de l'âge légal de départ à la retraite. La tenue d'un rendez-vous cette année est problématique dans la mesure où elle pourrait se traduire par une nouvelle remise en cause du système de retraite, qui a pourtant été l'objet de plusieurs réformes ces dernières années. En outre, son intérêt est limité puisque les régimes de retraite se trouvent dans une situation financièrement soutenable. Certes, leur déficit s'est creusé en 2009 et risque de s'aggraver en 2010, mais cette dégradation est due en grande partie à la crise économique qui affecte l'ensemble des comptes sociaux. La situation économique actuelle ne justifie pas plus de réduire les dépenses de retraite que d'autres postes de dépenses. Il faut rappeler que, sans les dépenses publiques, les ménages seraient contraints de se tourner vers l'assurance privée pour couvrir les différents risques de la vie.
Le rendez-vous de 2010 est d'autant plus dangereux qu'il intervient dans un contexte où une augmentation des cotisations retraite risquerait de peser sur le pouvoir d'achat des Français, déjà affecté par la crise ; où le redéploiement des cotisations chômage au bénéfice des cotisations vieillesse est exclu en raison de la montée du chômage ; où il est inutile d'espérer une augmentation du taux d'emploi des seniors étant donné que les entreprises sont plutôt dans une logique d'ajustement de leurs effectifs. Si l'on décide subitement de porter l'âge légal de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans, les salariés en fin de carrière vont conserver leur poste, au détriment de l'embauche de jeunes ou de seniors en recherche d'emploi. En conséquence, les économies réalisées grâce à cette mesure seront en grande partie compensées par un déficit accru de l'assurance chômage et une baisse du pouvoir d'achat des ménages, notamment des jeunes. Ceux-ci sont en effet les premières victimes de la crise : alors que le taux d'emploi des 55-64 ans a progressé de 0,9 point depuis la dégradation du contexte économique, celui des 15-24 ans a diminué de 0,8 point.
a ensuite abordé la question de la viabilité financière du système de retraite français. Les projections du conseil d'orientation des retraites (Cor) de 2007, qui vont très prochainement faire l'objet d'une réactualisation afin d'intégrer les effets de la crise, tablent sur un déficit prévisionnel de l'ensemble des régimes de retraite de 1,7 point de Pib en 2050. Sachant qu'un point de ce déficit peut être comblé par le retour au plein-emploi et par une légère augmentation des cotisations retraite, on peut légitimement en conclure que le système est viable à terme. Les dernières projections du Cor appellent toutefois deux remarques. La première est que les hypothèses de taux de chômage (4,5 % par an) et d'augmentation de la productivité du travail (1,8 % par an) sur lesquelles elles reposent semblent particulièrement optimistes. Le Cor prévoit en outre une baisse du niveau relatif des retraites de 23 % par rapport aux salaires d'ici à 2050, ce qui n'est socialement pas acceptable. La seconde remarque est, qu'à l'inverse, certaines hypothèses paraissent très pessimistes. Ainsi, il est prévu que le taux d'emploi des 55-60 ans progresse très peu puisqu'il passerait de 60 % aujourd'hui à 62 % en 2050. A titre de comparaison, il est actuellement de 84 % en Suède et de 72 % aux Etats-Unis. Le taux d'emploi des 60-65 ans augmenterait, quant à lui, davantage pour atteindre 34 % en 2050 contre 20 % aujourd'hui. La Suède et les Etats-Unis enregistrent respectivement des taux de 64 % et de 50 %. Par ailleurs, les projections du Cor sont fondées sur une durée de cotisation de 41,5 annuités et n'intègrent pas la possibilité d'un allongement de celle-ci.
Un autre scénario est envisageable qui permettrait d'aboutir à une situation équilibrée du système de retraite en 2050. Si l'on décide, d'un côté, d'être plus pessimiste sur l'évolution du taux de chômage et de la productivité du travail et, de l'autre, de tabler sur un allongement de la durée de cotisation (passage à 42,5 annuités), une amélioration du taux d'activité et une augmentation modérée des cotisations retraite (de 0,2 à 0,3 point par an de 2010 à 2030), l'on obtient des prévisions financièrement soutenables à long terme. Il est de la responsabilité du Gouvernement et des partenaires sociaux de présenter des projections financières équilibrées à l'horizon 2050 afin de rassurer les jeunes générations sur l'avenir du système de retraite. Chaque acteur doit faire un pas en avant : le patronat doit abandonner l'idée d'un report de l'âge légal de départ à la retraite et arrêter de prôner le développement de la capitalisation ; le Gouvernement doit renoncer au mythe de la stabilisation des cotisations ; les syndicats doivent accepter un allongement de la durée de cotisation. Le système de retraite français est viable car des marges de manoeuvre, notamment en matière d'emploi des seniors, existent.
Puis, M. Henri Sterdyniak a soulevé le problème de l'harmonisation public-privé en insistant au préalable sur le manque de lisibilité, la complexité et l'hétérogénéité du système français. Celui-ci devient de moins en moins gérable, notamment lorsqu'il s'agit de traiter la question des polypensionnés. L'incompatibilité des règles des différents régimes plaide en faveur d'une unification progressive. S'agissant de la comparaison public-privé, il faut reconnaître que les disparités de taux de rendement sont moins fortes qu'elles n'y paraissent. Dans le secteur public, la pension est calculée sur le salaire des six derniers mois. Or, celui-ci repose sur le traitement indiciaire et n'intègre pas les primes qui peuvent parfois représenter une part importante du revenu d'un fonctionnaire. En outre, l'évolution du salaire dépend de la valeur du point de la fonction publique qui n'est pas revalorisée au même rythme que l'inflation. Entre 1985 et 2005, la valeur du point de la fonction publique a ainsi perdu 15 % en termes de pouvoir d'achat ; beaucoup de fonctionnaires sont donc confrontés à une baisse de leur pouvoir d'achat en fin de carrière. La règle des six derniers mois ne constitue pas un avantage disproportionné et il serait profondément injuste d'aligner brutalement le salaire de référence des fonctionnaires sur celui des salariés du privé (les vingt-cinq meilleures années). En tout état de cause, il faut revoir les règles de gestion des salaires des fonctionnaires, notamment en garantissant que la valeur du point de la fonction publique sera indexée sur l'inflation.
Bien que les statistiques montrent que les taux de rendement dans le public et le privé soient du même ordre de grandeur, certaines disparités perdurent. Ainsi, la situation des retraités ayant bénéficié d'une forte rémunération au cours de leur carrière est plus favorable dans le privé que dans le public, tandis que celle des retraités ayant perçu une faible rémunération au cours de leur vie active est plus favorable dans le public que dans le privé. En conséquence, un alignement des règles de la fonction publique sur celles du privé risquerait de favoriser les hauts fonctionnaires au détriment des autres. Par ailleurs, dans l'hypothèse où le mouvement à la baisse du niveau des retraites complémentaires des salariés du privé se poursuivrait, les disparités public-privé pourraient fortement se creuser à l'avenir. Si le Medef continue à imposer une diminution du taux de rendement des retraites complémentaires, le risque est de voir la situation des salariés se dégrader par rapport à celle des fonctionnaires. A l'inverse, si les partenaires sociaux parviennent à un accord pour enrayer la baisse du taux de rendement des retraites complémentaires, la question d'un décrochage du privé par rapport au public ne se posera pas.
Abordant la question du pilotage des régimes de retraite, M. Henri Sterdyniak a rappelé que certains pays ont choisi un système d'ajustement automatique. En Suède, l'un des deux mécanismes d'équilibrage mis en place consiste à calculer chaque année le montant des cotisations perçues et le montant des prestations versées, puis à calculer le ratio correspondant. Si celui-ci s'avère inférieur à un, le niveau des pensions est abaissé. Ainsi, en 2009, les pensions auraient dû diminuer de 4,5 %, mais le Gouvernement a décidé d'échelonner cette baisse dans le temps afin de la rendre moins douloureuse. Les pensions ont donc baissé de 3 % en 2009 et devraient être réduites à nouveau de 1,5 % en 2010. On le voit, ce système n'est pas acceptable car il pénalise les retraités. Il faut, au contraire, se donner pour objectifs de garantir leur pouvoir d'achat et de rééquilibrer le système en augmentant le taux d'activité. Cela ne peut se faire de manière automatique et requiert une forte mobilisation de tous les acteurs sociaux.
A la demande du Parlement, le Cor a récemment remis une étude sur une éventuelle réforme structurelle (passage à un régime par points ou à un régime en comptes notionnels) en France. Si l'intérêt d'un régime unique n'est pas contestable étant donné la complexité du système actuel, la vraie question est de savoir lequel on souhaite mettre en place. La première option consisterait à adopter un régime unique par points. Une telle solution est inacceptable dans la mesure où, dans ce type de régime à cotisations définies, la variable d'ajustement est la valeur du point et in fine le montant des pensions. Les retraités n'ont donc aucune garantie sur le taux de rendement du système et sont les premières victimes du rééquilibrage financier. C'est ce qui se passe dans les régimes complémentaires français où le taux de rendement ne cesse de diminuer depuis des années. Or, les salariés ont le droit de revendiquer un contrat salarial qui leur garantisse un niveau de vie décent une fois arrivés à l'âge de la retraite.
La seconde option serait le passage à un système en comptes notionnels. Celui-ci présente un avantage non négligeable : il garantit la rentabilité des cotisations versées par les salariés. Les cotisations sont en effet revalorisées chaque année non seulement en fonction de l'inflation, mais également en appliquant un taux de rendement garanti par l'Etat, qui correspond au taux de croissance de la masse salariale. Cependant, la technique des comptes notionnels présente aussi des inconvénients de taille : elle règle la question du déséquilibre financier par la réduction du niveau des pensions - puisque le taux de cotisation est présupposé fixe - et fait dépendre le montant de la retraite de l'âge de départ. Or, les salariés n'ont pas tous la même capacité de poursuivre leur travail après soixante ans afin d'obtenir une retraite plus élevée. Ce système est donc profondément injuste puisqu'il ne tient compte ni de la capacité à prolonger son activité selon la carrière effectuée, ni des différences de vie entre catégories socioprofessionnelles qui sont pourtant très fortes (l'espérance de vie des ouvriers est inférieure de sept ans à celle des cadres). En réalité, les comptes notionnels avantagent les cadres à longue espérance de vie. Cette technique de calcul est d'autant plus dangereuse qu'elle exonère à la fois l'Etat et les entreprises de leurs responsabilités vis-à-vis de l'emploi des seniors. En effet, comme le système repose sur le libre choix du départ à la retraite, rien n'incite les employeurs à garder leurs salariés jusqu'à ce qu'ils aient droit à une retraite décente.
Au final, ces deux types de régime unique sont moins favorables que le système de retraite actuel - tel que modifié par la réforme de 2003 -, ce qui n'exonère pas pour autant de l'améliorer. Il est en effet indispensable de le compléter par un volet pénibilité. La prise en compte de la pénibilité au travail nécessite d'établir une liste des métiers pénibles et d'instaurer un dispositif de compensation au niveau des branches. Ce dispositif pourrait prendre la forme d'un droit à bonification (par exemple, l'attribution de cinq trimestres pour quatre réellement cotisés), financé en partie par les entreprises.