Intervention de René Teulade

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 26 juin 2013 : 1ère réunion
Agences régionales de santé — Table ronde avec les syndicats de médecins

Photo de René TeuladeRené Teulade :

Vous avez fait référence à la création des URML par la loi de janvier 1993 dont j'étais à l'origine. Je signalerai cependant que les dispositions de cette loi relatives à la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, qui avaient obtenu l'accord de l'ensemble des professions de santé, n'ont jamais été mises en oeuvre faute de publication des décrets d'application.

Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). - Quel bilan tirer de la création des ARS, notamment des relations qu'elles ont nouées avec la médecine libérale ? Avant la loi HPST, la convention était l'unique niveau de régulation du système, ce qui créait une centralisation excessive empêchant la prise en compte des particularités de terrain. La création des ARS avait donc pour objectif de pallier cette difficulté et d'améliorer les relations entre l'Etat et l'assurance maladie.

Nous nous sommes cependant heurtés à la connaissance insuffisante qu'ont les directeurs généraux d'ARS du monde libéral. La gestion de la médecine hospitalière a bien souvent pris le pas sur celle de la médecine ambulatoire. Certes, les choses évoluent mais cela nécessite du temps. Les situations dépendent en outre de la personnalité de chaque directeur général d'ARS.

Parmi les enjeux figure la permanence des soins, organisée par les ARS et désormais financée à travers le FIR. Le bilan est, pour le moins, mitigé. L'objectif initial était de parvenir à une meilleure organisation ainsi qu'à une implication accrue des médecins dans le dispositif. Or, on constate aujourd'hui une diminution globale des forfaits destinés à la permanence ambulatoire : la baisse a été de 3,7 % entre 2011 et 2012. Dans le même temps, les effectifs des médecins y participant ont diminué de 1,8 %. Les montants alloués varient fortement d'une région à l'autre. En Poitou-Charentes, l'heure de régulation est fixée à soixante-dix euros contre cent euros en Lorraine. La garde de nuit est rémunérée cent cinquante euros en Provence-Alpes-Côte-d'Azur alors qu'elle peut l'être jusqu'à six cent cinquante euros en Bretagne. La définition même des plages horaires pour les gardes de nuit varie d'une région à l'autre. Pour ce qui est de la permanence des soins en établissement, on observe une diminution de 3 % du nombre de médecins concernés, résultat contraire à l'objectif poursuivi. Le nombre de forfaits a quant à lui diminué de 5,8 %. La régionalisation de la permanence des soins a été effectuée avec pour objectif premier de réaliser des économies. Le budget global qui lui est alloué diminue chaque année de 10 %. L'effort budgétaire est réparti entre les régions en fonction d'indicateurs peu lisibles. Pourtant, les besoins augmentent et la permanence des soins demeure une préoccupation centrale des patients.

L'organisation en tuyaux d'orgue des services de l'Etat et de l'assurance maladie demeure. C'est cette dernière qui reste l'interlocuteur privilégié des médecins libéraux.

Quant à l'articulation entre URPS et ARS, elle varie fortement selon les régions et selon la personnalité du directeur général de l'ARS. Le turn over des directeurs généraux ne contribue pas à clarifier la situation.

Dr Philippe Cuq, coprésident du Bloc, président de l'Union des chirurgiens de France. - En effet, les situations varient selon le directeur général de l'ARS et on a noté à l'origine une très mauvaise connaissance de l'activité libérale de la part des agences. La permanence des soins en établissement est un bon exemple d'une vision parfois trop administrative des choses : l'hôpital public a souvent été privilégié alors même que les acteurs publics et privés étaient parvenus à s'organiser et à mutualiser leurs moyens, ce qui a pu déstabiliser les équipes.

L'idée d'avoir une autorité unique au niveau régional pour l'organisation sanitaire et médico-sociale n'est pas mauvaise. Tout l'enjeu est de trouver un équilibre entre la prise en compte des particularités de chaque territoire et le maintien d'une organisation globale cohérente du système de santé.

En pratique, je ne sais pas si les objectifs qui ont présidé à la création des ARS ont été atteints. Il me semble en tout cas que l'organisation des soins n'a pas gagné en simplicité et demeure trop administrative.

Dr Claude Leicher, président de MG France. - La création des ARS a de toute évidence eu des effets positifs. Les ARS connaissent de mieux en mieux le secteur ambulatoire. Les réalités de terrain sont davantage prises en compte et le souci de réorganisation est réel. Par exemple, concernant le parcours de santé des personnes âgées, des analyses macro-économiques ont été réalisées dans certaines régions qui montrent les facteurs de risques liés aux hospitalisations ou réhospitalisations évitables et permettent de tracer des pistes pour éviter les dépenses inutiles.

Nous partageons également la vision des ARS qui estiment aujourd'hui que la réorganisation des soins primaires constitue le préalable à toute réforme, notamment de restructuration des dépenses de santé

Plus problématique, la gestion des ARS demeure parfois excessivement budgétaire. Je prendrai l'exemple de la permanence des soins. La négociation conventionnelle en janvier 2002 avait permis de définir des forfaits de garde et d'astreinte sur la base d'une cartographie de trois mille deux cent cinquante secteurs pour les médecins généralistes. Depuis cette date, la tendance est à une diminution du nombre de secteurs qui devrait atteindre deux mille prochainement. Parallèlement, des gardes de nuit profonde sont supprimées, en particulier dans les départements les moins peuplés. Mais dans le même temps, pour parvenir à l'objectif présidentiel d'accès de chaque Français aux soins urgents en moins de trente minutes quel que soit son lieu de résidence, des médecins correspondants du SAMU vont être recrutés. Ces médecins ne seront pas intégrés dans un système d'astreintes, seront très peu actifs et uniquement rémunérés à l'acte. On amorce donc un retour à la situation d'avant 2002.

Il existe par ailleurs des divergences entre les objectifs d'organisation territoriale des ARS et les dispositions conventionnelles. La convention prévoit par exemple une option démographie qui permet de majorer des actes et de leur ajouter une part de rémunération forfaitaire à la condition que le médecin soit implanté en zone fragile et réalise au moins les deux tiers de ses actes pour des patients qui demeurent dans ces zones. Or, les ARS ont défini les zones de façon tellement fine qu'il est très difficile pour les médecins de remplir cet objectif des deux tiers.

Les ARS doivent disposer de davantage d'autonomie. Le FIR ne suffit pas à organiser l'offre de soins sur les territoires, même si son périmètre a été élargi.

Il faut également que les ARS interviennent dans la gestion du risque.

Les ARS sont de plus en plus des partenaires. Elles sont également des régulateurs même si leurs pouvoirs dans ce domaine sont extrêmement limités.

Les URPS n'ont qu'une utilité limitée car elles ne s'inscrivent pas dans un dispositif territorial d'organisation des soins primaires. Leur rôle doit être réévalué. Les médecins généralistes demeurent peu associés à la prise de décision.

Quel rôle doivent jouer les ARS vis-à-vis de la médecine de ville ? L'organisation du système par le biais d'une convention nationale doit perdurer car il faut que certains dispositifs d'intérêt général soient les mêmes sur l'ensemble du territoire. Je pense par exemple au régime de conventionnement des médecins, à la nomenclature des actes médicaux, à la mesure de l'efficience ou de la pertinence des actes. Un deuxième niveau de contractualisation doit exister au niveau des territoires et permettre un travail en équipe pour l'organisation des soins primaires. L'ARS serait en charge de valider un projet de santé défini par les professionnels et facilitant la coordination entre ces derniers. Cette double articulation garantirait un cadre national stable tout en ouvrant l'initiative aux acteurs de terrain, chargés de montrer leur capacité à répondre à un cahier des charges fixé.

Il faut donc donner tous leurs moyens aux ARS, sans négliger la convention nationale, et penser de façon structurée et cohérente le système de santé, en développant les soins primaires à côté de l'hôpital et des autres acteurs de soins ambulatoires.

Dr Antoine Leveneur, secrétaire général de la Fédération des médecins de France (FMF). - Outre mes fonctions de secrétaire général de la Fédération des médecins de France, je suis également président d'une URPS, celle de Basse-Normandie.

Globalement, la création des ARS a été positive. La situation antérieure n'était pas satisfaisante. La multiplication des acteurs était source de conflits. Certes, le nouveau système est perfectible. La personnalité du directeur général joue beaucoup et les ARS sont plus ou moins ouvertes à la médecine libérale.

Pour ce qui est de la permanence des soins, les enveloppes régionales sont fonction du nombre d'astreintes qui étaient versées avant la constitution du FIR. Demeurent donc des références historiques liées à la situation de chaque région avant la définition des enveloppes. Il n'est pas illégitime que le montant de celles-ci varie selon les régions. La fongibilité entre les différentes enveloppes du FIR est intéressante mais nous devons être vigilants à ce que les fonds destinés à la permanence des soins en ambulatoire soient sanctuarisés. La permanence des soins en établissement a largement été organisée au bénéfice des seuls hôpitaux publics. La distinction entre permanence des soins et continuité des soins a été source de conflits internes. Les médecins libéraux ont servi de variable d'ajustement et la situation n'est pas stabilisée.

Nous espérions davantage d'autonomie pour les ARS. Il faut distinguer ce qui relève des objectifs généraux, qui peuvent être définis par le conseil national de pilotage, et ce qui a trait en région à la définition et au respect d'objectifs opérationnels. Le pilotage reste centralisé alors même que la logique des ARS et des URPS est de davantage responsabiliser les acteurs en région. Les ARS devraient par exemple être en mesure de structurer les initiatives des professionnels de santé en matière d'expérimentation de nouveaux modes de rémunération. A cet égard, l'expérimentation en cours doit se terminer à la fin de l'année et nous ne savons toujours rien de son devenir après cela.

Nous estimons qu'il est nécessaire d'assurer une unité de lieu entre l'organisationnel et le financement. Nous sommes à ce titre favorables à la création d'objectifs régionaux des dépenses d'assurance maladie, des « Ordam ». Cela serait de nature à responsabiliser les acteurs de terrain.

Je serais plus nuancé concernant le jugement porté sur les URPS. Elles constituent l'interface incontournable entre les ARS et les professionnels de santé.

Par ailleurs, les usagers ont vocation à participer pleinement au fonctionnement de la démocratie sanitaire. Nous notons cependant que les efforts déployés par les URPS pour participer à leur formation ne sont pas toujours récompensés. Sans doute faut-il du temps pour que les choses se stabilisent.

Au final, les médecins libéraux s'engagent. Il faut qu'ils aient en face d'eux des ARS performantes. Nous sommes favorables à davantage de libertés et à une utilisation accrue des expérimentations.

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