Intervention de Laurent Wauquiez

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 6 avril 2010 : 1ère réunion
Rendez-vous 2010 pour les retraites — Audition de M. Laurent Wauquiez secrétaire d'etat chargé de l'emploi

Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi :

a tout d'abord souligné le bien-fondé et la nécessité de s'intéresser aux questions d'emploi, notamment des seniors, dans le cadre de l'examen d'un dossier comme celui de la réforme des retraites. Le thème de l'emploi des seniors renvoie à plusieurs sujets essentiels. Il met en évidence un problème financier considérable : il n'est pas possible d'équilibrer le système de retraites si la France reste le pays de l'OCDE où l'on entre le plus tard sur le marché du travail et où on le quitte le plus tôt. Par ailleurs, avoir un faible taux d'emploi des jeunes et des seniors pénalise la capacité de l'économie à dégager de la croissance, ce qui met en cause une gestion malthusienne de l'emploi et de la compétitivité qui a trop longtemps prévalu en France. Enfin, d'un point de vue de justice et d'équité, on ne peut réformer les retraites si tous les salariés qui souhaitent trouver un emploi voient leurs candidatures rejetées dès lors qu'ils ont plus de cinquante-cinq ans. Réformer les retraites implique d'être capable de lutter contre les discriminations en matière d'emploi liées à l'âge.

Retraites et emploi des seniors sont donc intrinsèquement liés et doivent évoluer ensemble, même si la politique en faveur de l'emploi des seniors n'a pas pour seul objectif de préparer le terrain de la réforme des retraites. La Suède constitue en la matière un exemple particulièrement intéressant puisqu'elle a mis en place conjointement un plan très offensif pour l'emploi des seniors et une réforme ambitieuse de son système de retraites. Aujourd'hui, ce pays affiche un taux d'emploi des cinquante-cinq/soixante-quatre ans de 70 % quand la moyenne européenne est à 46 % et la France à 38 %. Ce dernier chiffre doit être nuancé puisqu'il convient de faire une distinction entre la tranche cinquante-cinq/cinquante-neuf ans et la tranche soixante/soixante-quatre ans, compte tenu de la fixation à soixante ans de l'âge légal de départ en retraite en France. Notre pays est cependant très en retard et encore bien loin de l'objectif de 50 % prévu par l'agenda de Lisbonne.

Comment se fait-il qu'une même entreprise qui, en Allemagne, en Espagne, en Suède, conserve ses salariés bien au-delà de cinquante-cinq ans, puisse conduire une politique tout à fait différente en France ? Plusieurs facteurs d'explications doivent être lucidement énoncés. Il s'agit tout d'abord du résultat de trente années d'a priori qui se sont progressivement enkystés dans les politiques de l'emploi et de gestion de ressources humaines. Les responsables politiques, toutes tendances confondues, ont cru pouvoir gérer, voire camoufler, les statistiques du chômage, en poussant les seniors hors du marché du travail. Pour un ministre de l'emploi, il est plus confortable de favoriser les dispenses de recherche d'emploi ou les préretaites des seniors que de se battre pour les maintenir dans l'emploi. De leur côté, les entreprises ont utilisé les seniors comme variable d'ajustement pour diminuer leurs effectifs et regagner artificiellement de la compétitivité. Enfin, les syndicats ont eux-mêmes participé à ce processus en utilisant le départ des seniors comme moyen de rendre moins difficiles les plans sociaux dans les entreprises. Cette manière de gérer l'emploi a constitué une forme de gangrène. Dès lors qu'il est admis que les seniors quittent l'emploi vers cinquante-huit ans, les employeurs souhaitant embaucher font un calcul de rentabilité de l'investissement qu'ils vont opérer, ce qui conduit progressivement à décaler vers le bas l'âge à partir duquel les salariés ne parviennent plus à trouver un emploi. On en est arrivé à considérer qu'il n'est plus rentable d'embaucher quelqu'un dès lors qu'il atteint cinquante ans.

Le Gouvernement a donc souhaité faire de l'emploi des seniors un des volets majeurs de mobilisation sur la politique de l'emploi et une rupture très forte a été opérée sur ce sujet au cours des dernières années. Alors qu'en 1997, 100 000 personnes partaient en préretraite chaque année, on ne compte plus aujourd'hui que 40 000 préretraités au total, dont la plus grande partie sont des victimes de l'amiante, et ce chiffre est en diminution rapide.

Le Gouvernement a engagé trois types d'actions :

- le premier volet est opérationnel depuis fin 2008 et concerne la fin de la mise à la retraite d'office, associée à la libération du cumul emploi-retraite et à un relèvement de la surcote pour qu'elle soit simple et lisible. Pour le seul premier trimestre 2009, le taux de recours à la surcote a augmenté de près de 50 % par rapport à 2008 ;

- le deuxième volet consiste à mettre en place un meilleur accompagnement des demandeurs d'emploi seniors. La dispense de recherche d'emploi est en voie de suppression par le décalage progressif de l'âge auquel elle peut être accordée ;

- enfin, le troisième volet tend à modifier en profondeur la gestion des âges dans les entreprises. Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, les branches et entreprises de plus de cinquante salariés ont dû signer, avant le 1er janvier 2010, des accords ou des plans d'action pour recruter ou maintenir des seniors dans l'emploi, avec des objectifs et des moyens précisément chiffrés.

Les résultats sont à la hauteur de cet engagement. Ainsi, alors que dans toutes les crises économiques précédentes, les ajustements de l'emploi se sont faits au détriment des seniors et des jeunes, la crise actuelle a infirmé ce schéma. Le taux d'emploi des seniors a progressé pour la première fois et a augmenté de 1 % en un an pour atteindre 39,1 % au quatrième trimestre 2009. Cette évolution doit contribuer à faire disparaître l'idée selon laquelle donner un emploi à un senior, c'est en priver un salarié plus jeune. Un tel raisonnement est à la fois particulièrement choquant, en ce qu'il culpabilise les salariés, totalement faux du point de vue macroéconomique, puisque la France cumule de faibles taux d'emploi des seniors et des jeunes, enfin inexact du point de vue microéconomique. A titre d'exemple, Areva s'est trouvée en grandes difficultés il y a quelques années parce qu'elle perdait son savoir-faire. Les générations qui avaient construit les premières centrales et avaient accumulé ce savoir-faire arrivaient à l'âge de la retraite sans que les jeunes générations aient été véritablement préparées à leur succéder. L'entreprise a donc mis en oeuvre une politique de tutorat permettant aux seniors de former les plus jeunes. De son côté, Bouygues a lancé les opérations « casques oranges » qui permettent à des salariés expérimentés de prendre en charge les jeunes entrant dans l'entreprise, notamment par la voie de l'apprentissage. Ces opérations ont permis de diviser par deux les départs précoces de ces jeunes, dont une grande partie se décourageait rapidement auparavant.

Les accords ou plans d'actions des branches et des entreprises ont été précédés de l'élaboration par le groupe Vigeo d'un guide des bonnes pratiques existant dans ce domaine : bilans de carrière à plus de cinquante ans, formations pour changer de poste, embauche de seniors pour la vente de produits destinés à cette catégorie de la population... Ce guide a été mis à disposition des entreprises et des branches, qui ont pu y puiser des idées pour élaborer leurs plans d'action. Plus de 70 % des salariés, soit près de treize millions, sont aujourd'hui couverts par un accord de branche ou d'entreprise. Il n'y a donc pas de fatalité à ce que l'emploi des seniors soit sacrifié dans notre pays.

En ce qui concerne l'emploi des jeunes, l'une des actions les plus utiles et efficaces consiste à renforcer le recours à l'apprentissage et à l'alternance, qui permettent aux jeunes de trouver plus facilement un emploi et de le garder, mais aussi de cotiser au titre de la retraite dès l'entrée en contrat d'apprentissage ou de professionnalisation.

En définitive, on ne peut pas gérer l'emploi avec une logique de courte vue. Cette logique voudrait que les seniors partent en préretraite et que les jeunes poursuivent plus longtemps leurs études. Une telle politique soulage les statistiques de l'emploi à court terme, mais a des effets catastrophiques à moyen et long terme. Des changements structurels sont en cours, mais il faudra du temps avant que tous leurs effets puissent être pleinement mesurés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion