Intervention de Didier Tabuteau

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 18 décembre 2013 : 1ère réunion
Agences régionales de santé — Audition de M. Didier Tabuteau responsable de la chaire santé à sciences po

Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé de Sciences-Po :

Je m'exprimerai à titre universitaire et personnel, non pas au nom de l'institution dont je relève, le Conseil d'Etat.

Après une genèse d'une vingtaine d'années - puisque le rapport « Santé 2010 » en parle déjà, en 1993 -, les ARS ont transformé le paysage des politiques publiques de santé. Au-delà de la seule lettre de la loi, trois objectifs principaux ont présidé à leur installation : les ARS devaient réguler le système de santé, améliorer son efficience ; on en attendait une globalisation de la prise en charge du parcours de soins ; enfin, elles devaient territorialiser les politiques publiques de santé, inscrire l'action sanitaire au plus près du terrain.

Que peut-on en dire, trois ans après leur installation ?

Les ARS, d'abord, ont bien reçu des compétences larges de régulation, mais pas suffisamment d'outils d'intervention, en particulier sur la médecine de ville et en matière de prévention, deux domaines ô combien importants où les agences ne peuvent guère faire davantage qu'inciter : la mission de régulation est, ainsi, largement inachevée.

L'installation des ARS a fait progresser la globalisation de la prise en charge, puisque le volet médico-social a été intégré à leurs compétences, mais il y a encore bien des lacunes, des services demeurent dans le giron des préfectures - et la mission de globalisation est pour le moins perfectible.

Enfin, le volet de la territorialisation fait apparaître bien des écueils, car les ARS ont été conçues comme des bras armés de l'administration centrale, bien davantage que des lieux de territorialisation des politiques nationales ; elles ont été chargées de la mise en oeuvre de la politique nationale de santé - c'est dans le texte de la loi, et les 321 circulaires qu'elles ont reçu la première année en témoignent - beaucoup plus que comme un outil permettant de définir, en partenariat, un volet régional de la politique nationale de santé. Cette absence de véritable déconcentration a été confirmée sans ambiguïté par le Conseil d'Etat puisqu'il a jugé - par deux arrêts du 12 décembre 2012 et un arrêt du 20 mars 2013 - que les directeurs des ARS sont placés sous l'autorité du ministre pour tous les actes effectués au nom de l'Etat, soit pour l'essentiel.

Je crois donc que notre système n'est pas suffisamment déconcentré, que les ARS n'ont pas assez d'autonomie pour mieux adapter les politiques nationales aux contextes locaux. A l'inverse, nous sommes peut-être allés trop loin en leur confiant des pouvoirs d'intervention dans la gestion même des établissements publics de santé, dans les décisions concernant l'organisation interne de l'hôpital - non pas seulement des pouvoirs de contrôle mais d'intervention directe, comme dans une « holding hospitalière ». Ce mode d'organisation est possible, il a ses défenseurs depuis longtemps - voyez, par exemple, le projet « d'assistances publiques régionales » dont on parlait il y a une vingtaine d'années -, mais ce n'est pas celui que le législateur a choisi, ce qui rend ce pouvoir d'intervention quelque peu excessif, me semble-t-il.

Je reviens sur le décalage entre la compétence régulatrice confiée aux ARS et le manque d'outil pour y parvenir : il y a bien le Fonds d'intervention régional (FIR), mais les ARS ne maîtrisent rien des outils conventionnels définissant les conditions d'exercice, les honoraires, les pratiques des professionnels libéraux, ce qui rend parfaitement vain tout projet d'organiser l'offre de soins à l'échelon régional. Ce décalage, en fait, renvoie au débat sur le pilotage de notre système de santé à l'échelon national, au face-à-face entre l'assurance maladie et l'Etat : les ARS n'y ont pas de place - et pour les y insérer, il faudrait rien moins que changer le pilotage global de notre système de santé ; j'y suis favorable, je crois que les ARS ont tout leur rôle à jouer pour définir des volets régionaux aux accords nationaux avec les professionnels, mais il faut bien voir que cela exige un autre mode de pilotage national.

Enfin, pour aller plus loin dans la déconcentration, je crois qu'il faut favoriser la structuration régionale des compétences en matière de santé, ce qui passe par une réflexion sur la conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA) : pourquoi ne pas l'arrimer au conseil régional plutôt qu'à l'ARS, en faire le lieu du débat public sur les politiques de santé dans la région ? La réflexion doit également porter sur les unions régionales des professionnels de santé (URPS), mal positionnées actuellement et sur l'organisation de l'assurance maladie à l'échelon régional.

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