La Fehap rassemble à la fois des établissements qui entraient précédemment dans le champ de l'objectif quantifié national (OQN) et dans le champ de la dotation globale, ce qui lui permet d'avoir une lecture complète de l'impact de la T2A. La T2A n'est qu'un outil et c'est la façon dont elle est utilisée qui détermine la plus ou moins bonne situation financière des établissements. Si la Fehap était à l'origine plutôt favorable à sa mise en place, nous avons aujourd'hui un certain nombre de critiques à formuler.
Une première difficulté tient à l'objectivation des coûts. La T2A augmente de façon moins dynamique que les Migac et au sein même des Migac, les crédits alloués aux établissements privés à but non lucratif évoluent défavorablement. La part que représentent nos établissements au sein des Migac a décru de plus de 20 % entre 2009 et 2010. En outre, le passage de la permanence des soins et de la prise en charge de la précarité des activités tarifées vers les Migac a conduit pour les établissements de santé à une diminution de ces activités tarifées de plus d'un milliard d'euros sans que nous ayons pu avoir suffisamment de visibilité sur les modalités de ce transfert. Concernant les 750 millions d'euros destinés au financement de la permanence des soins, le transfert s'est effectué dans les hôpitaux publics sur une base uniquement déclarative : chaque établissement a fait une déclaration sur la base de ce qu'il payait aux médecins hospitaliers dans le cadre de leurs gardes et astreintes sans que des vérifications plus profondes soient effectuées. Pour les établissements privés à but non lucratif, qui sont soumis au droit du travail, le débasage a été effectué uniquement sur la base des heures supplémentaires réalisées. Concernant la précarité, les débasages ont été réalisés à partir d'une étude devant permettre de déterminer les zones dites « sensibles ». Or une répartition équitable aurait nécessité une analyse beaucoup plus fine des situations de précarité sur les territoires.
La création des Migac a cependant eu un effet positif en ce qu'elle a permis une analyse plus fine et une répartition beaucoup plus objective des crédits alloués aux missions d'enseignement, de recherche et d'innovation.
Une deuxième difficulté liée à la mise en oeuvre de la T2A réside dans le manque de prévisibilité des tarifs. En effet, ceux-ci ont longtemps connu une évolution erratique, difficile à comprendre en amont et à expliquer ensuite aux établissements de santé. Cette situation est d'autant plus préjudiciable que les établissements privés à but non lucratif sont soumis au principe d'équilibre budgétaire et que la découverte tardive des évolutions tarifaires en cours d'exercice peut les mettre en difficulté. Nos établissements ont fait le choix d'être des acteurs moteurs du service public en étant pour la plupart en secteur 1 et en participant aux missions de service public. Il leur est donc difficile de privilégier les activités les mieux rémunérées pour maintenir leur stabilité financière.
En troisième lieu, le système de la T2A tel qu'il est construit pénalise la performance. C'est notamment le cas pour des établissements qui ont optimisé les durées de séjour en développant fortement la chirurgie ambulatoire : ces établissements performants ont été pénalisés financièrement parce qu'ils avaient des durées de séjour faibles.
Par ailleurs, le système de tarification repose sur des bases identiques entre le public et le privé non lucratif alors que la gestion des deux types d'établissements s'inscrit dans des temporalités différentes. L'hôpital public peut en effet supporter des déficits importants sur une durée longue et la souplesse dont il bénéficie dans la gestion de ses comptes est accentuée par l'absence de certification de ceux-ci. La Cour des comptes, qui devrait à terme mettre en place cette certification, a récemment estimé qu'elle conduirait à constater des déficits plus importants qu'aujourd'hui. Pour les établissements privés à but non lucratif, la T2A a un impact direct sur leur pérennité.
Dans l'absolu, la T2A devrait contribuer à l'apparition d'un système concurrentiel, permettant aux établissements dynamiques de disposer de moyens à la hauteur de leur activité. On s'aperçoit que ce système a rapidement bénéficié avant tout aux hôpitaux publics. Je pense aux débasages évoqués précédemment au moment de la création de nouvelles missions d'intérêt général (permanence des soins et précarité) mais également à l'aide récente qui a été apportée aux hôpitaux publics ayant des difficultés d'accès à l'emprunt, qui n'a pas bénéficié au secteur privé non lucratif alors que ses établissements connaissent des difficultés similaires.
Une autre difficulté est liée aux différentiels de charges sociales avec les hôpitaux publics. Ce différentiel s'élevait à 100 millions d'euros. Nous avons obtenu en 2011 35 millions d'euros, ce qui ne permet de couvrir qu'une partie des écarts. Les établissements privés à but non lucratif sont au final moins bien accompagnés que les hôpitaux publics.
On est donc en train de pervertir cet outil de dynamisation qu'est la TA2, tout comme la dotation globale a été en pratique pervertie, devenant un outil de reconduction des dotations historiques alors qu'elle devait permettre à l'origine une restructuration des établissements publics, privés et privés non lucratifs. Je crains que la T2A ne soit dans la même logique : les tarifs s'appliquent à tous tandis que les Migac permettent de privilégier certaines structures en leur permettant de continuer à fonctionner.
Pour revenir plus précisément sur les tarifs, nous avons été surpris de constater que les classifications conduisaient à accompagner plutôt certains établissements que d'autres : les CHU et les centres de lutte contre le cancer ont profité de la T2A tandis que les hôpitaux généraux et les hôpitaux privés non lucratifs ont été pénalisés. Seuls les établissements privés non lucratifs qui ont une activité proche de celle des CHU, notamment un taux de recours important, tirent leur épingle du jeu.
La DGOS a demandé à l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (Atih) d'établir pourquoi les CHU n'avaient pas bénéficié autant que prévu de la nouvelle nomenclature tarifaire, qui visait justement à améliorer la prise en compte de la technicité des actes. Celle-ci révèle que le CHU de Lille a le taux de recours le plus élevé, soit 7 %, pour un taux moyen de 3 %. Ceci signifie que les CHU assurent à 97 % en moyenne des activités de proximité, qui sont donc financées par des crédits théoriquement dédiés à leur vocation universitaire. En outre, les moyens mis par les CHU sur ce type d'activité sont disproportionnés. Parallèlement, dix structures de la Fehap sont dans le palmarès des établissements ayant le taux de recours le plus élevé, en tête desquelles l'hôpital Marie Lannelongue avec un taux de recours de plus de 40 %. L'équivalent des ces établissements aux Etats-Unis, les « mayo clinic », ont en moyenne cinq cents lits universitaires, tandis que l'hôpital Saint-Joseph, plus grand hôpital de la Fehap, compte neuf cents lits et l'AP-HM en dénombre de cinq mille à six mille. L'inadéquation entre l'allocation des ressources et l'activité a perverti le système. Cette étude de l'Atih n'a pas été publiée et il a fallu que l'agence de presse médicale (APM) la demande pour en avoir la communication.
Les centres de lutte contre le cancer (CLCC) sont les deuxièmes bénéficiaires de la mise en place de la T2A, grâce au plan Cancer. Aujourd'hui, certains tarifs s'avèrent supérieurs au coût de l'activité. Avant même l'instauration de la T2A, une part importante de l'enveloppe complémentaire allouée à certains de nos établissements pour les aider à sortir des aides liée à la réduction du temps de travail avait été affectée aux CLCC, en particulier l'hôpital Gustave Roussy.
Globalement, après la mise en place de la T2A, les établissements les plus performants, qui devraient être à l'équilibre, sont en déficit et la situation des établissements historiquement déficitaires se dégrade. Nous avions effectué une projection en 2005 : tous nos établissements, à deux exceptions près, devaient sortir gagnants de la mise en place de la T2A. En 2012, seul l'hôpital Saint-Joseph, après une lourde restructuration, est en situation d'équilibre. Tous les autres établissements sont dans le rouge malgré une progression de leur activité. Malgré une hausse de l'activité située entre 3,5 % et 4 % par an, les recettes diminuent du fait de tarifs bas. Cette perversité du système de financement est inquiétante. De leur côté, les cliniques, c'est-à-dire le secteur ex-objectifs quantifiés nationaux (OQN), ne tirent pas uniquement leurs revenus des tarifs, mais peuvent aussi jouer sur les honoraires ou les chambres à tarif particulier, ce qui rend leur situation financière plus favorable.
La convergence tarifaire était inhérente à la mise en place de la T2A. Actuellement, le secteur qui était régi par les OQN s'en sort bien, celui qui était financé par dotation globale éprouve plus de difficultés. La convergence n'est acceptable que si l'ensemble des coûts est objectivé : les coûts annoncés ne doivent pas être inférieurs aux coûts réellement supportés. La DGOS devrait se pencher sérieusement sur le sujet.