Intervention de Alain Anziani

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 27 avril 2016 à 9h05
Reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages — Examen du rapport pour avis

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani, rapporteur pour avis :

Sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, la commission des lois s'est saisie pour avis, en deuxième lecture, de l'article 2 bis, relatif au préjudice écologique. C'est une question simple et passionnante qui appelle des réponses complexes et arides. En cas de catastrophe écologique, nous savons comment réparer les dommages lorsqu'ils sont corporels ou que les biens d'une entreprise ou d'une propriété privée sont emportés ou détruits. Depuis quelques années, nous avons pris conscience qu'il existait aussi un dommage écologique pur : lorsque des flux d'hydrocarbures se déversent en haute mer, l'environnement subit un dommage, même si le rivage n'est pas forcément pollué. Il en va de même lorsqu'une pollution cause la disparition d'une espèce animale.

Le code de l'environnement énonce une vingtaine de régimes de polices administratives fondées sur des autorisations pour parer à ce type de dommage. La loi de responsabilité environnementale du 1er août 2008 qui transpose une directive du 21 avril 2004 résout la question de la responsabilité et de la réparation d'un tel préjudice en donnant à l'autorité préfectorale le rôle de maître d'oeuvre. Son défaut est de procéder par listes en énumérant les activités à risques et les dommages couverts, de sorte qu'elle n'échappe pas à certains oublis ou à des mentions obsolètes. Les milieux universitaires et les praticiens du droit ne manquent pas de dénoncer une disposition inappliquée et inapplicable.

Dans son arrêt du 25 septembre 2012 sur l'affaire Erika, la Cour de cassation reconnaît le préjudice écologique pur et définit sa réparation en se fondant sur une extension de la notion de préjudice moral. Il serait plus satisfaisant de revoir le travail du législateur en intégrant la notion de préjudice environnemental pur dans le code civil. Tel était le sens de la proposition de loi déposée par Bruno Retailleau, il y a quelques années, et dont j'étais rapporteur. Adoptée à l'unanimité au Sénat, elle est restée sans suite à l'Assemblée nationale. Alors qu'un amendement déposé par Bruno Retailleau et Jérôme Bignon, lors de l'examen du projet de loi sur la biodiversité, en reprenait la teneur, le texte réécrit par l'Assemblée nationale en deuxième lecture reste obscur et ambigu. Par conséquent, nous avons mis en place avec Jérôme Bignon un groupe de travail pour le retoucher.

Notre divergence est doctrinale. L'Assemblée nationale a choisi de concevoir un nouveau régime de responsabilité très inspiré du code de l'environnement ; je vous proposerai de nous appuyer sur les articles 1382, 1383 et 1384 du code civil qui définissent le régime de la responsabilité, et de mettre au coeur du dispositif la notion de réparation. Pourquoi abandonner ce qui a fonctionné durant des années ?

Premier point de divergence : qui est responsable du préjudice écologique pur ? L'Assemblée nationale considère que c'est la personne qui cause le préjudice, ce qui est en deçà de ce que prévoient les articles 1382 à 1384. Lorsqu'un produit toxique a été déversé, la responsabilité du dommage incombe-t-elle à l'employé qui a fait le geste ou à l'entreprise elle-même ? Mieux vaudrait remplacer à l'article 2 bis « toute personne qui cause un préjudice écologique » par « toute personne responsable d'un dommage anormal causé à l'environnement ».

Deuxième point : de quel dommage parle-t-on ? Le texte de l'Assemblée nationale mentionne « une atteinte non négligeable » à l'environnement. Certains juristes considèrent que l'expression n'a pas de sens. Minimis non curat praetor : on ne s'occupe pas de ce qui est insignifiant. Nous proposons d'introduire plutôt la notion de « dommage anormal causé à l'environnement » en nous inspirant du trouble anormal de voisinage.

Troisième point : quel est l'objet du préjudice ? En faisant référence à une « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices tirés par l'homme de l'environnement », le texte, trop abscons, crée une incertitude juridique forte. En proposant la notion de « dommage anormal causé à l'environnement », nous restreignons le champ des interprétations tout en laissant la jurisprudence oeuvrer.

Quatrième point : dans le texte, l'action en réparation est ouverte « à l'État, au ministère public, à l'Agence française pour la biodiversité, aux collectivités territoriales et à leurs groupement dont le territoire est concerné, ainsi qu'à toute personne ayant qualité et intérêt à agir ». Pourquoi ajouter le ministère public à côté de l'État ? La rédaction présente également l'inconvénient de trop élargir le champ des possibles. Mieux vaudrait préciser qu'il s'agit des établissements publics, des fondations, des associations d'utilité publique ayant pour objet la défense de la nature et de l'environnement.

Cinquième point : comment réparer le préjudice ? Nous avons jugé bon de préciser que la réparation en nature qui s'impose « vise à supprimer, réduire ou compenser le dommage », par exemple replanter une espèce rare, ou favoriser la survie d'une espèce en voie de disparition. Ceci reprend une formulation proposée par le groupe de travail sur la responsabilité civile, présidé par François Terré.

Sixième point : que faire quand la réparation est impossible ? S'il faut effectivement recourir à des dommages et intérêts, comme le préconise le texte de l'Assemblée nationale, à qui les attribuer ? La question est d'autant plus pertinente lorsque le demandeur n'est pas en état de les utiliser pour réparer ou compenser le préjudice qu'il a subi. En l'état, le texte indique que « les dommages et intérêts sont versés à l'État ou à toute personne qu'il a désignée ». Autant choisir l'Agence française pour la biodiversité.

Septième point : le texte prévoit que les dépenses exposées pour prévenir un dommage, la destruction d'une forêt par exemple, sont dédommagées « dès lors qu'elles sont utilement engagées ». Cette condition mérite d'être précisée.

Le huitième point porte sur la question délicate du régime de la responsabilité : comment articuler le code civil et le code de l'environnement ? Nos collègues députés considèrent que lorsqu'une procédure est engagée, le juge judiciaire « sursoit à statuer sur le fond jusqu'au terme de la procédure administrative », ce qui risque d'allonger les délais, parfois à l'infini. D'où notre choix de supprimer cet article pour en revenir aux dispositions actuelles.

Neuvième point : le texte de l'Assemblée nationale prévoit un délai de prescription de trente ans « à compter du jour où le titulaire de l'action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice », avec un butoir de cinquante ans. Nous proposons de conserver ce principe de date glissante, en alignant le délai de prescription sur celui qui prévaut en matière de préjudice corporel, à savoir dix ans, et en supprimant le butoir des cinquante ans.

Enfin, dixième point : l'Assemblée nationale ne mentionne aucune date d'entrée en vigueur pour le texte, de sorte qu'il pourrait ne pas s'appliquer dans le cas d'un dommage qui se manifesterait avec une cause rétroactive. Nous proposons de mentionner que le texte prend effet à la date du dommage, en ajoutant que la rétroactivité ne s'applique pas quand une action judiciaire est déjà engagée.

Telles sont les propositions qui ont donné lieu aux 13 amendements que nous devons examiner.

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