Intervention de Christos Stylianides

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 28 avril 2016 à 8h35
Audition de M. Christos Stylianides commissaire européen chargé de l'aide humanitaire et de la gestion des crises

Christos Stylianides, commissaire européen chargé de l'aide humanitaire et de la gestion des crises :

C'est un honneur d'être là à un moment très difficile pour l'Europe, notamment dans mon secteur, l'humanitaire. Lors de la conférence sur le changement climatique, j'avais rencontré M. Raffarin, sans savoir comment la situation évoluerait. C'est le sort des hommes et des femmes politiques...

Les parlements nationaux ont un rôle de proposition de première importance. Ce n'est qu'en les impliquant qu'on surmontera les divergences entre les institutions européennes et les citoyens. En tant qu'ancien parlementaire, je connais bien ce rôle des députés et des sénateurs. Je suis très reconnaissant à la France qui a joué un grand rôle pour l'architecture du projet européen et qui est un moteur et une source d'inspiration pour l'Europe. L'idéal européen est contesté. Nos concitoyens s'interrogent sur le projet européen. Plus que jamais, nous devons écouter la voix prépondérante des pères fondateurs ; l'Allemagne et la France doivent jouer un rôle fondamental.

Les crises, les catastrophes et donc les besoins se multiplient autour de nous. Jamais, auparavant, notre monde n'a été autant impacté par l'émergence de crises et par l'effet d'innovations technologiques. Ces interconnexions sont évidentes au Moyen-Orient, dans les crises africaines, en Irak, au Sud-Soudan, au Sahel... Ainsi, la crise des réfugiés et Ebola ont eu un impact très négatif en Afrique orientale. Ces crises interconnectées ont un impact sur nous tous. Ceux qui pensent qu'ériger des barrières ou des murs suffirait à les contenir sont naïfs. Nous ne pouvons faire comme si de rien n'était. La crise syrienne n'est pas seulement une crise des réfugiés. C'est la partie émergée d'un énorme iceberg qui ne fait que croître. 86 % des réfugiés dans le monde vivent dans des pays en développement et n'attirent que très peu d'attention ; ils sont source de crise dans le monde entier. Au moins 87 millions de personnes dans le monde nécessitent une aide humanitaire cette année. Les crises sont un énorme test de résistance pour l'Union. C'est pourquoi nous avons absolument besoin d'un leadership politique.

Cette crise des réfugiés, mondiale, nécessite une réponse internationale. La manière dont nous réagissons déterminera comment l'histoire évaluera nos actions. Les réfugiés continueront à fuir leur pays, tant que les crises syrienne, libyenne, africaine ne seront pas résolues. Ériger de nouvelles barrières et refuser l'accueil des réfugiés va à l'encontre de l'éthique européenne. La fermeture des frontières ne résoudra pas la crise, mais aboutira à une Europe fondée sur l'isolement et la crainte.

L'Europe n'est pas restée inactive et a pris des mesures considérables : nous sommes le plus gros bailleur de fonds dans le secteur humanitaire, et avons pris l'initiative politique grâce à Federica Mogherini, notre haute représentante, aux commissaires et aux initiatives du président Juncker. Nous avons adopté un plan d'action Europe-Turquie, alloué des fonds via l'instrument pour les réfugiés en Turquie. Je sais que cet accord est controversé. Je comprends les réserves sur certains aspects du droit humanitaire, mais il n'y avait pas d'autre solution. Rassurez-vous : nos efforts sont utiles et en accord avec le droit humanitaire international et le droit de l'Union. L'accord avec la Turquie est un élément clef de nos efforts pour résoudre cette crise majeure, après d'âpres négociations. Nous avons besoin d'eux, ils ont besoin de nous. C'est un cadre solide pour gérer la crise efficacement. Il permet de fournir une aide humanitaire aux réfugiés présents en Turquie : 90 millions d'euros ont déjà été alloués, 75 millions le seront d'ici mi-juillet, pour les réfugiés et non l'État turc.

Autre mesure, le nouvel instrument d'aide d'urgence à l'intérieur de l'Union européenne, et notamment la Grèce, qui était impensable il y a cinq ans, montre la volonté de la Commission d'aider les États sous pression. Quelque 700 millions d'euros seront alloués pour les trois prochaines années : 300 millions d'euros en 2016, 200 millions en 2017 et 200 millions en 2018. J'étais la semaine dernière à Athènes pour lancer des projets financés par cet instrument. La pression sur la Grèce est énorme, et les citoyens grecs ont fait preuve de beaucoup de générosité et de maturité. Mais ce financement est insuffisant. Les problèmes humanitaires nécessitent des solutions politiques.

La crise syrienne, d'ampleur mondiale, représente une menace mondiale, et un terreau pour des groupes extrémistes souhaitant détruire la cohabitation entre les différentes religions. La crise est exploitée par des extrémistes évoquant un choc de civilisation. Nous n'acceptons pas la thèse du choc des civilisations ; ce serait plutôt un choc d'ignorances ! Le président Bizet est d'accord avec moi. Comme il le disait, Chypre sera peut-être un modèle à suivre dans la Méditerranée, proche des régions en crise. Nous avons besoin de ces exemples contre les thèses d'Al Qaïda.

En Syrie, 14 millions de personnes ont besoin d'aide. C'est une crise de grande ampleur. Le cessez-le-feu est fragile et soumis à une pression croissante. Nous ne pouvons faire autre chose qu'aider ces personnes, faute de quoi elles seront de futurs réfugiés. L'Union est le plus gros bailleur de fonds : elle donne 6 milliards d'euros d'aide humanitaire, pour le développement et la stabilisation des pays. Nous étions le principal donateur lors de la conférence de Londres, avec plus de 2 milliards d'euros pour 2016 et 2017. Une solution politique est plus que nécessaire, et nous soutenons l'envoyé spécial de l'ONU, Staffan de Mistura.

Avec Mme Mogherini, nous avons recherché de nouvelles solutions, notamment avec les Iraniens. Un nouvel élan est apparu dans la région. Ainsi, nous cherchons un accord avec le gouvernement iranien pour fournir une aide humanitaire aux zones assiégées de Syrie, lorsque nous aurons terminé des négociations très difficiles. Il y a dix jours, à Téhéran, j'ai annoncé une augmentation de l'aide européenne pour les réfugiés afghans en Iran ; de nombreux Afghans qui viennent en Europe sont passés par l'Iran. Cela montre l'interconnexion des crises, et la nécessité pour l'Europe d'adopter une approche globale pour gérer cette crise sans précédent.

Dans ce contexte, préserver l'implication européenne est un devoir moral et une question de crédibilité. Avec la multiplication des crises, nous devons aider les populations à être plus résilientes. La résilience doit être un objectif commun, pour bâtir des sociétés intégratrices et stables. Ce n'est pas seulement une question de philanthropie. L'éducation est un excellent exemple de résilience. Elle est une priorité. Chaque enfant a droit à une éducation, alors que 37 millions d'enfants sont déscolarisés dans ces zones de conflit. L'éducation protège les enfants et les empêche d'être la proie d'organisations terroristes. Nous allons multiplier par quatre le financement des projets éducatifs, et travailler dans 42 pays pour aider 2,3 millions d'enfants. L'Union doit continuer à être le principal bailleur de fonds dans ce domaine. Bien sûr, nous constatons des résultats sur le terrain, comme à Gaziantep, en Jordanie ou en Afrique : l'aide humanitaire peut aider les enfants à recevoir une éducation.

L'aide que nous avons apportée en Syrie et en Afrique est globale : elle inclut l'éducation, notamment à travers les programmes scolaires.

En matière d'aide humanitaire et au développement, la résilience est capitale ; elle repose sur la prévention, la préparation et la réduction des risques, pour faire face à des phénomènes climatiques comme El Niño, dont l'impact en Afrique est désastreux. En Éthiopie, où je me suis rendu voici quelques semaines, vingt millions de personnes sont en situation d'insécurité alimentaire. La Commission a annoncé la mobilisation de plus de 400 millions d'euros pour satisfaire les besoins immédiats, mais aussi trouver des solutions aux causes de cette situation. De tels phénomènes sont en effet appelés à se multiplier ; il est donc crucial d'y être préparé, en vertu du vieil adage : mieux vaut prévenir que guérir.

L'Union européenne a récemment mis en place un mécanisme de préparation de ce type avec le corps médical européen, une initiative franco-allemande destinée à répondre efficacement aux prochaines urgences sanitaires en Europe et dans le monde, à travers le déploiement rapide d'équipes médicales.

Dans ce contexte de crise migratoire, le prochain sommet humanitaire mondial d'Istanbul constitue une opportunité unique d'améliorer les systèmes d'aide humanitaire. L'Union européenne s'y est engagée, avec le ferme soutien de la France. Pour cela, il faut d'abord que l'aide aille directement et sans intermédiaire à ceux qui en ont besoin. Les bailleurs doivent assumer leurs responsabilités et le secteur privé s'impliquer efficacement, car les deniers publics ne suffisent pas à satisfaire tous les besoins. Enfin, il nous incombe de promouvoir le droit humanitaire international. La réussite du sommet d'Istanbul repose sur un engagement politique en bonne et due forme, faute de quoi ce sera une occasion manquée, sans écho dans les médias.

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