Intervention de François Bourdillon

Commission des affaires sociales — Réunion du 4 mai 2016 : 1ère réunion
Audition de M. François Bourdillon candidat pressenti à la direction générale de l'agence nationale de santé publique

François Bourdillon, candidat pressenti à la direction générale de l'agence nationale de santé publique :

Je vous remercie de m'accueillir pour cette audition concernant l'agence nationale de santé publique dont la marque est « Santé publique France ».

Je suis médecin, spécialiste de santé publique, issu du CHU de la Pitié-Salpêtrière, où j'ai été praticien hospitalier, chef du « pôle santé publique, évaluation et produits de santé ». En août 2014, j'ai pris la direction de l'InVS. J'ai ensuite pris l'intérim de la direction générale de l'Inpes, avant que la ministre en charge de la santé m'adresse en septembre 2014 une lettre de préfiguration pour fusionner les trois établissements publics auquel s'est ajouté un an plus tard le groupement d'intérêt public « Addictions, Drogues Info Service » (Adalis), qui dépendait de l'Inpes.

Le calendrier de préfiguration, qui s'étale sur vingt mois, permet de bénéficier d'un temps à la fois long et précieux pour réaliser une conduite du changement et créer une agence ambitieuse. Notre méthode a consisté à effectuer tout d'abord un diagnostic de l'existant. Deux cent personnes se sont mobilisées pour réfléchir sur les besoins d'une grande agence. Il nous paraissait important de permettre un dialogue social et que tous les spécialistes de santé publique des agences concernées puissent s'exprimer. Sans ce travail de fond qui a duré plusieurs mois, je n'aurais pas pu établir le rapport de préfiguration. Celui-ci est aussi l'expression de la connaissance de nos meilleurs épidémiologistes et préventologues. Je ne cache pas que le projet de fusion a inquiété le personnel. J'ai fait une assemblée générale des personnels tous les deux mois, organisé des petites-déjeuners de préfiguration pour expliquer les choses. Nous avons également passé un protocole d'accord avec les organisations syndicales et négocié avec le Gouvernement sur la nécessaire stabilité dont nous avions besoin aux plans budgétaire et financier puisque la réalisation d'une fusion coûte au départ toujours de l'argent.

Le rapport de préfiguration a été l'élément structurant sur lequel nous nous sommes appuyés. C'est un moment où l'on exprime des valeurs, des principes, où l'on donne sa vision et où l'on définit les missions de la future agence.

La troisième étape a été celle de la programmation. La ligne de conduite que nous avons donnée à la direction générale a été celle de la lisibilité, essentielle pour comprendre les actions menées par l'agence. Nous voulions également de la transversalité, ce qui implique qu'il faut expliquer pourquoi une continuité est nécessaire entre l'épidémiologie, la prévention et la promotion de la santé.

La dernière étape, qui s'est déroulée au mois dernier, a été de créer un organigramme unique, regroupant l'ensemble des agents. Je concède ici que l'effet du temps a joué puisque nous sommes arrivés à avoir une seule ligne de commandement et aucun licenciement.

L'ANSP a été créée le 1er mai. Il reste deux phases importantes. La première est celle du regroupement des agents sur le site unique de Saint-Maurice. Il aura lieu le 1er janvier 2017. Le projet immobilier prévoit la construction d'un troisième bâtiment en 2018. La transversalité implique que les agents soient le plus proche possible les uns des autres.

J'espère pouvoir disposer d'un conseil d'administration dès le mois de juillet. Les nominations devront se faire rapidement. Dans l'intervalle, c'est le directeur général de la santé qui assure cette fonction. J'ai retenu quatre orientations stratégiques que je pourrais proposer au conseil d'administration, sachant qu'il pourrait y en avoir beaucoup d'autres. Je retiens d'abord la fixation des axes stratégiques et des priorités. J'ai donné un certain nombre d'orientations dans le rapport de préfiguration mais les orientations qui seront définies sont le fruit d'une alchimie entre les attentes politiques, la prise en compte des besoins dans le domaine de la santé publique, qui nous oblige à les prioriser les maladies entre elles, ainsi que de la prise en compte de ce que nous appelons l' « évitabilité », c'est-à-dire les éléments sur lesquels nous pouvons espérer agir pour réaliser des gains en matière de santé, comme le tabac qui est le premier déterminant de santé.

Le deuxième axe stratégique porte sur l'un de nos points faibles en France, à savoir la prévention et la promotion de la santé. Nous avons très longtemps joué la carte de l'offre de soins et disposons de très peu de formations en prévention, et donc de très peu de professionnels dans ce domaine. Il nous faut construire avec beaucoup d'ambition une politique de prévention qui s'appuie sur des moyens modernes. Nous devons passer la révolution numérique. Cela coûte moins cher et est parfois plus efficace.

Pour l'Eprus, un apport très clair de la fusion est l'utilisation des outils de l'épidémiologie pour l'analyse des besoins.

Le dernier point important pour le conseil d'administration est de comprendre l'articulation entre le niveau national et le niveau régional. Nous avons besoin de disposer d'une colonne vertébrale avec la surveillance à l'échelle nationale. Les outils utilisés en région doivent être harmonisés et cohérents. Il nous reste encore beaucoup à faire dans ce domaine en distinguant l'expertise que nous pourrons avoir au niveau national et ce qui pourrait être décliné en région.

Tout le monde s'accorde pour dire que la création de l'agence doit permettre de répondre aux modèles internationaux. Tous les grands pays ont des agences nationales de santé publique. Nous allons nous aligner sur le standard international. Nous étions dans le millefeuille, avec une construction qui était établie au fil des crises.

S'agissant des fonctions support et des économies d'échelle, nous avons besoin de masse critique. Je prends l'exemple des systèmes informatiques : ce que nous faisons au sein de l'ANSP, c'est du « big data », c'est-à-dire du multisources, avec des grandes masses de données, le système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie (Sniram) étant la première d'entre elles. Mais il faut savoir que toutes les données des urgences hospitalières arrivent chaque jour à l'InVS, ce qui représente 50 000 lignes de données. Or nous nous sommes retrouvés il y a vingt mois avec trois systèmes informatiques complètement différents, qu'il nous a fallu fusionner dans une logique de complémentarité, ce qui implique d'avoir des informaticiens de très haut niveau.

Une réforme nous a été imposée par le ministère du budget, celle de la gestion budgétaire et comptable. Elle nous a permis de ne pas devoir choisir entre les trois systèmes existants alors, qui tous fonctionnaient très bien. Mais le nouveau système est particulièrement chancelant. Il nécessite d'être construit tout en faisant l'objet d'une acculturation.

La logique d'intégration de supports auprès des métiers est extrêmement importante. Il nous faut deux à trois ans pour réaliser des économies d'échelle. La principale difficulté que nous avons dans ce champ est que les métiers sont souvent occupés par des personnes en contrat à durée déterminée (CDD) quand celles qui exercent des fonctions support comme la comptabilité par exemple sont souvent en contrat à durée indéterminée (CDI), ce qui ne facilite pas la gestion sur le plan du droit du travail. Nous avons des efforts à faire dans ce domaine.

S'agissant de l'Eprus, dont je n'ai la charge que depuis deux jours, se pose d'abord la question de la confidentialité, avec les stocks stratégiques, le secret défense, le secret de la sécurité civile, le secret industriel et commercial, alors que nous avons prévu un conseil d'administration ouvert vers la société et comprenant notamment des représentants d'associations et de professionnels de santé. L'option qui a été retenue est de prévoir que le conseil d'administration puisse se réunir en formation restreinte pour prendre des décisions qui concernent la défense nationale et la sécurité civile. L'ordonnance et le décret précisent la composition du conseil d'administration restreint qui réunira un représentant du ministère de la santé et des affaires sociales, un représentant du ministère de la défense, un représentant du ministère du budget et un représentant de l'assurance maladie, laquelle est le principal financeur. Les données seront soumises au secret professionnel.

Le maintien de la réactivité dont a fait preuve l'Eprus est très important. En cas de situation sanitaire exceptionnelle, les réservistes doivent pouvoir être mobilisés dans les vingt-quatre heures. Nous avons pris un certain nombre de décisions en ce sens. Dans la nouvelle organisation de l'ANSP, nous avons une direction appelée « Alertes et crises ». Celle-ci regroupe l'établissement pharmaceutique de l'Eprus, l'unité des réservistes et l'unité « alerte » de l'InVS. Son directeur sera celui qui a été jusqu'à présent le directeur général adjoint de l'Eprus. Nous avons également prévu toutes les délégations de signature permettant de donner de la réactivité, quel que soit le moment de la semaine ou de l'année. Nous avons conservé le même système d'astreintes. Enfin, pour préserver l'identité de l'Eprus, qui est forte, nous avons décidé de garder l'appellation d'Eprus pour dénommer les équipes de réservistes. Il s'agira des « équipes de préparation et de réponse aux urgences sanitaires ». Leur uniforme comportera la mention conjointe d'Eprus et de l'ANSP.

S'agissant des relations entre la direction générale de la santé et l'ANSP, la première est une direction stratégique qui a réellement besoin d'une agence d'expertise nationale. En 2015-2015, nous avons reçu 83 saisines de notre direction de tutelle, ce qui témoigne de son besoin d'expertise scientifique. Il n'y a plus de scientifiques à la direction générale de la santé. Elle doit donc pouvoir s'appuyer sur un système d'agences sanitaires : l'ANSP pour l'état de santé de la population, l'agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour les produits de santé, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pour les risques et la Haute Autorité de santé (HAS) pour les pratiques de santé.

Avec la direction générale de la santé, nous avons créé de multiples espaces de dialogue : la réunion de sécurité sanitaire qui a lieu tous les mercredi matins, qui réunit l'ensemble des directeurs généraux de l'ensemble des agences sanitaires et où tous les signaux qui menacent la population sont abordés afin que nous puissions avoir des réponses coordonnées, les réunions bilatérales qui ont lieu une fois par mois, qui réunissent les directeurs de l'agence et tous les sous-directeurs de la direction générale de la santé pour aborder toutes les questions importantes, et enfin, une fois par mois, un comité inter-agences qui se réunit sur une thématique transversale. La direction générale de la santé remplit ainsi pleinement sa fonction de chef d'orchestre au niveau des agences sanitaires.

La question sensible des ressources peut être regardée de diverses façons. Je pourrais vous répondre que nous ferons les efforts exigés par notre pays en matière d'équilibre financier. Je pourrais aussi vous répondre par une comparaison des ressources de l'ANSP avec celles des autres agences au niveau international. L'ANSP dispose d'un budget d'environ 190 millions d'euros. Nous avons encore des efforts financiers à faire en matière de santé humaine. Nous sommes en période de crise et ferons donc les efforts demandés mais je ne doute pas que d'ici vingt ans nous aurons rejoint les mêmes lignes que les États-Unis, l'Allemagne ou le Royaume-Uni et que donc l'ANSM aura finalement à grossir à moyen terme.

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