Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi a été l’occasion de débats nourris sur des sujets variés découlant de la révolution numérique qui s’opère dans notre société et qui la transforme.
En tant que législateur, nous avons été confrontés à une question récurrente : le droit existant permet-il d’encadrer ces pratiques ou faut-il adopter des dispositions spécifiques ?
L’émergence de nouvelles techniques de communication réactive souvent de vieilles controverses du droit des personnes. Au sein du groupe du RDSE, nous avons particulièrement veillé à ce que la promesse de publication des données publiques préserve l’intimité de la personne et les secrets légalement consacrés.
Nous avons cependant pris garde à ne pas adopter une posture de méfiance viscérale et orwellienne. Le progrès technique est une chance pour tous, pour nos territoires et pour tous les Français. Le numérique peut et doit devenir le support d’un progrès social, à condition qu’il soit adossé à des institutions et à un cadre juridique adéquats.
À l’évidence, nous partageons cette vision avec vous, madame la secrétaire d’État, et nous tenons à saluer votre engagement et la qualité de vos réponses, toujours fournies et argumentées, qui ont permis à ce débat de tenir toutes ses promesses.
L’examen du projet de loi par notre Haute Assemblée a ainsi permis d’apporter des solutions à de nombreux conflits nés des tensions, que je viens d’évoquer, entre notre héritage juridique et de nouvelles pratiques numériques, régies par des normes numériques parfois incompatibles.
Nous regrettons cependant que le texte issu de la séance publique demeure laconique sur certains aspects essentiels ; j’y reviendrai.
En plus de clarifier le régime de la publication des données publiques, dans le respect des exigences fixées par la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés de 1978, le projet de loi a été enrichi d’un ensemble de dispositions apportant des solutions de droit à des situations conflictuelles nées de nouvelles pratiques numériques.
Comme nous le souhaitions, plusieurs activités novatrices et vectrices de tensions ont été encadrées, afin de permettre leur développement dans un cadre respectueux des opérateurs en place, sans céder à l’illusion selon laquelle la nouveauté serait toujours synonyme de progrès et l’ancien modèle voué, par nature, à disparaître. Les choses sont loin d’être aussi simples. Il s’agit, par exemple, des locations immobilières en ligne, qui pourront faire l’objet de notifications aux autorités communales dans les communes où le marché du logement est en tension.
Le régime de la liberté de panorama a également été affiné pour permettre aux internautes de publier des photographies d’œuvres architecturales, dans le respect des droits des architectes et des concepteurs. Il est nécessaire que la créativité de tous les individus de la « société numérique » soit préservée, celle des internautes comme celle des artisans et des professionnels.
Nos débats ont également permis de satisfaire les attentes du groupe du RDSE concernant la régulation d’internet.
Jusqu’à présent, ce gigantesque réseau a fonctionné selon ses propres normes, intégrant les algorithmes de hiérarchisation de l’information définis par les moteurs de recherche de la Silicon Valley. Les principes de liberté et d’égalité de ses contributeurs ont facilité l’innovation, grâce à l’accélération de la circulation de l’information et la mise en commun des savoirs.
Cependant, internet a aussi détruit des carrières et des vies, en servant de réceptacle aux harcèlements anonymes, exhibant des individus jusque dans leur plus grande intimité. L’anonymat facilite aussi la diffusion des théories du complot les plus rocambolesques et de propos haineux. On le sait, sur internet, on trouve le meilleur et le pire !
Au groupe du RDSE, nous sommes particulièrement attachés à assortir la liberté de l’internaute d’une plus grande responsabilité. C’est pourquoi nous avons obtenu de mieux encadrer les conditions de dépôt d’avis en ligne.
Nous nous félicitons également de la protection relative qui a été trouvée à l’issue d’un compromis pour les « hackers blancs », qui contribuent utilement à la mission de service public de sécurisation des sites officiels.
Nous nous contentons également des dispositions adoptées en matière de droit à l’oubli, encore que nous aurions souhaité un peu plus.
Dans le réseau mondialisé, nous considérons que la France doit défendre son identité juridique et sa conception de la liberté d’expression. Nous accueillons donc favorablement l’aggravation du quantum des sanctions que la CNIL peut prononcer à l’encontre des géants du numérique qui tenteraient d’y déroger. Jusqu’à présent, nos institutions n’ont pas été un obstacle à l’innovation numérique, puisqu’un rapport présenté aujourd’hui même au Quai d’Orsay, produit par une agence de conseil britannique et intitulé The soft Power 30, situe notre pays au quatrième rang des puissances influentes en ligne.
Mes chers collègues, malgré la qualité de nos débats, qui ont permis bien des améliorations, les sénateurs de mon groupe considèrent que, sur certains aspects, le projet de loi pourrait être encore complété.
Les dispositions concernant la mise en œuvre du nouveau service public des fameuses « données de référence », notamment les procédures d’anonymisation des données à caractère personnel avant publication, demeurent vagues. Elles sont pourtant essentielles et auraient pu être clarifiées au niveau législatif plutôt que reportées au niveau réglementaire.
Il faut également attirer l’attention sur l’importance de la recherche dans notre société numérique, importance que le projet de loi sous-estime. Nous regrettons ainsi qu’un droit d’embargo minimum ait été maintenu au profit des éditeurs. La recherche est essentielle, et les nouveaux moyens de communication peuvent servir d’accélérateur et de multiplicateur dans de nombreux domaines.
Enfin et surtout, nous voulons insister sur la nécessité de conduire une transition numérique sur l’ensemble de notre territoire. En effet, il est paradoxal que le Gouvernement établisse un plan d’action destiné à promouvoir la construction de réseaux numériques dans des pays étrangers – le plan Développement et numérique – quand on connaît la situation dans laquelle se trouvent nombre de nos territoires ruraux et insulaires en la matière.
Le numérique est une chance pour ces territoires ; il n’est pas question que cette chance ne soit pas saisie ! Associée au phénomène de dématérialisation des relations professionnelles, elle pourrait permettre d’accélérer le repeuplement des territoires isolés et de rééquilibrer la création de richesses sur l’ensemble de notre territoire.