Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie tout d’abord le groupe Les Républicains et son président, Bruno Retailleau, d’avoir sollicité l’organisation de ce débat sur la situation financière des communes et des intercommunalités.
Lors du 99e congrès des maires de France et des présidents d’intercommunalité, qui aura lieu dans quelques semaines, nous exprimerons formellement et définitivement l’attente de tous les maires : une remise en cause de la tranche 2017 de la réduction dramatique des dotations de l’État aux collectivités locales.
L’État a engagé cette réduction sans concertation, dans une loi de programmation des finances publiques. La copie était mal rédigée. Il s’agissait pour Bercy de tendre la main à la Commission européenne pour demander le report à 2017 de la réduction du déficit public à 3 %.
Je veux profiter de l’occasion pour tordre le cou à certains canards qui volent malgré eux !
Des propos sont répétés servilement par des instances de réflexion qui ne connaissent ni la réalité du terrain, ni la place des services publics dans la tenue de notre territoire et de notre cohésion sociale, ni le rôle d’agents économiques que les collectivités locales entretiennent au titre de la restitution de la commande publique pour préserver l’investissement public et l’emploi de proximité, ni la capacité de levier que notre loi fondamentale leur confère au titre de la libre administration des collectivités territoriales en leur permettant de lever l’impôt.
En 2014, on a commis l’erreur de sacrifier les collectivités locales sur l’autel de l’absence de réformes structurelles au cours du quinquennat.
Si l’image d’un gouvernement faisant les poches aux collectivités locales a rencontré un tel succès lors des questions d’actualité dans une assemblée qui représente les territoires, c’est bien qu’elle recouvre une part de vérité. Le fait que l’État n’assume pas ses responsabilités crée un sentiment d’injustice.
Par les dotations, l’État verse aux collectivités locales des crédits qu’il leur doit en raison des compétences qu’il leur a transférées, des responsabilités qu’il leur a accordées et du choix qu’il a fait de leur attribuer des impôts de dimension nationale pour permettre un effort de contribution et de solidarité.
Les décisions qui ont été prises sont trop lourdes. Elles portent les germes de la très grande difficulté que connaît notre économie aujourd’hui et du ralentissement dramatique de l’investissement public sur le terrain.
Nous n’avons eu de cesse de le dénoncer depuis deux ans. Je parle évidemment des maires de France et des présidents d’intercommunalité. Ce n’est pas un problème de droite et de gauche ou de majorité et d’opposition ! Chacun a apporté sa contribution lors de la journée de mobilisation du 19 septembre en fonction de sa propre sensibilité. Certes, le mode d’expression varie selon le jugement porté sur l’action du Gouvernement. Mais l’immense majorité, voire la quasi-totalité des maires ont accompagné ce mouvement inédit et historique pour demander la remise en cause de la réduction des dotations de l’État aux collectivités locales.
Le mouvement a été si profond et puissant, car il s’appuie sur la claire conscience qu’une telle décision aboutit à l’effondrement de l’investissement public de proximité. Nous constatons à présent les dégâts que cela entraîne pour le bâtiment et les travaux publics. On annonce la suppression de dizaines de milliers d’emplois d’ici à 2017 sur l’ensemble de notre territoire.
Madame la secrétaire d'État, vous n’ignorez pas cette contestation. Nous allons engager un bras de fer avec l’État. Vous n’êtes membre du Gouvernement que depuis peu. En tant que parlementaire, vous aviez bataillé sur le texte qui est devenu la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Vos nouvelles fonctions ne doivent pas vous faire oublier vos anciennes positions. Votre qualité d’ancienne élue locale m’amène naturellement à flatter votre fibre de représentante d’un territoire. Vous devriez pouvoir comprendre nos préoccupations.
Le premier canard qui vole concerne l’ampleur de l’effort demandé aux collectivités locales. Nous maintenons que celui-ci est de l’ordre de 28 milliards d’euros. Le Gouvernement conteste ce chiffre depuis deux ans et avance celui de 11 milliards d’euros.
En tant qu’ancien ministre du budget, je vais vous démontrer la justesse de notre estimation.
Le montant global de la dotation globale de fonctionnement était de 41, 5 milliards d’euros en 2013. Si on l’avait simplement gelé, l’inflation étant restée modeste ces deux dernières années, et l’évolution du coût de la vie pouvant être considérée comme marginale, le montant de la dotation serait resté relativement inchangé entre 2013 et 2017 ; je laisse à vos conseillers le soin de faire le calcul sur ce point. Cinq années de dotations au montant de 2013, cela représente 207 milliards d’euros. Or, avec les baisses cumulées décidées par le Gouvernement, les collectivités territoriales ne recevront sur cette même période que 179 milliards d’euros.
Que tous les commentateurs qui suivent notre débat reprennent ce chiffre implacable ! Ce sont bien 28 milliards d’euros en cumulé et en trois ans, soit l’équivalent de plus de la moitié d’une année globale d’investissements d’un grand pays comme le nôtre. Que nous soyons la cinquième, la sixième ou la septième puissance économique mondiale, notre modèle économique repose sur un volume d’investissements ! Or il y a très peu d’investissement privé, et quasiment plus d’investissement d’État. Il reste de l’investissement local. Vous avez effacé en trois ans la moitié d’une année globale d’investissement national. C’est une grave erreur économique ! Arrêtons de travestir la réalité et prenons la mesure de l’effort qui est demandé aux collectivités !
Le deuxième canard qui vole consiste à considérer que les élus construisent des ronds-points, portent leur écharpe en bandoulière, assistent à des cocktails et, surtout, sont les premiers responsables de la situation dramatique de notre économie.
Ce discours populiste est insupportable. Il affaiblit la démocratie représentative. Il est insultant pour la quasi-totalité de celles et ceux qui consacrent de manière bénévole l’essentiel de leur énergie au service d’un mandat qui leur a été légitimement confié par le suffrage universel. Nous le contestons d’autant plus que la réalité de notre action sur l’accompagnement de l’esprit de responsabilité n’est plus à démontrer, depuis de très nombreuses années.
Aucun élu en France, dans cette Haute Assemblée comme à l’Association des maires de France, quelle que soit la taille de la commune, ne conteste la nécessité de faire un effort de réduction des dépenses. Que l’on cesse de nous présenter comme les responsables de la situation économique, du déficit, de la dette, de l’inflation depuis l’augmentation des prélèvements obligatoires ! Arrêtons de prétendre que si la France est au top des dépenses publiques et dans le tiercé de tête des prélèvements obligatoires, c’est de la faute des élus !
Je le dis fermement : nous ne créons pas de déficit, car nous n’en avons pas le droit ! Contrairement à l’État, nous sommes soumis à une règle d’or. Nous avons peut-être une responsabilité dans l’augmentation de la dette au cours de ces dernières années. Mais il faut lire les chiffres. Les 2 000 milliards d’euros de dette publique sont à 80 % de la responsabilité de l’État, à 10 % de celle de la sécurité sociale et moins de 10 % est de celle des collectivités locales, dont 4, 5 % pour les communes et les intercommunalités.
On peut plaider pour la réduction des sources de dépenses. Mais mettons un terme au discours sur la responsabilité des communes dans les déficits publics ! Contrairement à l’État, nous ne pouvons pas emprunter de l’argent sur les marchés auprès d’établissements prêteurs pour financer des déficits de fonctionnement. En revanche, nous avons une triple action.
D’abord, nous faisons éventuellement appel à la contribution fiscale de nos territoires pour financer des services publics, développer nos territoires et accompagner de nouvelles demandes.
Ensuite, nous redistribuons l’argent du contribuable sous forme de subventionnement pour irriguer de façon vertueuse le tissu associatif, qui est l’une des plus belles et des plus grandes richesses de notre pays.
Enfin, nous restituons cet argent sous forme de commande publique et à travers de l’investissement, soutenant ainsi l’activité économique.
C’est bien là le cœur du débat. Notre rôle d’agent économique n’est plus possible. Plus personne ne conteste sérieusement la réalité de l’effondrement de l’investissement en France. Cela n’a rien à voir avec le cycle électoral de 2014 ni avec l’évolution de l’intensité de la mobilisation ou de l’absence de projet de la part des élus. Cela découle des choix gouvernementaux de 2014, qui ont été vécus comme une guillotine. Au lendemain des élections municipales, les élus ont découvert que la feuille de route à laquelle ils seraient soumis jusqu’à la moitié de leur mandat remettait en cause les engagements qu’ils avaient pris devant leurs électeurs !
Je ne connais pas un maire de France, de gauche comme de droite, qui l'ait emporté en proposant d’augmenter la pression fiscale. Certes, il existe des poissons volants. Mais ce n’est pas la majorité de l’espèce ! S’il existe un maire élu en 2014 sur la promesse d’une hausse significative des impôts, qu’il se fasse connaître : nous lui réserverons une place de choix à la tribune de l’assemblée générale des maires de France !
Aujourd’hui, nous ne sommes plus en mesure de redistribuer l’argent. L’investissement public a baissé de 12 % en 2014 et de plus de 10 % en 2015. En 2017, l’investissement public des communes et des intercommunalités aura, au total, subi une baisse de 30 % ! Or, dans un système économique comme le nôtre, une baisse de seulement 10 % de l’investissement, c’est 0, 2 à 0, 3 point de croissance en moins. Le choix du Gouvernement sur ces trois années fera donc perdre l’équivalent de quasiment un point de croissance !
N’allez pas chercher plus loin les raisons pour lesquelles la France se situe en dessous de la moyenne de l’Union européenne en termes de croissance, alors que, compte tenu de l’alignement des planètes, comme le dit Bercy, qu’il s’agisse de l’évolution de la monnaie, de la politique accommodante de la Banque centrale européenne, du prix du pétrole ou des taux d’intérêt avantageux, l’horizon est plutôt azuré.
Je m’adresse à vous en tant que représentante du Gouvernement dans cet hémicycle, madame la secrétaire d’État : tous les prêts à faible taux de la Caisse des dépôts et consignations ne serviront à rien si les capacités d’autofinancement des communes et des intercommunalités sont proches de zéro. §Seul l’autofinancement permettra de créer un effet de levier et d’accompagner toutes les politiques de relance.
Or nous assistons à l’effondrement de l’autofinancement. La situation sera encore tenable en 2016 – c'est la raison pour laquelle une forme de voile pudique est jetée aujourd'hui sur nos revendications –, mais elle ne le sera plus en 2017. Il restera alors ensuite trois ans de mandat pour relancer et soutenir l’activité économique.
À quatre semaines du congrès des maires de France, nous vous saisissons par conséquent officiellement, madame la secrétaire d’État. Nous nous sommes entretenus avec vous de cette question, nous en avons discuté, nous avons échangé. Je sais vos engagements, mais aussi les limites de votre mission dans le cadre budgétaire très contraint que nous connaissons. Ce n’est donc pas une admonestation personnelle que nous vous adressons.
À l’instar de la mobilisation unanime la semaine dernière du bloc communal, gauche et droite confondues, toutes deux portant le même message, nous vous demandons aujourd'hui de supprimer la tranche de 2017. Vous aiderez ainsi les territoires à se développer, vous conforterez la démocratie représentative et vous donnerez à l’économie française l’occasion de rebondir durablement.