Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat sur les essais thérapeutiques au sein de la Haute Assemblée, après le drame du 17 janvier dernier, est utile, tant pour appréhender les carences en matière d’encadrement des essais cliniques et de sécurité des patients volontaires, que pour échanger sur une éventuelle amélioration des outils législatifs existants.
Mon intervention n’a d’autre finalité que d’évoquer des pistes de réflexion concernant l’indépendance des experts, les incitations pour les patients volontaires, le protocole des essais et l’état de la législation française.
À la suite du drame de Rennes, un groupe d’experts a été nommé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, au sein d’un comité scientifique temporaire. Les membres dudit comité ont conclu en dédouanant l’ANSM, tout en publiant six recommandations.
Néanmoins, la composition du groupe a été critiquée, et son indépendance mise en doute par des observateurs nationaux et européens, dans la mesure où, sur les douze membres du comité présidé par le professeur Bernard Bégaud, sept avaient déjà entretenu des liens avec l’ANSM.
Cela pose donc un premier problème, qui devra être éclairci par l’enquête judiciaire : une collusion d’intérêts potentielle.
Faisons toutefois preuve de prudence face à ces informations en appréciant le critère d’indépendance. Les véritables experts étant peu nombreux en France, il n’est pas incohérent a priori de retrouver ces mêmes personnes, au cours de leurs parcours professionnels, au sein des institutions publiques, des hôpitaux ou des industries, alors même qu’il faut pouvoir préserver l’objectivité et garantir la neutralité de l’expertise au moment où elle se déroule.
Par ailleurs, on note que si plusieurs médecins composent régulièrement ces comités d’experts, peu de pharmaciens y sont appelés. Cela peut être dommageable, alors même qu’il s’agit d’essais de médicaments. L’expertise pharmaceutique pourrait être mise plus efficacement au service de l’expertise médicale.
Ce débat permet également de nous interroger sur le mécanisme des compensations financières des essais cliniques, ainsi que le président Milon vient de l’évoquer. Aujourd’hui, un volontaire peut en effet percevoir jusqu’à 4 500 euros par an, non imposables, en contrepartie de la participation à un programme d’essai thérapeutique. Cette incitation financière est compréhensible, mais devrait selon moi faire l’objet d’un meilleur encadrement. On ne participe pas à un essai clinique comme on joue à la loterie !
Néanmoins, si nous revenons sur cette indemnité, d’autres pays transfrontaliers continueront à ouvrir grand leur porte à ces patients volontaires. Les plafonds financiers sont en effet beaucoup plus importants chez nos voisins européens. Cela n’est pas acceptable.
Le véritable courage politique serait donc de travailler demain à l’harmonisation de cette compensation, si elle doit exister. Cela ne fait malheureusement pas partie des dispositions prévues par le règlement européen adopté en 2014, et qui entrera en application à la fin du mois.
Quant au cadre législatif en vigueur, la France était précurseur en matière de réglementation sur les essais cliniques à la fin des années quatre-vingt, avec la loi relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, dite « Huriet-Sérusclat », mais il est désormais nécessaire non seulement de mettre en conformité notre législation nationale avec le règlement européen, mais aussi de poursuivre l’effort de simplification, alors même que les décrets d’application de la loi Jardé de 2012 ne sont toujours pas publiés.
Même si cela n’est pas directement le sujet de ce débat, je souhaite faire le lien avec l’expérimentation animale. Le législateur se trouve aujourd’hui face à une équation complexe à résoudre : comment concilier la volonté permanente de mieux soigner, de développer des traitements sécurisés, de mieux comprendre les maladies – des progrès médicaux seraient ainsi possibles – tout en encadrant davantage l’expérimentation animale et en limitant le risque au moment de la phase des essais pour l’homme ?
Évaluer la pertinence des doses choisies et analyser l’ensemble des informations issues des études précliniques réalisées chez les animaux avant de passer à l’homme sont des étapes clés.
En guise de propositions, je suggère deux pistes.
La première est relative aux strates de sécurité concernant le protocole d’essais. À ce jour, des chercheurs travaillent sur de nouvelles techniques scientifiques in vitro et in silico, afin de remplacer la recherche sur les animaux. La réglementation sur la recherche animale se durcit à l’échelon tant européen que national.
Néanmoins, ces nouvelles techniques doivent rester complémentaires et non devenir à terme un outil de substitution, de manière à ajouter un verrou de sécurité supplémentaire avant le passage à l’essai chez l’homme.
Si nous valorisons uniquement les essais sur des cellules souches ou via la bio-informatique en supprimant tout essai animal, il deviendra impossible d’anticiper l’ensemble des incidences sur l’organisme avant la phase de test humain. Le risque pourrait alors être plus important pour les volontaires.
La seconde proposition est liée à une modification du protocole d’alerte en cas d’incident lors de la phase d’essai sur l’homme. Dans l’affaire de Rennes, les essais se sont poursuivis le lendemain de l’hospitalisation d’un patient test. Or le dispositif « événement indésirable grave » prévoit l’obligation pour le laboratoire de signaler à l’autorité tout cas suspect lié aux essais. Cela a d’ailleurs été rappelé dans une circulaire du ministère des affaires sociales et de la santé datée du 9 mars dernier.
Il serait important que les services hospitaliers, lors de l’accueil d’un patient qui suit un programme d’essai clinique, puissent faire remonter, via une procédure d’urgence spécifique, la situation dudit patient à l’ANSM, permettant ainsi un deuxième niveau d’alerte, afin que les essais soient immédiatement interrompus.
Les essais cliniques sont indispensables à l’évolution de la médecine et des traitements pharmaceutiques. Cependant, les événements récents nous rappellent que leur encadrement n’exclut malheureusement pas les accidents. La décision de passage d’une cohorte de patients à l’autre doit être indépendante, et non prise sous la pression des laboratoires. Tout ne doit pas être automatisé dans ces procédures.
Pour sécuriser davantage les essais thérapeutiques, il faut relever le défi de combiner technologie, progrès de la médecine et sécurité. Car la sécurité de la personne doit primer !