Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les essais cliniques sont nécessaires afin d’aboutir à des médicaments efficaces, dont le rapport entre bénéfice et risque est à l’avantage du patient volontaire.
En France, ces essais ont la réputation d’être parfaitement encadrés, mais des améliorations sont possibles et nécessaires.
Ils sont très contrôlés, ce à plusieurs niveaux : ils sont réglementés par la loi de 1988, dite « Huriet-Sérusclat », relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales ; par la directive européenne du 4 avril 2001, qui s’attache au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’application des bonnes pratiques cliniques.
Les essais cliniques doivent respecter les principes éthiques édictés par la déclaration d’Helsinki, afin de permettre une protection sans cesse renforcée des personnes qui sont volontaires pour aider la progression de la recherche.
Enfin, les États doivent observer le règlement européen du 27 mai 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments, lequel est encore en phase pilote, mais doit entrer en vigueur prochainement.
Le 15 janvier dernier, nous apprenions l’hospitalisation de six patients au CHU de Rennes à la suite d’un essai clinique ; le 17 janvier, malheureusement, l’un des volontaires décédait. Les experts se sont immédiatement interrogés sur le protocole du laboratoire portugais qui a été suivi par l’entreprise bretonne et validé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Celui-ci semble en effet comporter certaines anomalies.
Le 18 janvier, l’ANSM a rédigé un rapport d’enquête sur l’essai clinique de Rennes, lequel semble accablant pour le promoteur de l’essai, mais aussi pour l’ANSM elle-même, qui l’a autorisé !
En effet, de nombreux signaux ont été occultés. Les lésions qui ont été observées en amont sur les animaux ont, semble-t-il, été minimisées et, malgré cette alerte, l’ANSM a conclu que la sécurité des patients était bien assurée.
Cela dit, la phase 1 des essais vise à évaluer la tolérance et l’absence d’effets indésirables d’un produit. Aussi, les spécialistes se demandent si le laboratoire n’a pas voulu gagner du temps pour passer directement à l’étape suivante. Selon les experts, les délais de sécurité n’ont pas été respectés dès le premier palier. Les volontaires étaient en effet traités par intervalles de vingt-quatre heures, un délai jugé trop court.
Pourquoi cet empressement ?
Superposer plusieurs schémas d’administration d’une molécule permet d’économiser jusqu’à un an d’expérimentation en phase 1. Cette pratique se développe au détriment de la sécurité des volontaires. Derrière cela se dissimule un business gigantesque !
En France, ils sont environ 20 000 à prêter leur corps à la science, en majorité des étudiants et des retraités, à faible pouvoir d’achat. Peu d’entre eux sont conscients de mettre leur santé en danger, même si, statistiquement, le nombre de décès survenus après un essai clinique reste faible et si les accidents similaires à celui qui s’est produit à Rennes sont rares.
Néanmoins, aucun Français ne devrait mettre sa vie en danger pour quelques centaines d’euros !
À ce jour, l’ANSM souhaite mettre en place de nouvelles mesures pour mieux sécuriser les essais cliniques. Aussi a-t-elle annoncé l’instauration de mesures de précaution pour les essais de phase 1. Madame la secrétaire d’État, je reprends ici les termes du professeur Christian Brentano, responsable du centre de recherche clinique de la Pitié-Salpêtrière, pour qui ces mesures sont « très formelles et théoriques. »
En effet, j’insiste sur le fait que, à ce jour, l’ANSM n’est pas à même d’indiquer le nombre précis d’effets indésirables graves liés chaque année à des essais cliniques de phase 1, celui-ci étant noyé dans le nombre global d’effets indésirables liés à la recherche. Remédier à cela me semble être une priorité !
Pour les experts, c’est le schéma d’augmentation des doses qui aurait dû être revu, non la fréquence des analyses.
Il s’agit d’une mesure nationale, alors qu’il faudrait négocier une démarche internationale, le risque étant de voir les promoteurs d’essais boycotter le territoire français au profit d’États moins regardants. C’est d’ailleurs déjà grandement le cas, ne nous le cachons pas, mes chers collègues !
L’Agence européenne du médicament travaille également à l’amélioration des protocoles d’essais cliniques et à une meilleure coordination des autorisations, en mettant en place un portail internet, une interface unique pour faire transiter les demandes d’autorisation d’essais.
Un tel mécanisme permettrait d’avoir un seul dossier pour chaque demande et une meilleure traçabilité des différentes phases – réflexion, élaboration du projet, autorisations à tous les niveaux –, ainsi qu’un meilleur suivi du déroulement des opérations, de la première étape à la phase finale, ce quels que soient le laboratoire demandeur et le pays.
Néanmoins, il existe des lacunes, notamment en raison d’une règle tacite selon laquelle, si aucune réponse n’est apportée par l’autorité compétente de l’Union européenne au cours des deux mois impartis aux États membres pour se prononcer sur la validité d’un essai clinique, le laboratoire demandeur peut considérer que sa demande est acceptée et que l’essai est autorisé. Le principe de précaution voudrait plutôt que, dans ce cas, l’essai soit considéré comme refusé.
Un autre problème réside dans le manque de respect, par les médecins et les chercheurs, des recommandations, et dans l’absence de contrôle de l’application systématique de celles-ci. La difficulté provient souvent de la tentation d’aller vite, en augmentant les doses de manière trop radicale, ou encore de la volonté de tester les médicaments sur des groupes de plus de trois patients.
Je tiens néanmoins à souligner les efforts de certaines associations pour mieux informer les patients du cadre juridique des essais cliniques et des processus de commercialisation des médicaments. C’est notamment le cas de l’Académie européenne de patients sur l’innovation thérapeutique, ou EUPATI, qui a mis en ligne une plateforme dédiée aux essais cliniques.
Cette plateforme est issue d’une collecte d’informations menée depuis 2014 et elle relaie plus de 3 000 publications. EUPATI informe le patient sur le processus de développement des médicaments en général. Cette association rassemble trente-trois organisations de patients, groupes universitaires et laboratoires issus de douze pays européens.
Il semble essentiel de proposer des évolutions des standards des essais cliniques de médicaments, afin d’éviter de tels drames et surtout d’améliorer l’information des volontaires sur les risques encourus. Aussi, madame la secrétaire d’État, comptez-vous proposer des évolutions concrètes en concertation avec l’Agence européenne pour atteindre ces objectifs ?