Cette loi de 2012, votée à l’unanimité dans les deux chambres, prend la suite de la législation de 1988 – cela a été rappelé – et vise les trois niveaux de recherche : la recherche interventionnelle lourde, la recherche interventionnelle avec risque minime et la recherche observationnelle. À ces trois niveaux de recherche sont associés trois niveaux de consentement des volontaires participant aux essais : consentement écrit circonstancié, consentement libre et éclairé, simple information.
La loi est ainsi parvenue – nous l’avons tous reconnu lors de l’audition de M. Jardé – à un équilibre entre nécessité absolue de protection du volontaire et nécessité du développement de la recherche.
Je souhaite maintenant évoquer les comités de protection des personnes, les CPP, au nombre de quarante en France, composés de scientifiques et d’usagers – les usagers, les contrôleurs, sont donc bien représentés – et dont les missions sont de contrôler les protocoles d’essais cliniques lorsqu’ils portent sur l’être humain. Les CPP donnent un avis sur la mise en œuvre de l’essai et l’Agence nationale de sécurité du médicament accorde l’autorisation de commencer l’essai.
La loi précitée, sur l’initiative du rapporteur Jean-Pierre Godefroy, prévoit la mise en place d’une répartition aléatoire des demandes d’autorisation d’essais cliniques entre les comités de protection des personnes. Cette disposition unique au monde a été adoptée pour éviter les risques de complaisance dans le traitement des dossiers. En effet, il nous faut constater que certains CPP instruisent plus de cent demandes d’autorisation par an quand d’autres n’en instruisent que trente. Quelles que soient les causes de ces disparités, celles-ci soulèvent des questions.
Actuellement, plus de quatre ans après le vote de la loi, cette répartition aléatoire n’est pas encore entrée en vigueur. En effet, l’Union européenne a voulu s’inspirer de la législation française adoptée en 2012 pour établir son règlement ; aussi, l’Agence nationale de sécurité du médicament a jugé inopportun de prendre les décrets d’application, pour attendre le système juridique européen.
On peut s’interroger sur la pertinence de ce choix, même s’il semble souhaitable d’être d’emblée en adéquation avec l’Europe. Vous le comprendrez, madame la secrétaire d’État, nous attendons tous les décrets d’application, d’autant que l’élaboration du nouveau règlement européen a été votée le 4 avril 2014.
Le Gouvernement a été habilité par le Parlement à mettre en application ce nouveau règlement par l’article 53 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Les décrets doivent donc être pris dans les prochaines semaines ; pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous en préciser l’échéancier ?
La répartition aléatoire des dossiers entre les CPP nécessite l’existence d’une commission nationale d’harmonisation, qui sera prévue, semble-t-il, dans les futurs décrets ; le confirmez-vous ?
La répartition aléatoire provoque en effet des inquiétudes chez certains industriels. Si un promoteur peut refuser, en argumentant sa décision, une première affectation à un CPP, il est dans l’obligation d’accepter la seconde. Par ailleurs, les industriels du médicament insistent sur les différences de compétences entre CPP, ce qui peut être un obstacle pour certaines spécialités, comme l’oncologie ou la pédiatrie.
La solution pourrait être la mise en place d’une affectation des dossiers fléchée selon les compétences des CPP, ce que l’on pourrait appeler un « tirage au sort stratifié », mais la répartition aléatoire doit demeurer un impératif absolu.
Des inquiétudes concernant le fonctionnement de ces comités ont été longuement exprimées ; évoluant dans un univers concurrentiel, les CPP peuvent rencontrer des difficultés financières et, dès lors, multiplier les protocoles sans prendre toutes les précautions nécessaires. Plus grave, il nous a été rapporté lors de nos auditions que certains font de la publicité pour des centres de recherche, ce qui constitue une dérive inacceptable.
Les CPP regrettent également l’absence de moyens effectifs pour assurer le suivi de l’essai, une fois l’avis positif délivré. Il s’agit d’un sujet important à mes yeux et il faut le traiter. Rappelons-le, il est de la responsabilité des agences régionales de santé d’enregistrer les CPP et d’en agréer la composition.
Ce constat n’occulte pas pour autant l’existence obligatoire des essais cliniques, nous l’avons tous dit. Cela dit, nos choix politiques doivent toujours avoir comme fil conducteur l’exigence éthique.
Le législateur, par le biais de la loi de 1988, a veillé à interdire la professionnalisation du don du corps en introduisant un plafond annuel d’indemnisation pour les volontaires participant aux essais cliniques, s’élevant à 4 500 euros. Toutefois, faute d’une harmonisation européenne, une fois ce plafond atteint, certains volontaires poursuivent les essais en Belgique ou en Suisse.
Il est donc urgent que l’Europe harmonise sa législation en la matière. Les volontaires participent aux essais cliniques en raison, bien souvent, d’une situation sociale précaire. La reconnaissance pécuniaire semble incontournable, malgré tous les risques que cela pose du point de vue social et psychologique pour lesdits volontaires.
Autre point très important : si les liens d’intérêts entre experts et laboratoires sont de bon aloi quand les professionnels sont amenés à travailler ensemble en vue du progrès médical, le débat sur les liens d’intérêts et les conflits d’intérêts doit encore être approfondi.
Les industriels du médicament que nous avons auditionnés ont insisté sur l’enjeu primordial que constituent les délais d’obtention des autorisations d’essais cliniques dans le cadre de la compétition internationale – nous ne pouvons ignorer cet aspect –, dans le respect absolu des critères de sécurité.
Une fois ces différents constats posés, il convient de s’interroger sur le tragique événement qui est survenu à Rennes et sur les pistes de réflexion et d’actions que nous devons soutenir.
Je veux souligner, madame la secrétaire d’État, à la suite de ma collègue Laurence Cohen, que, dès avant la remise du rapport à la mi-avril des experts mandatés par l’Agence nationale de sécurité du médicament, vous avez proposé à la Commission européenne la mise en place rapide d’un comité d’experts pour renforcer la protection des volontaires sains au sein des essais cliniques.
Les experts du comité scientifique spécialisé temporaire institué par l’ANSM ont clairement mis en cause la molécule testée et ont identifié deux raisons de cet accident « inédit et stupéfiant », selon leurs termes : tout d’abord, le choix de doses trop fortes – 50 milligrammes par jour pendant dix jours, ce qui correspond à dix fois le seuil d’efficacité à 100 % de la molécule ; ensuite, un mode de progression des doses trop brutal en fin de progression, alors que le bon sens eût plaidé pour l’inverse.
De plus, les essais du groupe prenant 50 milligrammes par jour ont débuté alors que les analyses du groupe recevant 20 milligrammes n’avaient pas encore été conduites. Enfin, la brochure du laboratoire Bial comportait des erreurs, des imprécisions, des inversions de chiffres, ou encore des traductions erronées de documents.
Face à cette méthodologie terriblement approximative et manquant pour le moins d’exigence scientifique et éthique, soyons très attentifs aux six recommandations des experts, à porter à l’échelon européen et international. Elles sont un peu techniques, mais je souhaite les rappeler.
Premièrement, les médicaments doivent être développés avec l’objectif final d’une utilité au plan tant thérapeutique que de santé publique et sur le fondement d’études suffisamment complètes et prédictives de la réalité d’une future efficacité thérapeutique.
Deuxièmement, pour les volontaires testant des médicaments à tropisme du système nerveux central en phase 1 – c’était le cas lors des essais cliniques de Rennes –, il est nécessaire de pratiquer des entretiens cliniques, avec des évaluations neuropsychologiques et des tests cognitifs.
Troisièmement, les doses à administrer aux volontaires en phase 1 doivent être réajustées en fonction des données recueillies chez les volontaires ayant déjà été exposés au cours de l’essai.
Quatrièmement, la sécurité maximale pour les volontaires doit s’imposer avant toute considération d’ordre pratique, économique ou réglementaire. Un travail doit s’engager à l’échelle internationale pour redéfinir les options méthodologiques : conciliation d’une durée d’études acceptable et d’un niveau de sécurité optimisé.