Intervention de Ségolène Neuville

Réunion du 3 mai 2016 à 15h15
Cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques — Débat organisé à la demande de la commission des affaires sociales

Ségolène Neuville :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, qui ne peut être présente ce soir du fait des contraintes de son agenda.

Permettez-moi de revenir dans le détail sur l’événement tragique survenu à Rennes.

Le 10 janvier dernier s’est produit un accident dans le cadre d’un essai clinique de phase 1, réalisé par la société Biotrial, à Rennes. Cet événement d’une exceptionnelle gravité, et sans précédent, a entraîné le décès d’un homme et l’hospitalisation de cinq autres volontaires.

Dès que la ministre a eu connaissance de cet accident, elle s’est rendue sur place pour rencontrer les victimes et leurs familles. Je souhaite, à mon tour, faire part de la solidarité du Gouvernement à l’égard des proches et de la famille de Guillaume Molinet, décédé le 17 janvier dernier, ainsi qu’à l’ensemble des patients hospitalisés à la suite de cet accident.

Le 15 janvier, la ministre a saisi l’Inspection générale des affaires sociales, afin que soient analysées les causes de l’accident. Le rapport définitif de l’IGAS doit être remis au cours du présent mois.

Le 4 février, une note d’étape a été rendue publique par l’IGAS sans que soient identifiées les causes directes de l’accident. Bien que certains manquements aient été constatés, l’IGAS n’a pas considéré qu’ils justifiaient la suspension, à titre conservatoire, de l’autorisation de conduire des essais accordée au laboratoire Biotrial.

Le 1er mars, Marisol Touraine a adressé une circulaire aux directeurs généraux des agences régionales de santé, leur demandant de rappeler à l’ensemble des promoteurs et titulaires d’autorisations de lieux de recherche leurs obligations en matière de prise de décisions immédiates et de respect des délais de notification des effets et événements indésirables au cours des essais cliniques.

La circulaire prévoit que tout événement indésirable grave doit être déclaré sans délai, contre sept jours actuellement ; elle va donc plus loin que la réglementation actuelle.

S’agissant des essais sur volontaire sain, la ministre a demandé que tout effet indésirable grave conduisant à une hospitalisation soit considéré comme un « fait nouveau », au sens du code de la santé publique, et déclaré sans délai à l’ANSM, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, et aux comités de protection des personnes, ainsi que je viens de le mentionner. Un tel événement doit conduire à la suspension immédiate de l’essai. Cette disposition va plus loin, je le répète, que la réglementation française et la réglementation européenne en vigueur.

La ministre a également saisi le commissaire européen et ses homologues européens de ce sujet, et proposé la mise en place d’un comité d’experts internationaux pour renforcer la protection des volontaires sains au cours des essais cliniques. Je veux dire à ceux d’entre vous qui m’ont interrogée sur l’état d’avancement de ces travaux que le commissaire européen attend d’avoir le rapport définitif de l’IGAS pour se prononcer.

J’ajoute que, actuellement, la réglementation européenne ne fait pas de différence entre les types d’essais cliniques, qu’il s’agisse des essais de phase 1, 2, 3 ou 4. En clair, cela signifie que la réglementation est la même pour les essais sur volontaires sains, qui, hormis les prélèvements cliniques bien sûr, n’ont a priori aucune raison d’être hospitalisés en cours d’essai de façon impromptue, en cas d’événement indésirable grave. C’est le règlement européen tel qu’il s’appliquera dans tous les États membres. C’est cette imperfection qu’a relevée Marisol Touraine et qui l’a conduite à demander la constitution d’un comité d’experts internationaux, en vue de renforcer la protection des volontaires sains. En effet, la situation n’est pas exactement identique pour un volontaire sain ou un volontaire suivi pour une maladie chronique.

Les 16 février et 31 mars, le comité scientifique spécialisé temporaire, le CSST, mis en place par l’ANSM et qui s’est également réuni, a confirmé que le mécanisme à l’origine de l’accident de Rennes avait dépassé la seule inhibition d’un neuromédiateur du système endocannabinoïde, dont je vous fais grâce du nom précis, et impliquait très vraisemblablement la molécule BIA 10-2474 elle-même.

Les études menées chez l’animal ont été de nouveau examinées en détail, mais n’ont pas apporté d’éléments nouveaux, notamment sur le plan de la toxicité. Ces conclusions sont cependant toujours provisoires, certains éléments essentiels n’ayant pas encore été communiqués, en particulier les dosages sanguins réalisés pendant l’essai.

Par ailleurs, sans attendre une éventuelle mise à jour des recommandations européennes, l’ANSM a élaboré un plan d’action visant à améliorer la sécurité des essais cliniques. Celui-ci a été mis en œuvre à la fin du mois de mars et regroupe différentes mesures concernant les processus internes d’instruction des autorisations, mais aussi l’analyse des données en cours de déroulement de l’essai par les promoteurs et les processus d’information de l’Agence en cas d’incident.

Enfin, je vous rappelle que d’autres investigations réalisées par le pôle de santé publique du parquet de Paris sont en cours.

Cet accident tragique nous a mis devant l’obligation de nous interroger une nouvelle fois sur le cadre législatif et réglementaire des essais cliniques, ainsi que vous l’avez tous souligné, mesdames, messieurs les sénateurs.

Le président Alain Milon a rappelé l’histoire de l’encadrement des essais cliniques. Je n’y reviendrai donc pas, mais je souhaite saluer ceux qui ont permis de faire avancer notre législation en la matière ; je pense bien sûr à Olivier Jardé, mais aussi à Jean-Pierre Godefroy, qui fut le rapporteur du Sénat et dont le travail a permis aux deux assemblées de parvenir à un compromis.

J’ai entendu vos critiques concernant la non-parution des décrets d’application de la loi Jardé, et je souhaite vous répondre précisément sur ce point.

Comme Olivier Jardé l’a lui-même rappelé devant la commission des affaires sociales le 2 mars dernier, le ministère de la santé a élaboré les projets de décret dès le mois d’avril 2012. Durant l’été 2012, ces projets ont été soumis à la relecture d’un groupe de travail, constitué à la demande de Marisol Touraine. À partir d’octobre et jusqu’à la fin de l’année 2012, ce projet a été soumis à la concertation.

Au début de l’année 2013, des travaux européens sur le règlement européen relatif aux essais cliniques ont été annoncés. Le ministère de la santé a participé à toutes les réunions à Bruxelles sur ce sujet. Au cours de cette même année, nous nous sommes interrogés sur l’opportunité de publier les très nombreux textes d’application, sachant que la loi devrait nécessairement être modifiée rapidement avec l’entrée en vigueur du règlement européen.

Un très large consensus s’est dégagé pour ne pas publier les textes. Modifier à deux reprises en trois ans la législation sur les essais cliniques aurait fait courir un risque majeur à la recherche française.

C’était également le point de vue d’Olivier Jardé, qui l’a exprimé de manière précise devant votre commission, et celui de François Lemaire, ancien chargé de mission au cabinet de Roselyne Bachelot qui, toujours devant votre commission, a souligné le caractère déraisonnable de ce calendrier.

Je souhaite rappeler en cet instant les propos qu’a tenus François Lemaire sur l’absence de lien entre la loi Jardé, qui est avant tout une loi de simplification du cadre des essais cliniques, et l’accident de Rennes : « La loi Jardé n’est pas en cause en cette affaire, puisqu’elle n’a pas touché à ce qui concerne le médicament, domaine qui relevait de la législation européenne. Elle porte essentiellement sur les recherches observationnelles, les collections biologiques […] Elle n’a pas touché au noyau dur du médicament et de la sécurité. On ne peut donc pas dire que si on l’avait appliquée avant, l’accident de Rennes n’aurait pas eu lieu ».

Je crois que cette mise au point était nécessaire pour mettre fin à certains doutes ou certaines inquiétudes que j’ai cru percevoir au cours de certaines interventions.

Les travaux préparatoires au projet de loi de modernisation de notre système de santé commencés au début de l’année 2014 ont offert un véhicule législatif adéquat pour adapter la loi Jardé au règlement européen. Au terme des débats parlementaires, l’article 216 de la loi promulguée le 26 janvier dernier a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures visant cette adaptation.

Le projet d’ordonnance renvoie ainsi toutes les dispositions sur les essais cliniques de médicaments au règlement européen, puisque c’est ce règlement européen qui fixe les règles relatives à la vigilance en la matière. Par conséquent, ces règles ne pourront être modifiées par décret que si elles sont plus protectrices que celles qui sont prévues par le règlement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez demandé où en était le projet d’ordonnance : il est en cours d’examen par le Conseil d’État. L’ordonnance devrait être publiée au mois de juin prochain et le projet de loi de ratification devrait être déposé au Parlement dans la foulée. Par ailleurs, un projet de décret pris en application de l’ordonnance est en cours d’élaboration. Ce dernier devrait être transmis au Conseil d’État avant l’été pour une publication à l’automne.

À l’issue des consultations sur le projet d’ordonnance, trois sujets délicats ont été identifiés.

Tout d’abord, il est vrai qu’il existe une forte opposition au tirage au sort des comités de protection des personnes. Pour autant, le Gouvernement n’entend pas renoncer à cette réforme. Il faut réfléchir précisément aux modalités de ce tirage au sort. L’idée d’un tirage au sort « intelligent » parmi des CPP particulièrement compétents dans certains domaines est à l’étude et pourrait être précisée dans le décret d’application.

Ensuite, la répartition des compétences entre les CPP et l’ANSM a également fait l’objet de débats. Le projet d’ordonnance prévoit ainsi de confier à l’Agence l’évaluation de la méthodologie des essais cliniques.

Enfin, il est prévu de créer un secrétariat unique pour l’ensemble des CPP qui permettrait d’accroître la rapidité des échanges entre comités et ANSM.

J’entends désormais répondre aux interrogations sur le fonctionnement des CPP et sur les relations des comités avec l’ANSM.

Le premier point porte sur le fonctionnement des comités : il existe aujourd’hui trente-neuf comités de protection des personnes répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain. Cette multiplicité est un facteur d’hétérogénéité, qui se manifeste d’abord par une grande variabilité de l’activité des CPP, laquelle s’explique sans doute par la plus ou moins grande proximité des centres hospitalo-universitaires de grande taille. En l’absence de véritable coordination, chaque CPP développe sa propre jurisprudence sur les questions éthiques.

Cette hétérogénéité concerne également la gestion administrative et financière des CPP, puisque les budgets des comités se situaient entre 50 000 euros et 230 000 euros en 2015. Si la réglementation a prévu la mise à disposition de moyens en personnels, matériels et locaux, toutes les conventions ne valorisent pas de la même façon les prestations réellement servies aux comités.

Cette difficulté a conduit les pouvoirs publics à prévoir la mise en place dans la loi Jardé d’une commission nationale des recherches impliquant la personne humaine qui est chargée de la coordination, de l’harmonisation et de l’évaluation des comités. Celle-ci sera installée dès que le décret d’application de l’ordonnance sera publié, étant entendu, je l’espère, que l’ordonnance sera ratifiée dès cet été, ce qui dépend évidemment du Parlement, et que le décret pourra être publié à l’automne prochain.

Par ailleurs, la loi a prévu la mise en œuvre d’un système d’attribution aléatoire des dossiers de recherches aux CPP pour renforcer leur indépendance. En effet, ce système de tirage au sort écarte tout soupçon de liens d’intérêts entre l’établissement de santé public, siège du CPP, et le CPP lui-même.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, si les conditions pratiques de cette attribution aléatoire sont encore en discussion, le dispositif aura pour conséquence de lisser l’activité des trente-neuf CPP – ce n’est pas du tout le cas pour l’instant –, de telle sorte que tous les comités traitent à peu près le même nombre de dossiers. Cela permettra également d’harmoniser le financement des comités et de simplifier leur gestion budgétaire. À ce sujet, je précise que le ministère de la santé continuera à maintenir son effort, comme il l’a toujours fait, pour répondre aux situations financières les plus délicates.

Le second point concerne le règlement européen relatif aux essais cliniques des médicaments qui nous contraint à revoir les relations entre l’ANSM et les comités. En effet, la mise en place d’un portail européen unique de dépôt des demandes de recherches sur le médicament, ainsi que l’obligation faite à chaque État de rendre une décision unique sur le projet de recherches qui lui est soumis impliquent de repenser l’articulation entre l’ANSM et les CPP.

Tout d’abord, le portail numérique européen suppose que l’ANSM actualise son système d’information et, parallèlement, que les CPP disposent d’un système d’information en interface avec l’ANSM.

Si j’entre autant dans le détail, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est parce que vous m’avez posé des questions précises, notamment sur les raisons pour lesquelles tel ou tel dispositif n’avait pas déjà été mis en œuvre. Je tiens donc à expliquer les modalités très concrètes de mise en place de chacun de ces éléments.

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