Intervention de Cyril Pellevat

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 11 mai 2016 à 8h35
Renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat, rapporteur :

J'ai été nommé rapporteur le 8 avril, ce qui ne m'a laissé qu'un mois pour procéder aux auditions. L'univers des drones connaît une expansion fulgurante et une excitation similaire à celle des débuts de l'aviation.

Cette proposition de loi, consensuelle et nécessaire, est la conséquence indirecte des premiers survols intentionnels de centrales nucléaires à l'automne 2014. En quelques semaines, une vingtaine de drones avait survolé les 19 centrales de production et les autres installations nucléaires françaises, en violation de la loi. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) avait alors organisé en urgence une journée d'auditions, le 24 novembre 2014, sur le sujet.

Depuis, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a recensé 86 survols de sites sensibles - centrales, aéroports - pour la plupart liés à une mauvaise connaissance de la réglementation. Les 26 et 27 janvier 2015, ce fut notamment le cas de la base militaire de l'Ile-Longue, qui abrite nos quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins.

Le Parlement n'est pas resté inactif, puisque nous avons adopté la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires. Son article 2 prévoyait un rapport « évaluant les risques et menaces que constituent les survols illégaux par des aéronefs télépilotés » et présentant « les solutions techniques et capacitaires envisageables afin d'améliorer la détection et la neutralisation de ces appareils, ainsi que les adaptations juridiques nécessaires afin de réprimer de telles infractions. » Ce rapport, présenté en octobre 2015, a débouché sur deux chantiers : d'une part, l'adaptation de notre corpus juridique, avec de nouvelles obligations en matière d'information, de formation, d'immatriculation et d'identification ; d'autre part, l'accélération des travaux de recherche et de développement, y compris dans le cadre de coopérations bilatérales et multilatérales, afin de disposer au plus vite de moyens efficaces de détection, d'identification et de neutralisation des drones de petites dimensions.

Cette proposition de loi vise à mettre en oeuvre le premier volet du rapport. Tout l'enjeu consiste à ne pas freiner pour autant le dynamisme d'un secteur dans lequel plusieurs entreprises françaises sont leaders, tant dans le domaine des équipements que des services.

Le marché du drone civil connaît en effet une croissance dynamique. Son essor a déjà été évoqué par Mme Bonnefoy dans son dernier avis budgétaire relatif aux transports aériens, et est largement documenté dans le rapport du SGDSN.

Le mot « drone » recouvre des réalités très différentes. Les engins militaires, comme les Reaper déployés par l'armée de l'air, sont des appareils de quatre tonnes avec une envergure supérieure à celle d'un Rafale. En revanche, les drones civils pèsent au maximum 25 kilogrammes et 98 % d'entre eux sont des micro-drones de moins de deux kilogrammes. On en compterait entre 150 000 et 200 000 en France à la fin de l'année 2015, l'immense majorité relevant de la catégorie des jouets. Le SGDSN évalue à 30 000 le nombre de drones dont la masse est supérieure à 1 kilogramme en France, et à 4 000 le nombre de ceux qui dépassent les 2 kilogrammes.

Les utilisations professionnelles des drones civils se sont multipliées : les prises de vue pour les médias, le cinéma et la publicité représentent environ 60 % de l'activité, mais les drones réalisent également des inspections techniques de bâtiments et d'ouvrages d'art, font de la volumétrie et du suivi de chantier, des détections de stress hydrique et de manque d'engrais pour l'agriculture de précision, de la surveillance aérienne et des missions de sécurité civile, ces deux derniers domaines étant encore à l'état embryonnaire.

La filière professionnelle connaît un essor depuis 2012, à la faveur d'une réglementation innovante qui a permis à la France de prendre de l'avance dans ce domaine. La Direction générale de l'aviation civile (DGAC) recense fin 2015 plus de 2 300 opérateurs déclarés de drones, exploitant environ 4 200 drones, principalement des multirotors, et représentant presque 5 000 emplois. En 2012, cette filière ne comptait que 50 opérateurs, mais ce développement rapide s'est fait sans réelle consolidation : à ce jour, 90 % des entreprises du secteur comptent moins de dix salariés et la proportion d'auto-entrepreneurs est élevée. La filière ne compte que peu de constructeurs - moins de 25 - dont seulement six ont un chiffre d'affaires supérieur à 500 000 d'euros. Parmi ceux-ci, Parrot est le plus gros fabricant français de drones de loisir et le deuxième mondial derrière le chinois DJI, avec un chiffre d'affaires annuel mondial de plus de 80 millions d'euros.

L'avance française dans ce domaine tient avant tout à la mise en oeuvre, depuis 2012, d'une réglementation pionnière et innovante qui encadre l'usage professionnel des drones. L'arrêté du 17 décembre 2015 relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans personne à bord, aux conditions de leur emploi et aux capacités requises des personnes qui les utilisent, fixe les conditions d'utilisation des drones selon une typologie définie en fonction, non de l'appareil, mais de l'utilisation qui en est faite. L'arrêté du 17 décembre 2015 relatif à l'utilisation de l'espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord, prévoit une autorisation préfectorale pour le survol des agglomérations, une obligation de localisation des activités pour les associations d'aéromodélisme et un plafond de hauteur maximale de 150 mètres au-dessus du sol. Globalement, ces deux arrêtés, en vigueur depuis le 1er janvier 2016, rendent la réglementation plus lisible, simplifient les procédures administratives et assouplissent les contraintes pour les usages expérimentaux.

En parallèle, un projet d'arrêté en matière de formation et de compétences des télépilotes de drones professionnels prévoit, entre autres, la création d'un examen théorique de télépilote, dont le programme a été défini en coopération entre la DGAC, les industriels et l'armée de l'air. Une consultation formelle du projet de texte a été organisée jusqu'au 5 février 2016 : l'arrêté devrait être publié au cours de l'été, pour une entrée en vigueur avant la fin de l'année.

Une réglementation européenne est en cours de préparation, mais ne devrait pas entrer en vigueur avant 2019-2020. Il n'existe pas non plus de standards de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) relatifs aux drones.

Si l'usage professionnel des drones est bien encadré en France, il n'en va pas de même pour leur usage civil. Compte tenu de leur rapide expansion, le SGDSN considère que des utilisations malveillantes de drones aériens civils constituent un risque réel.

Le premier risque est le risque d'accident, en cas de collision avec d'autres aéronefs ou de chute du drone par exemple. Plusieurs incidents ont eu lieu sur des aéroports, provoquant des retards, voire des fermetures de plateformes, à Paris-Charles-de-Gaulle, Heathrow ou Dubaï. Récemment, un sharklet - cette petite partie recourbée au bout de l'aile de certains avions - a été arraché par un drone aux États-Unis. Le 15 août 2015, un drone s'est écrasé en plein centre de Buenos Aires, blessant grièvement deux passantes, une hélice s'étant brisée en vol. L'accidentologie liée aux drones reste bien moins élevée que pour l'aviation commerciale, mais un accident grave stopperait le développement de la filière.

Le deuxième risque est celui de la captation indue d'informations, qu'il s'agisse de sites sensibles ou d'atteintes à la vie privée. Sur ce dernier point, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) propose de faire évoluer les textes relatifs à la vidéoprotection qui, jusqu'ici, ne prenaient en compte que la surveillance fixe et non mobile.

Le troisième risque est celui de l'utilisation du drone comme arme. Le 26 janvier 2015, un petit drone a survolé la Maison Blanche, avant de s'y écraser. En avril 2015, un drone transportant du sable radioactif s'est posé sur le toit de la résidence officielle du Premier ministre Shinzo Abe à Tokyo. Exemples sans grande conséquence, mais on dénombre de plus en plus d'attaques par drones civils en Syrie, en Irak ou au Haut-Karabagh.

Le quatrième risque est celui de l'utilisation du drone à d'autres fins délictuelles ou criminelles. Par exemple, le 29 juillet 2015, un drone a largué un paquet contenant de la drogue dans la cour d'une prison de l'État de l'Ohio.

Enfin, le cinquième risque est celui de l'utilisation de drones dans le cadre d'opérations démonstratives, revendiquées ou non, visant à décrédibiliser l'action de l'État. Le 15 septembre 2013, en Allemagne, un drone téléguidé a survolé la foule lors d'un rassemblement politique présidé par Angela Merkel, avant d'atterrir à quelques mètres d'elle. Le 14 octobre 2014, un match de football entre la Serbie et l'Albanie a été interrompu à la suite du survol du stade de Belgrade par un drone transportant un drapeau pro-albanais.

Bref, vu le caractère anxiogène de ces incidents, largement relayés dans les médias, il est temps de prendre des mesures.

Avant d'entrer dans le détail du texte, j'attire votre attention sur trois points. D'abord, le besoin de souplesse. Étant donné l'évolution rapide des technologies, il faut laisser des marges de manoeuvre en procédant au maximum par voie réglementaire - à condition que les parties prenantes soient associées à l'élaboration des décrets et arrêtés, ce qui semble être le cas jusqu'ici. Cette souplesse impose de ne pas distinguer loisir et usage professionnel, qui tendent à se confondre : la plupart des professionnels sont auto-entrepreneurs et utilisent également leur drone pour un usage amateur.

Cette souplesse impose également de ne pas figer de seuils dans la loi. Plusieurs niveaux font office de référence : le seuil de 250 grammes, à partir duquel un drone est capable de voler en extérieur, a été retenu par les États-Unis et le Danemark ; le seuil de 1 kilogramme correspond à la capacité d'emport d'un drone équipé d'une grenade légère, et est retenu par l'Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) pour distinguer les drones jouets des autres engins ; enfin le seuil de 25 kilogrammes correspond à la limite historique du monde de l'aéromodélisme classique et a servi de base à l'harmonisation des règles en Europe. Il semble raisonnable de renvoyer les débats sur les seuils au niveau réglementaire.

Deuxième point : ne pas se contenter de poser des règles mais éduquer les usagers et les forces de l'ordre. Des démarches de communication ont été engagées à l'aide d'infographies ou de vidéos sur Youtube rappelant les « dix commandements pour l'usage d'un drone de loisir ». En parallèle, un tutoriel en ligne permettra de couvrir 90 % des besoins : une longue formation pratique au télépilotage n'est pas nécessaire, un drone étant beaucoup plus facile à faire voler qu'un avion radiocommandé. Faisons confiance aux usagers : un drone à 10 000 euros ne se pilote pas comme un drone à 50 euros, et l'utilisateur sera probablement enclin à prendre moins de risques en dépit d'une puissance supérieure.

Troisième point, aborder cette réglementation comme une démarche préventive, les moyens de détection, d'identification et de neutralisation étant limités. En théorie, l'armée de l'air a la responsabilité des interceptions en vol, mais elle est mal équipée pour gérer des drones et tout tir à partir d'hélicoptère risque de provoquer des dommages collatéraux. Les moyens des unités spécialisées de police et de gendarmerie, qui utilisent principalement des fusils pour abattre les drones non coopératifs au-dessus des sites sensibles, ne sont pas efficaces dans toutes les situations.

Plusieurs solutions innovantes sont en phase d'expérimentation ou de déploiement, qui vont des radars à courte portée aux lasers et ondes à forte puissance, en passant par l'optronique, le brouillage et le leurrage du signal radiocommandé ou GPS. Les Pays-Bas expérimentent même le dressage de faucons pour chasser les drones, une solution qui nécessite cependant deux ans de formation et ne fonctionne pas de nuit. Quant aux technologies de brouillage et de leurrage, la DGAC craint que leur utilisation aux abords des aéroports ne perturbe l'aviation civile, avec des conséquences potentiellement graves. On ne peut s'en tenir à la neutralisation en aval, il faut une réglementation préventive.

Cette proposition de loi met en place une stratégie de renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils reposant sur l'information, la formation, l'enregistrement et l'immatriculation, et le signalement électronique et lumineux.

L'article 1er définit, d'une part, les drones à travers la notion de télépilote, d'autre part, le champ d'application de l'immatriculation des drones. Je vous propose d'y ajouter une référence à un régime d'enregistrement en ligne, mentionnée dans l'exposé des motifs mais absente du texte. Par cohérence juridique, je vous propose également de déplacer la définition du télépilote à l'article suivant.

L'article 2 impose une formation aux télépilotes d'aéromodèles, au-delà d'un certain seuil de masse. Spécifique à ce type d'aéronef, cette formation pourrait consister en un tutoriel sur Internet, en lien avec la procédure d'enregistrement, selon des modalités qui seront fixées par voie réglementaire. Je vous propose d'inclure une nouvelle définition du télépilote qui prend en compte tous les cas de figure : drone piloté, drone automatique, drone autonome dont la trajectoire est programmée par l'intelligence humaine ou l'intelligence artificielle. Outre des précisions rédactionnelles, je vous propose également de ne pas limiter l'obligation de formation au seul usage de loisir, de supprimer la dispense de formation pour les télépilotes affiliés à une fédération sportive ainsi que la référence aux sanctions applicables en cas de méconnaissance de l'obligation de formation, qui devrait être sanctionnée par des peines contraventionnelles. Enfin, je vous propose de prévoir la possibilité d'exiger la détention d'un titre de télépilote pour certaines activités professionnelles opérées hors vue du télépilote, qui sont par nature plus complexes.

L'article 3 crée une obligation d'information de l'utilisateur à la charge des fabricants de drones : il impose, en pratique, l'insertion d'une notice informant l'usager des principes et règles à respecter pour utiliser ces appareils en conformité avec la législation et la réglementation applicables. Je vous propose de supprimer la référence à l'obligation d'information pour les seuls drones destinés à un usage de loisir : les professionnels utilisent de façon croissante des drones grand public, tandis que des amateurs sont tentés par des drones très performants, dont le prix décroît. Je supprime aussi la référence à un seuil de déclenchement de cette obligation d'information, car il serait fondé sur la masse du drone, ce qui s'accorderait mal avec l'obligation d'inclure cette notice dans les emballages des pièces détachées, qui peuvent être très légères, également visées afin de toucher les constructeurs amateurs assemblant eux-mêmes leurs drones.

L'article 4 rend obligatoire un signalement électronique et lumineux des drones à partir d'une certaine masse. L'objectif est de distinguer rapidement les drones coopératifs des drones hostiles afin de limiter les risques de méprise dans les contre-mesures. Cette disposition nécessitant des adaptations industrielles, son entrée en vigueur est différée au 1er janvier 2018. Je vous propose un régime d'exemption pour les drones opérant dans un cadre agréé et dans certaines zones identifiées, notamment pour les usages expérimentaux, ainsi qu'un dispositif de limitation de performances afin d'assurer la sécurité des vols habités, à la suite de plusieurs incidents récents au cours desquels des pilotes ont indiqué avoir croisé des drones au-dessus de 150 mètres d'altitude.

Enfin, l'article 5 prévoit des sanctions réprimant l'usage illicite ou malveillant de drones. Je ne vous propose qu'un amendement rédactionnel, pour éviter toute confusion entre le pilote d'un aéronef et le télépilote d'un drone, en prévoyant une section spécifique dans le code des transports.

Il s'agit en somme d'une réécriture de la proposition de loi qui en conserve l'esprit tout en précisant le dispositif, en respectant le besoin de souplesse et surtout en veillant à entraver le moins possible le développement de cette filière prometteuse.

- Présidence de M. Hervé Maurey, président - 

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