La proposition de loi de Gérard Longuet et Christian Namy précise les modalités de création d'une installation de stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue. Concrètement, il s'agit de permettre la poursuite du projet Cigéo à Bure, entre la Meuse et la Haute-Marne.
Les délais d'examen de cette proposition ont été, une fois de plus, très contraints, mais j'ai pu procéder aux auditions nécessaires : l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) qui est maître d'ouvrage du projet à Bure ; Areva, pour les opérateurs du nucléaire ; Bertrand Thuillier, expert scientifique proche des associations militant contre le projet ; et bien sûr les auteurs de la proposition de loi. Les opposants au projet nous ont adressé un courrier.
Pourquoi faut-il une nouvelle autorisation législative ? L'histoire commence avec le vote de la loi du 28 juin 2006, qui a retenu le stockage en couche géologique profonde comme solution pour la gestion à très long terme des déchets radioactifs, considérés comme présentant des caractéristiques ultimes qui les rendent incompatibles avec les installations de stockage en surface ou à faible profondeur. La loi de 2006 a décrit la procédure d'autorisation pour un tel centre et en a défini le calendrier. Elle a permis de lancer le projet Cigéo de stockage en couche géologique profonde à Bure, a imposé que ce stockage soit réversible et que les conditions de la réversibilité soient définies dans une loi ultérieure, dont l'adoption serait le préalable au lancement du chantier de stockage profond. Une nouvelle autorisation législative est donc nécessaire pour la poursuite du projet. Or nous disposons aujourd'hui de tous les éléments nécessaires pour adopter un nouveau texte.
Un débat public a été organisé en 2013 sur le projet Cigéo par la Commission nationale du débat public. Une de ses principales conclusions a été l'idée d'un nouveau jalonnement du projet, intégrant une étape de stockage pilote. Ce n'est qu'à l'issue de cette étape que la décision de poursuivre la construction du stockage et de procéder à son exploitation courante pourrait être prise, et non au stade de la demande d'autorisation de création, comme le prévoit actuellement la loi. Le lancement d'une phase industrielle pilote permettrait de tester la faisabilité des conditions de stockage et, le cas échéant, de les adapter.
Ce débat a également permis de définir la notion de réversibilité, qui est une des conditions posées par la loi de 2006 pour la réalisation du projet. C'est la clé de ce texte. La réversibilité se définit comme la capacité à offrir aux générations suivantes des choix sur la gestion à long terme des déchets radioactifs, parmi lesquels le scellement des ouvrages de stockage ou bien la récupération de colis de déchets. Cette réversibilité est assurée notamment par le fait que le développement du stockage est progressif et flexible.
Sur la base des travaux de l'Andra et des conclusions du débat public de 2013, plusieurs véhicules législatifs ont tenté de relancer le projet Cigéo ces dernières années, sans aboutir. Le présent texte a été inséré dans les avant-projets de loi relatifs à la transition énergétique, d'une part, et à la croissance et à l'activité, d'autre part, puis retirés avant le dépôt de ces textes au Parlement. Le dispositif a été intégré par un amendement de Gérard Longuet à la loi Macron en première lecture au Sénat, mais censuré par le Conseil constitutionnel, qui y a vu un cavalier législatif. À l'Assemblée nationale, une proposition de loi d'Anne-Yvonne Le Dain, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Louis Dumont et Christian Bataille a été déposée le 10 novembre 2015, avec un texte identique.
Ce n'est pas un débat partisan, le texte étant porté par des élus de droite comme de gauche. Il traite un sujet délicat, mais c'est un texte pragmatique. Il apporte quatre modifications principales à la loi de 2006 et au chapitre correspondant du code de l'environnement : la définition de la notion de réversibilité, le lancement d'une phase industrielle pilote qui marquera le début de l'exploitation industrielle du site, l'adaptation de la procédure d'autorisation et l'adaptation du calendrier initialement prévu. Ces quatre modifications sont cohérentes et s'emboitent comme une poupée russe - même si cette référence n'est peut-être pas bien choisie quand on parle de radioactivité...
Le texte définit la réversibilité comme « la capacité, pour les générations successives, à revenir sur des décisions prises lors de la mise en oeuvre progressive d'un système de stockage. » Elle n'est pas nécessairement synonyme de récupérabilité des colis de déchets, mais doit permettre à tout moment de réévaluer les choix de gestion et de les adapter le cas échéant. Le dispositif prévoit par ailleurs que la mise en oeuvre du principe de réversibilité fasse l'objet de revues périodiques au moins tous les dix ans.
Conformément aux attentes exprimées lors du débat public organisé en 2013, le texte prévoit que l'exploitation du centre de stockage Cigéo débute par une phase industrielle pilote, qui doit notamment conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l'installation par un programme d'essais in situ. Les colis de déchets devront rester aisément récupérables durant cette première phase. L'article adapte les procédures d'autorisation afin de tenir compte de cette nouvelle phase pilote, qui fera l'objet d'une autorisation de mise en service restreinte, tandis que l'autorisation de création couvrira ensuite l'ensemble du projet. L'autorisation de mise en service des phases ultérieures ne pourra être accordée qu'après la promulgation d'une loi, prise sur la base d'un rapport de l'Andra qui présentera les résultats de la phase pilote : aux précautions techniques s'ajoutent des précautions juridiques. Cette proposition de loi ne demande pas au législateur de signer un chèque en blanc sur la poursuite du projet Cigéo. D'autres échéances législatives sont prévues, et la phase pilote garantit une identification précoce des problèmes et leur ajustement.
Enfin, l'article adapte le calendrier de mise en oeuvre du projet. Il reporte notamment l'exigence de maîtrise foncière au moment de la mise en service : l'idée est de permettre à l'Andra d'acquérir progressivement, et non en une fois, les terrains et les tréfonds, en cohérence avec le développement progressif des ouvrages.
Les auteurs de la proposition de loi ont déposé, en concertation avec moi, trois amendements : le texte initial est aujourd'hui un peu daté depuis les travaux menés par l'Andra, notamment pour préciser le concept de réversibilité. J'y serai bien entendu favorable.
Le débat qui nous occupe n'est pas un débat entre pro et anti-nucléaires. Sans préjuger des choix de politique énergétique à venir, la question est celle de la gestion des déchets radioactifs existants. La directive Euratom du 19 juillet 2011 nous impose de mettre en place un stockage dans des installations appropriées, qui serviront d'emplacement final. Le simple entreposage de déchets radioactifs, comme à La Hague, ne peut constituer qu'une solution provisoire et non une alternative au stockage.
Je vous invite donc à adopter cette proposition de loi qui permet la poursuite du projet Cigéo dans des conditions garantissant à la fois la sûreté des installations, la réversibilité des choix opérés et un droit de regard final du Parlement. En agissant rapidement, nous prenons nos responsabilités par rapport aux conséquences de nos choix énergétiques passés et nous facilitons les choix des générations suivantes. Il s'agit là de continuité de l'État et d'exigence éthique.