Intervention de Frédéric Oudea

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 mai 2016 à 11h03
Lutte contre l'évasion et la fraude fiscale internationales — Audition de M. Frédéric Oudéa directeur général de la société générale

Frédéric Oudea, directeur général de la Société Générale :

Merci, madame la présidente.

Mesdames et messieurs les sénateurs, dans le cadre de ses travaux relatifs à la lutte contre l'évasion fiscale internationale, votre commission m'invite à m'exprimer sur la position du groupe Société Générale.

Je précise que je suis accompagné de Jean-François Mazaud, directeur de la banque privée du groupe Société Générale depuis le début de l'année 2012, et de Patrick Suet, secrétaire du conseil d'administration, qui était, jusqu'en septembre 2015, secrétaire général du groupe, et à ce titre chargé des questions de conformité et des questions fiscales.

Les attentes des États et de l'opinion publique sont légitimes. Le groupe Société Générale et ses 145 000 collaborateurs ont pleinement conscience du rôle clé qu'ils peuvent jouer dans le domaine de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

C'est pourquoi je vous remercie de me donner l'opportunité de montrer que le groupe Société Générale exerce son métier de banquier avec la plus grande responsabilité, et que la vision relayée par les médias autour des Panama Papers ne reflète ni la situation actuelle ni la politique menée par la Société Générale depuis plusieurs années en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Laisser penser que le groupe Société Générale serait au coeur de l'évasion fiscale est une affirmation erronée et injustifiée au regard de toutes les actions que nous avons menées depuis plus de cinq ans. Les chiffres que je vais avoir l'occasion de partager avec vous illustrent d'ailleurs mon propos.

La première chose que je voudrais souligner, c'est l'ampleur des transformations du cadre juridique et de la coopération internationale intervenues depuis 2009 en matière de lutte contre l'évasion fiscale. Je pense notamment aux efforts constants des gouvernements du G20, qui ont abouti d'abord à clarifier dès 2009 que l'échange de renseignements entre autorités fiscales devait primer sur le secret bancaire.

Cela a abouti à la mise en place d'accords bilatéraux et d'échanges d'informations pilotés par l'OCDE puis, en 2014, à la mise en oeuvre d'un échange automatique de renseignements suivant un calendrier très ambitieux, portant d'abord sur cinquante-cinq pays à partir de la photographie 2016, avec un échange d'informations en 2017, puis sur une deuxième vague de quarante-trois pays en 2018, sur la base de la photographie 2017.

Je pense également à un aspect moins connu mais fondamental, qui est la modification des droits nationaux pour intégrer la fraude fiscale dans les dispositifs de lutte contre le blanchiment, suite à la transposition de la troisième directive européenne. Celle-ci a eu lieu en 2009 en France, et est devenue un standard international pour le Groupe d'action financière (GAFI) en 2012.

C'est dans le cadre de ces mutations profondes, que le groupe Société Générale a pris un ensemble d'initiatives et d'engagements pour s'inscrire de manière proactive dans le soutien aux efforts des États pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales internationales.

Un de ces engagements a été de fermer les implantations dans les États et territoires non coopératifs (ETNC). J'ai eu l'opportunité de dire aux sénateurs Philippe Dominati et Éric Bocquet, lors de mon audition du 4 mai dernier, que mes réponses aux questions des membres de la commission d'enquête du Sénat d'avril 2012 avaient été formulées avec la plus grande exactitude et sincérité.

J'aimerais revenir sur les termes que j'ai utilisés en 2012 et que je vais réitérer aujourd'hui. Il y a deux sujets distincts. D'une part, la géographie des implantations du groupe Société Générale. D'autre part, nos clients, avec leur diversité de nationalité, de résidence fiscale ou d'instruments juridiques avec lesquels ils gèrent leur patrimoine.

En ce qui concerne le premier volet, le groupe n'a et n'avait déjà plus en 2012 d'implantations, c'est-à-dire de bureaux, d'effectifs, de revenus et de bénéfices réalisés dans les ETNC qui figuraient sur les listes en vigueur à l'époque, en particulier au Panama.

La banque privée Société Générale, qui est aujourd'hui la quinzième banque privée européenne, a recentré ses activités depuis plusieurs années principalement sur l'Europe, et est présente aujourd'hui directement dans treize pays, au travers de douze filiales et succursale et d'un bureau de représentation, treize pays qui se sont tous engagés à faire partie de l'échange automatique d'information et de renseignements promulgué par l'OCDE, qui garantira une transparence fiscale.

En ce qui concerne le second volet, celui de la relation avec nos clients - nous en avons environ cent mille dans le monde, d'une centaine de nationalités - celles-ci sont gérées dans ces implantations. Là encore, le groupe a pris une série d'initiatives pour gérer au mieux, du point de vue de la conformité fiscale, les relations avec ses clients.

Par exemple, le groupe a adopté en 2010 un code de conduite fiscale validé par le conseil d'administration qui s'impose à l'ensemble des activités du groupe et à l'ensemble des collaborateurs du groupe dans le monde. Ce code régit non seulement les activités, les implantations et actions pour le compte propre de la banque, mais aussi les relations avec nos clients.

D'une manière plus générale, le métier de banque privée Société Générale repose sur des principes de fonctionnement transversaux.

Le premier principe, c'est la connaissance du client en vue de respecter nos obligations en matière de lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme notamment. Cette connaissance du client implique une bonne identification du client, l'analyse de l'origine des fonds, de leur destination, et bien entendu l'actualisation de cette connaissance tout au long de la relation d'affaires.

Le deuxième principe concerne la conduite de nos agents et des affaires, qui doit se faire dans le respect du code de conduite fiscale que je mentionnais, ce qui implique la vérification la plus approfondie possible de la conformité fiscale de nos clients.

Enfin, le troisième principe est celui de l'encadrement juridique de nos activités de banque privée, dans le respect des lois et réglementations en vigueur dans chacun des pays dans lequel ce métier est exercé.

Venons-en maintenant plus spécifiquement aux sociétés patrimoniales offshore. Une société offshore, c'est une société immatriculée dans un pays autre que celui de son activité économique, pays permettant notamment de les créer facilement et à un coût faible, et d'assurer la confidentialité de l'ayant droit.

Des raisons légitimes peuvent justifier de mettre en place ce type de sociétés, comme par exemple le fait d'organiser sa transmission dans des cas familiaux complexes ou de protéger l'ayant droit, notamment lorsqu'il réside dans des pays au cadre politique, juridique ou sécuritaire non assuré.

Il est vrai que la confidentialité que permettent ces structures peut aussi conduire à l'utilisation non conforme d'un point de vue fiscal de cet outil. C'est pourquoi la qualité des procédures de conformité et de connaissance des clients mises en place par la banque, ainsi que la vigilance de nos services tout au long de la vie de la société, sont essentielles pour garantir la conformité au regard du droit fiscal.

Dans ce cadre, le rôle de la banque peut être de fournir ce qu'on appelle un service fiduciaire, qui consiste notamment à créer la société patrimoniale pour répondre à la demande d'un client, c'est-à-dire immatriculer cette société, l'enregistrer dans le registre de commerce du pays concerné et assurer sa domiciliation. Celle-ci se fait par le biais de prestataires de services, généralement de cabinet d'avocats comme Mossack Fonseca.

Le rôle de la banque est aussi d'assurer la gestion administrative de la société, à savoir le dépôt des comptes annuels, l'organisation de la vie sociale, la tenue des comptes bancaires.

Ces services fiduciaires sont une activité marginale au sein de la banque privée Société Générale et donc du groupe, tant en termes de nombre de clients que de revenus générés. La Société Générale est particulièrement vigilante dans la conduite de cette activité. Elle est strictement encadrée par une série de procédures en application du code de conduite fiscale et des instructions de lutte anti-blanchiment.

Toute création de société pour le compte d'un client dans le cadre d'une prestation fiduciaire fait l'objet d'une revue par des acteurs indépendants du métier au sein de chaque implantation de la Société Générale, acteurs ayant un droit de veto dans le cadre de la vérification fiscale.

La banque privée Société Générale identifie les bénéficiaires économiques finaux de ces sociétés offshore et vérifie la conformité fiscale des clients. Nous avons fait ainsi en 2015 soixante-dix déclarations de soupçons, en lien avec les sociétés patrimoniales offshore, soit près de 40 % du total des déclarations de soupçons de la banque privée.

Par ailleurs, la tenue de compte de ces sociétés se fait à la Société Générale, dans des entités établies dans des États, comme la Suisse et le Luxembourg, qui se sont engagés à l'échange automatique d'informations. Il n'y a donc pas de comptes au Panama, et tous les comptes de ces sociétés patrimoniales vont faire l'objet de l'échange automatique d'informations dès lors que l'ayant droit de cette société a une résidence fiscale dans un des quatre-vingt-dix-huit pays engagés dans le processus.

Nos relations avec Mossack Fonseca et les chiffres que je vais vous présenter ont fait l'objet d'un examen approfondi et indépendant de l'inspection du groupe, qui s'est déployée dans toutes les implantations de banque privée. Ces chiffres sont le résultat de nos recherches à date et doivent être interprétés comme tel. Ils ont été communiqués au régulateur français, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

L'inspection a reconstitué la série historique des créations et arrêts de relations des sociétés créées par une entité de la banque privée Société Générale avec Mossack Fonseca, l'évolution du nombre de structures actives, et a analysé l'ensemble des dossiers des sociétés en vie et détenues par des résidents fiscaux français ou de l'Union européenne.

Le nombre de sociétés patrimoniales offshore encore actives et immatriculées par Mossack Fonseca pour le compte de nos clients à la date du 30 mars 2016 est de soixante-six, dont six présentent la double caractéristique d'être immatriculées au Panama et de concerner des résidents fiscaux français, au nombre total de neuf. Je pense que ces chiffres permettent de remettre en perspective le sujet. Le nombre de ces sociétés actives a été divisé par près de dix depuis 2009.

Tous les bénéficiaires économiques finaux résidents fiscaux français et européens ont fait l'objet d'une vérification de conformité fiscale. Lorsque le bénéficiaire économique final ne parvenait pas à la démontrer, les comptes de ses sociétés ont été soit fermés soit bloqués.

Je précise également qu'il n'y a eu aucune ouverture de société patrimoniale offshore immatriculée au Panama par l'intermédiaire de Mossack Fonseca depuis 2012, à l'exception d'une société, qui a été fermée trois mois après sa création. C'est en l'occurrence un client résident fiscal suisse et de nationalité belge qui nous l'avait demandée, et qui a finalement décidé de ne pas l'utiliser.

En conclusion, je comprends tout à fait que la complexité de ce sujet puisse susciter l'incompréhension et l'émotion de l'opinion publique. Ces sociétés sont légales, mais leur utilisation mal encadrée peut poser problème. C'est pourquoi nous pensons que les procédures que nous avons mises en place, en particulier les conditions d'ouverture, le respect des règles de connaissances client et de l'origine des fonds, ainsi que les vérifications fiscales que nous effectuons, sont déterminantes pour garantir la conformité de ces sociétés.

Les informations concernant les résidents fiscaux français sont aujourd'hui disponibles sur demande de l'administration fiscale auprès des différents pays. L'étape suivante que représente la mise en place, dès 2016, de l'échange automatique d'informations dans cinquante-cinq pays, dont les vingt-huit pays de l'Union européenne, sera une nouvelle avancée, à mon sens majeure, dans la lutte contre la fraude fiscale.

Notre enjeu de banquier privé est de protéger le besoin légitime de confidentialité de certains de nos clients, tout en assurant évidemment la complète transparence fiscale.

Bien entendu, d'une manière plus générale, nous sommes prêts à continuer à accompagner activement la lutte contre l'évasion fiscale.

Je vous remercie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion