Je pense qu'à ce stade, il convient de rappeler pourquoi vous êtes ici, monsieur le directeur général.
Vous avez été reçu par Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, il y a un mois. Vous avez rencontré par la présidente de la commission des finances, ici, la semaine suivante. Philippe Dominati et moi-même vous avons rencontré le 4 mai dernier, et vous êtes ce matin devant la commission des finances.
Vous n'êtes pas là par hasard : il ne s'agit pas d'une audition ordinaire. Elle n'était pas prévue il y a un mois. Elle a eu lieu parce qu'il s'est passé des choses. On ne parle pas d'évasion fiscale de manière générale, mais de votre cas particulier. Je vais rappeler ici quel a été l'élément déclenchant.
Vous avez été auditionné le 17 avril 2012 par une commission d'enquête, dont Philippe Dominati était président et dont j'étais rapporteur. Vous êtes intervenu sous serment, comme c'est la règle pour une commission d'enquête. Vous avez validé le compte rendu qui vous a été adressé, et qui figure au rapport de la commission d'enquête en question. Lors de notre entretien du 4 mai dernier, vous avez confirmé les propos que vous aviez tenus à l'époque. Je vais me permettre de les rappeler ici.
« La Société Générale a fermé ses implantations dans les pays qui figuraient sur cette liste grise, mais aussi dans ceux que désignait la liste des États non coopératifs, c'est-à-dire, en pratique, pour nous, au Panama. » C'est vous qui avez cité ce pays.
Un peu plus loin, vous ajoutez : « Nous n'avons plus d'activité ni dans les pays de la liste grise ni dans les États non coopératifs, et nous avons été au-delà de ces exigences en fermant nos activités dans les territoires qui ne figuraient pas sur ces deux listes et qui étaient considérés comme des centres financiers offshore. »
Et puis, il y a eu les révélations de ce consortium international de journalistes d'investigation, début avril. Je cite un article du journal Le Monde publié dans son édition du 7 avril : « Neuf cent soixante-dix-neuf sociétés ouvertes par la banque chez Mossack Fonseca, dont une partie sont toujours actives. Ces entités ont été immatriculées entre 2000 et 2010 au Panama, dans les îles Vierges britanniques et aux Seychelles, pour des clients fortunés, depuis ses filiales au Luxembourg, en Suisse et aux Bahamas. Elle place la Société Générale dans le top 5 des banques clientes de la firme panaméenne. »
Voilà l'élément déclenchant qui a valu que notre groupe fasse un rappel au règlement dans l'hémicycle du Sénat, au lendemain de ces révélations. Nous avons, par la voix de notre présidente de groupe, Éliane Assassi, transmis un courrier au Bureau du Sénat afin de le saisir pour qu'il soit statué sur la situation créée par le télescopage entre vos déclarations de 2012 et les révélations faites par la presse.
Voilà pour le contexte général.
J'aurais quelques questions à poser.
Nous nous sommes vus la semaine dernière, à huis clos. Lors de cette rencontre, j'ai eu l'occasion d'évoquer l'existence de votre filiale aux Bermudes, en me référant à un article du journal Les Échos daté du 1er juillet 2014, filiale qui réalise, d'après le journal, un chiffre d'affaires de 17 millions d'euros, et qui ne compte aucun salarié, ce à quoi vous avez répondu : « Il s'agit d'une société de réassurance sur les Bermudes. »
J'en viens aux déclarations de 2012, dans lesquelles vous dites avoir quitté les pays figurant sur la liste grise de l'OCDE. À l'époque, il y en avait trente-huit. Les Bermudes figuraient parmi ces pays.
Deuxième question : Le Monde évoque neuf cent soixante-dix-neuf sociétés offshore. Vous avez contesté le nombre, en disant : « Nous n'avons jamais eu autant de sociétés. ». Vous n'avez toutefois pas contesté leur existence.
Troisième aspect : vous avez mis en parallèle les termes d'implantation et d'activité, en les considérant comme synonymes. Je ne pense pas que ce soit exactement des synonymes. Je crois même que ce sont des mots très différents.
La deuxième question que j'avais posée dans le cadre de la commission d'enquête, à l'époque, portait sur les activités. Des sociétés ayant été ouvertes par des clients de votre banque, depuis une filiale que j'évoquerai après, doivent donc, selon moi, être considérées comme des activités.
Quatrième point : je suis surpris que vous n'évoquiez pas votre filiale au Luxembourg, Société Générale Bank and Trust, qui est pointée du doigt dans l'opération Panama Papers comme ayant été le bras armé de ces opérations de création de sociétés. C'est votre groupe, et je pense que cette filiale a des explications à fournir sur la situation.
Cinquième point : vous avez dit - peut-être pas ce matin, mais lors des précédentes auditions ou dans la presse - que les sociétés avaient été créées par des clients. Cependant, selon le fameux principe du « KYC » - « know your customer » - vous devez connaître vos clients, et cela induit des obligations fortes, qui interdisent « d'entretenir une quelconque relation d'affaires avec un client dont l'identité, la provenance et la destination des fonds et opérations ne sont pas assez connues pour offrir des garanties appréciables contre leur caractère illicite ».
Connaître ses clients est une obligation. En outre, vous êtes redevenu, par rotation, après l'avoir déjà été en 2012, président de la Fédération bancaire française. Cela vous implique donc doublement dans le respect des règles prudentielles concernant la gestion des comptes des clients.
Enfin, lors de notre rencontre du 4 mai, vous avez dit qu'il existait d'autres cabinets. Madame la présidente a posé la question. Le 4 mai, vous nous avez dit qu'il en existait cinq. Pourriez-vous nous citer la liste nominative que vous aviez alors en tête ?