Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’échanger avec vous sur le présent projet de loi, je voudrais vous retracer en quelques mots l’apparition de ce nouvel acteur dans le paysage multilatéral, ainsi que les raisons qui ont motivé la France à rejoindre cette initiative.
La Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, mieux connue sous son sigle anglais – AIIB –, est née sur l’initiative de la Chine, accompagnée à l’origine d’une vingtaine de pays, tous asiatiques, qui ont été rejoints dans un second temps par un grand nombre de pays non asiatiques, parmi lesquels la France et tous ses grands partenaires européens.
L’AIIB a été créée afin de soutenir le développement de l’Asie par le biais de projets d’investissement dans les infrastructures. Ce continent manque effectivement de tels projets : la Banque asiatique de développement a ainsi estimé ce besoin à 8 000 milliards de dollars entre 2010 et 2020.
Cette initiative s’inscrit également dans la démarche plus large entreprise par la Chine destinée à améliorer la connectivité de l’Asie non seulement en son sein, mais aussi avec le reste du monde.
Après avoir observé les premiers pas de cette initiative depuis l’extérieur, la France a été parmi les premiers pays non asiatiques à rejoindre le rang des potentiels membres fondateurs de la Banque présents à la table des négociations pour définir les statuts et les grands principes de fonctionnement de cette nouvelle institution.
Cette décision, prise en concertation avec l’Allemagne et l’Italie, partait de l’idée qu’il valait mieux que les grands pays européens soient collectivement partie prenante aux négociations afin de s’assurer de plusieurs points. Nous voulions, d’abord, nous assurer que la Banque respecterait les standards élevés dans des domaines importants, notamment en termes de normes environnementales et sociales. Nous entendions par ailleurs donner aux membres non régionaux la possibilité de jouer un véritable rôle dans la gouvernance de la Banque. Enfin, il nous paraissait important que celle-ci s’inscrive dans une démarche de complémentarité et de partenariat plutôt que de concurrence avec les institutions existantes.
Cette décision reflète également notre souhait d’accompagner le développement de la Chine dans cette partie du monde, de façon bienveillante, mais aussi vigilante.
De fait, notre participation à cinq réunions de négociations a permis d’assurer la traduction concrète dans les textes fondateurs de l’AIIB du slogan « lean, clean and green », c’est-à-dire du concept d’une banque efficace et soutenable, engagée contre la corruption et en faveur du climat.
En matière de gouvernance, nous avons obtenu que les membres non régionaux aient de facto, avec 25 % des droits de vote, une minorité de blocage pour des décisions importantes. La proximité de nos vues avec celles de plusieurs grands pays régionaux comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou la Corée du Sud nous met en position de représenter un contrepoids réel dans l’institution.
Nous avons pu également nous assurer que la Banque s’inspire de ses institutions sœurs dans ses standards. Nous avons enfin pu influencer de façon significative la rédaction des textes fondateurs et des documents de stratégie, comme vous avez pu le lire, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le rapport de l’Assemblée nationale et dans celui de la commission des affaires étrangères du Sénat.
L’AIIB ne se contente toutefois pas de reproduire ce qu’ont fait ses aînés ; elle propose aussi de vraies innovations par rapport au modèle traditionnel des institutions multilatérales de développement. Nous avons été particulièrement sensibles aux efforts visant à garder sous contrôle les coûts administratifs de la Banque. Parmi ces efforts, on peut notamment citer la non-duplication des fonctions pour lesquelles la Banque peut s’appuyer sur ce que font d’autres institutions, par exemple pour ce qui concerne les fonctions de recherche ou d’analyse économique, ou encore la mise en place d’un conseil d’administration non résident.
Nous avons aussi veillé à ce que la Banque applique des procédures de passation de marchés ouvertes et justes. Ses appels d’offres seront bien évidemment ouverts aux entreprises françaises, et ce sans discrimination. La Banque s’associe également au cadre harmonisé des banques multilatérales en matière de lutte contre la fraude et la corruption.
Je dirai maintenant quelques mots de ce que sera, concrètement, l’activité de la Banque : quels projets financera-t-elle ?
L’AIIB couvre un champ géographique très large, du Bosphore au Pacifique. Elle cible des secteurs en phase avec l’expertise de l’offre française : dans un premier temps, elle se concentrera sur les infrastructures de transport et d’énergie, ainsi que sur l’eau et l’assainissement ; une diversification pourra avoir lieu à terme vers des secteurs comme ceux des ports, de la protection de l’environnement, du développement urbain, des technologies de l’information et de la communication, ou encore des infrastructures rurales.
En termes d’instruments financiers, la Banque prévoit de mobiliser principalement des prêts, souverains et non souverains, mais aussi des prises de participation minoritaires et des garanties. Les premiers financements de l’AIIB pourraient intervenir dès le second semestre de cette année. Il devrait principalement s’agir d’opérations de cofinancement ; en effet, les discussions sur ce point avec, notamment, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque asiatique de développement et la Banque mondiale sont très avancées. S’agissant de cofinancement, des contacts avec l’Agence française de développement ont également eu lieu et doivent être approfondis dans les prochains mois.
Je tiens également à souligner un aspect très innovant quant à notre représentation au sein de cette banque. Pour la première fois, les pays de la zone euro ont choisi de se réunir dans une circonscription unique pour faire entendre une voix forte au conseil d’administration. Concrètement, les dix pays membres à la fois de la zone euro et de la Banque travaillent déjà ensemble depuis plusieurs mois. Cette décision historique va dans le sens du renforcement de l’Union économique et monétaire ; la France l’a fortement soutenue.
Je souhaiterais conclure mon intervention par un rapide point d’actualité sur l’activité de la Banque. À la fin du mois dernier s’est tenu le deuxième conseil d’administration de l’AIIB, le premier ayant eu lieu au moment de son inauguration en début d’année. La France n’a pu participer à ces réunions que comme observateur ; en effet, n’ayant pas ratifié l’accord qui en portait création, nous avons dû céder notre place dans la gouvernance de la Banque et n’avons pas pu siéger au conseil en tant qu’administrateur suppléant de la chaise de la zone euro.
L’assemblée annuelle de la Banque aura lieu à Pékin à la fin du mois de juin prochain. Je formule le vœu que la France ait ratifié l’accord d’ici là et puisse enfin siéger à cette occasion en tant que pays membre de l’AIIB aux côtés des autres grands États européens.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais partager avec vous pour introduire nos débats sur ce projet de loi. Je me tiens bien sûr à votre disposition pour répondre à vos questions.