Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi autorisant la participation de la France à la création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures est un moment important. La démarche adoptée par la France depuis 2015 est exemplaire, puisqu’elle a impliqué ses partenaires européens.
L’initiative de la Chine participe d’une stratégie globale appelée « route de la soie », qui vise à asseoir l’influence de cette dernière tant en Asie du Sud-Est et en Asie centrale, que face à des institutions financières dominées par les Occidentaux et le Japon. Elle s’appuie sur une démarche répondant à une nécessité bien réelle.
En effet, le besoin en matière d’infrastructures a été évalué à 8 000 milliards de dollars pour la seule période allant de 2010 à 2020, ce qui représente donc un besoin annuel de l’ordre de 800 milliards de dollars. Or ce besoin n’est couvert que partiellement par les institutions existantes, telles que Banque mondiale ou la Banque asiatique de développement. Ainsi, ces dernières n’investissent actuellement qu’environ 42 milliards de dollars par an. Cette carence représente évidemment une entrave au développement et à la croissance des pays d’Asie du Sud-Est, d’Asie centrale et d’Asie du Sud.
L’AIIB repose aussi sur cette idée plus ancienne, qui prend sa source dans la crise asiatique de 1997, selon laquelle les acteurs régionaux doivent devenir moins dépendants des institutions financières dominées par les États-Unis.
Cette institution à venir participe de la lutte d’influence que se livrent la Chine et le couple nippo-américain. Elle s’inscrit dans un contexte où les États-Unis ont entamé un pivotement vers l’Asie avec la signature de l’accord de partenariat transpacifique, dont nous observerons l’évolution avec la campagne présidentielle américaine.
Face à cette approche frontale, la France a œuvré activement avec les pays européens en préférant une approche coopérative. C’est au mois de mars 2015 que, avec l’Allemagne et l’Italie, elle a décidé de rejoindre le groupe des membres fondateurs de l’AIIB. Ce statut lui confère le droit de participer aux négociations relatives à l’élaboration des statuts de la Banque.
La participation de la France au capital serait ainsi de 3, 37 %, soit 3, 375 millions de dollars. Elle est proportionnelle à son PIB et lui permet de détenir 3, 19 % des droits de vote totaux et 11, 9 % des droits de vote des membres non régionaux.
L’intention des Européens est de considérer ce projet comme une opportunité d’inciter les investissements chinois à évoluer dans un cadre plus coopératif, doté, comme on va le voir, d’une certaine densité normative. Il s’agit aussi d’encourager la Chine à intégrer plus étroitement le groupe des États disposant d’une importante aide au développement.
Ainsi, les dix-sept pays européens devenus membres fondateurs de l’AIIB se coordonnent afin d’influencer les statuts de la Banque. Ils ont pu obtenir une réduction du capital de la Chine – il est passé de 50 % à 30 % –, l’absence de droit de veto, une part de capital allouée aux États non régionaux de 25 % qui pourrait augmenter à hauteur de 30 % dans l’éventualité d’une adhésion des États-Unis et du Canada, des standards en matière de règles de passation de marchés qui lui permettront de mettre en place des cofinancements, des modifications en matière d’environnement – avec une mention explicite au concept de développement durable et la mise en œuvre des engagements de la COP21 –, de droit social – avec l’exclusion du travail des enfants ou du travail forcé –, de politiques financières et de relations avec les autres institutions.
L’idée directrice est bien de transformer une institution qui était vouée à devenir un levier d’influence exclusivement chinois en une institution multilatérale. C’est dans cet esprit que la participation de la France à ce projet prend tout son sens. Cette idée permet à la Chine de mieux s’insérer dans le concert des institutions internationales, à la mesure de son poids économique et politique.
La France, avec ses partenaires européens, a choisi de participer activement à ce processus dans lequel elle a vu une double opportunité. Il s’agit non seulement de contribuer activement au développement du continent asiatique, ce qui est le cas de nombreuses entreprises françaises et l’un de nos objectifs, mais aussi de contribuer à une meilleure insertion de la Chine au sein des politiques de développement et d’entrer ainsi dans une logique de coopération plutôt que de concurrence dans ce domaine.
Monsieur le secrétaire d’État, en adoptant ce projet de loi de ratification, on peut dire, à la suite de Jean-Pierre Raffarin, que l’Europe a peut-être fait sienne la stratégie du général chinois, qui doit gagner la guerre sans avoir à la livrer.