Je remercie également celles et ceux qui ont accepté de cosigner ce texte, lui donnant ainsi toute son importance : notre débat concerne non pas seulement les élus de la Meuse et de la Haute-Marne, monsieur Namy, mais, au travers de la filière nucléaire, l’ensemble de notre pays.
Je voudrais aussi remercier le rapporteur, Michel Raison, qui, au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, a conduit avec célérité et pertinence les travaux sur ce texte issu d’un travail collectif. En effet, je ne prétends pas avoir la compétence scientifique pour traiter tous les problèmes liés au nucléaire. C'est la raison pour laquelle ce texte emprunte beaucoup au travail réalisé par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, notamment par son président, le député Jean-Yves Le Déaut.
C’est une vieille affaire ; c’est une longue affaire. C’est une belle histoire, puisqu’elle a associé tous les courants politiques ayant gouverné notre pays depuis 1991, avec la volonté de donner enfin une situation stable aux déchets ultimes de la production nucléaire française.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes aujourd'hui que de constater l’exigence de dialogue à laquelle ce débat parlementaire satisfait très largement, alors qu’il s’agit de gérer des déchets de réacteurs nucléaires – cinquante-huit réacteurs sont en activité –, qui – je parle là sous le contrôle de mon collègue Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques – ont été de tout temps installés par les présidents et gouvernements successifs sans qu’il y ait jamais eu de débat parlementaire les autorisant à proprement parler. Cette discussion est une innovation réjouissante : un sujet majeur concernant la vie de tous nos compatriotes est débattu cet après-midi au Sénat et le sera prochainement, je l’espère, à l'Assemblée nationale.
C’est en 1991, lorsque le député Christian Bataille porte, au nom du Gouvernement, le projet de loi – M. Strauss-Kahn est alors ministre de l’industrie – que s’ouvre enfin le débat sur la façon de traiter les déchets de haute activité à vie longue. Je ne reviendrai pas sur la totalité du débat, souhaitant être très précis sur la question de la réversibilité.
Dès le 26 novembre 1993, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA, a signifié au conseil général de la Meuse que son sous-sol lui permettait d’accepter l’une des hypothèses de stockage souterrain des déchets nucléaires à haute activité à vie longue, un sous-sol contenant de l’argilite, plus exactement du banc Callovo-Oxfordien – mes connaissances géologiques s’arrêtent à peu près là ! Il se porte donc candidat, tout comme d’ailleurs – les limites départementales ne correspondant pas nécessairement à des limites géologiques – le département voisin de la Haute-Marne, qui vote également le principe d’accueillir un laboratoire d’étude sur le stockage souterrain des déchets nucléaires.
Dans le département de la Meuse, la décision a été prise à l’unanimité, avec, cependant, une réserve majeure, qui a été défendue avec obstination, et qui l’est encore aujourd'hui bien sûr, par la totalité des élus du département, à savoir le principe de la réversibilité.
Pourquoi ce principe ?
D’une part, nous n’avons aucune certitude absolue en termes de sécurité. C’est donc une raison suffisante pour poser le principe de la réversibilité. Même si nous éprouvons le plus grand respect pour les scientifiques, nous avons quand même le droit d’observer et de tirer des leçons de l’expérience.
D’autre part, le stockage souterrain peut un jour utilement, économiquement, entrer en concurrence avec d’autres solutions pour les déchets nucléaires de haute activité à vie longue. Je ne pense naturellement pas à l’entreposage, qui est le fait de stocker les déchets sur le site même de production, une situation provisoire, même si cela dure trente ou quarante ans, mais je songe à la séparation-transmutation, qui serait une réutilisation des colis de déchets ultimes pour produire de nouveau de l’énergie.
Comme le département de la Meuse veut à la fois concilier la garantie de la sécurité et l’opportunité éventuelle que représente la possibilité d’utiliser différemment ces déchets, nous avons toujours défendu le principe de la réversibilité. Ce principe, qui ne figurait pas dans la loi de 1991, est mentionné à l’article 3 de la loi du 28 juin 2006, qui a été adopté par les deux chambres du Parlement : la loi fait obligation de définir par la loi la réversibilité avant tout préalable à l’autorisation d’une activité de stockage. Car la réversibilité est une conception assez complexe.
La première idée de bon sens, c’est de dire que les colis de déchets doivent être récupérables. On voit bien ce que cela signifie : il faut pouvoir aller les rechercher là où ils sont, c'est-à-dire à moins 450 mètres, dans des galeries, et pouvoir, le cas échéant, les ressortir. La récupérabilité est un service minimum de la réversibilité.
Tout l’intérêt de cette proposition de loi, qui émane d’un travail collectif – je n’en suis pas l’auteur exclusif, tant s’en faut ! –, c’est de montrer que la réversibilité doit tenir compte de facteurs globaux liés à la construction même du site de stockage : en particulier la construction progressive, la flexibilité des installations – les installations doivent permettre de descendre les colis de déchets, mais aussi de les remonter –, le fractionnement des galeries pour pouvoir isoler progressivement telle ou telle partie du dépôt et les rouvrir pour la ressortir. Nous proposons donc une définition de la réversibilité très ouverte sur le plan technique, mais aussi sur les plans scientifique et sociologique.
Sur le plan scientifique, car il faut pouvoir les mettre en œuvre les éventuelles solutions à venir. Imaginez donc, la construction de ce laboratoire va durer plus de cent ans. Pendant cette période minimale, nous avons le devoir absolu de tirer les leçons de l’expérience concrète.
Le débat public qui a eu lieu en 2013 a fait ressortir une idée forte, venue de la base, à savoir une période expérimentale industrielle grandeur nature de cinq ans, afin de juger de l’efficacité du système.
Nous sommes donc dans une logique de partenariat, de transparence : un organisme public déconnecté de toute préoccupation en termes de réussite économique, l’ANDRA, des partenaires exigeants, l’Autorité de sûreté nucléaire, la Commission nationale d’évaluation, et, naturellement, l’IRSN, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, sur le plan technique, avec une dimension internationale, l’application de directives européennes, le partenariat avec Euratom, mais également avec l’Agence de l’OCDE pour l’énergie nucléaire. Nous sommes dans un système ouvert et transparent. Et, sur le plan sociologique, la réversibilité est la conséquence de cette transparence : elle doit pouvoir être possible à tout instant.
Un dernier point : la réversibilité doit être soutenue d’un point de vue économique. À cet égard, je salue l’initiative du Gouvernement d’avoir fixé un premier coût d’objectif du projet Cigéo. Mais il est évident qu’il y a un lien entre l’activité nucléaire productrice d’énergie et de chiffre d’affaires, et donc productrice de marges permettant de financer le stockage et l’évolution de celui-ci, étant donné qu’elle finance la recherche, et ce texte sur la réversibilité.
Nous voici donc au début d’une phase de responsabilité au cours de laquelle, grâce à l’adoption de cette proposition de loi, préalable à la demande préalable de création, la DAC, le projet va pouvoir être lancé. Un nouveau rendez-vous législatif interviendra ensuite, en sorte que cette question d’une gravité exceptionnelle sera en permanence sous le contrôle du Parlement. Nous y reviendrons tout à l’heure lors du débat sur les amendements.
Je ne veux pas conclure sans remercier celles et ceux de nos collègues qui participent à cet exercice de responsabilité. Nous savons produire de l’électricité, mais nous savons également en assumer les conséquences !