Intervention de Jean-Yves Roux

Réunion du 17 mai 2016 à 14h30
Stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Yves RouxJean-Yves Roux :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre discussion porte sur un champ très encadré et prévu de longue date par la représentation nationale : celle de l’autorisation du lancement d’une phase industrielle pilote de stockage de matières et déchets radioactifs, ainsi que la définition de critères, dont la réversibilité, rendant la mise en service complète possible.

Nous nous situons donc à une étape, certes cruciale, de la mise en œuvre d’une solution de long terme pour gérer ces déchets.

Quels que soient les choix énergétiques retenus, la question du stockage des matières et déchets de haute et moyenne radioactivité se pose.

Le rapport d’information de nos collègues députés Christophe Bouillon et Julien Aubert, remis en 2013 au nom de la mission d’information sur la gestion des matières et déchets radioactifs, mentionne ainsi, parmi différents scénarios énergétiques, que même « l’arrêt de la production électronucléaire et du traitement du combustible usé se traduirait […] par la nécessité de gérer un volume moindre de déchets HA et de déchets MA-VL [et de] devoir opérer le stockage des combustibles usés ».

Or, si la responsabilité qui nous incombe est nationale, puisqu’il s’agit de la gestion de nos propres déchets tout autant que de notre indépendance énergétique, la réponse de notre pays à la gestion des stocks de déchets nucléaires est bien le fruit d’une coopération étatique, scientifique, associative internationale, qui n’a pas cessé de s’intensifier depuis plus de quarante ans.

Je veux, à ce titre, rappeler que nous sommes liés par les traités européens. Je pense bien évidemment à Euratom, l’un des traités essentiels de l’Union européenne. Son préambule pose très clairement comme principe fondateur un souci d’établir les conditions de sécurité qui écarteront les périls pour la vie et la santé des populations. Nous sommes également régis par une exigence de transparence et d’information sincère à l’égard de nos partenaires européens, notamment en cas d’accident. Très concrètement, enfin, la Commission européenne dispose de la possibilité d’envoyer des inspecteurs sur les sites, quels qu’ils soient. Je suis de ceux qui déplorent que cette coopération n’aille pas encore plus loin.

La coopération internationale scientifique est, pour sa part, mobilisée de manière institutionnelle par des accords-cadres avec l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA, et ses homologues. De manière plus générale, l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN, est reconnue pour la qualité de ses expertises.

Enfin, et c’est là un point majeur, nous disposons du retour d’expérience de pays plus avancés dans la procédure définitive de création. Ainsi, la Finlande a donné le feu vert, le 12 novembre dernier, à la création d’un centre de stockage définitif sur le site d’Onkalo, alors que l’ouverture de Cigéo est envisagée pour 2025. Nous serons également regardés avec la même exigence par nos partenaires européens, l’Allemagne en tête.

J’ai été convaincu, sur la foi notamment de ces expériences internationales, par la nécessité de gérer en responsabilité, sur le long terme, les déchets les plus nocifs. Certes, l’entreposage en surface et en subsurface sont des solutions choisies par différents pays, comme les Pays-Bas ou, après l’échec de Gorleben, l’Allemagne, mais il s’agit de solutions d’attente, qui plus est nous paraissant trop risquées.

Pouvons-nous attendre ? Qu’attendons-nous réellement ? La séparation-transmutation continue d’être étudiée, notamment par les équipes de l’ANDRA, mais la technique produit elle-même des déchets qu’il n’est, à ce jour, pas possible d’éliminer. La création de centres de stockages internationaux n’est plus d’actualité. La recherche sur l’envoi de colis dans l’espace est aujourd’hui considérée comme aussi dangereuse que fantaisiste, tandis que l’hypothèse du stockage en mer est heureusement enterrée depuis 1993.

Devons-nous attendre ? Je ne le crois pas. Les garanties de sécurisation sur le long, voire le très long terme de ces sites entreposés en surface ne me paraissent pas suffisantes, politiquement et, surtout, éthiquement. Le Gouvernement que je soutiens a fait le choix, à maintes reprises, d’assumer la responsabilité collective immédiate plutôt que de transmettre le mistigri aux générations futures : il a fait le choix de la transition énergétique, de la reconquête de la biodiversité, de la mise en place de politiques budgétaires responsables et volontaires. En matière de gestion des matières et déchets radioactifs, plus que sur tout autre sujet, nous ne devons pas attendre.

Dans leur rapport, MM. Bouillon et Aubert indiquent que « le consensus international des experts en matière de gestion des déchets estime qu’une installation technique à grande profondeur – stockage géologique – est la meilleure solution qui soit actuellement disponible dans un horizon prévisible ».

L’échange d’expérience et le consensus scientifique n’excluent pas une spécificité nationale, là encore validée par la communauté internationale.

La spécificité française tient à deux éléments : d’une part, à une classification exigeante des déchets qui prend en compte non seulement la radioactivité, mais aussi la durée estimée de nocivité ; d’autre part, au choix d’un futur centre sur le site de Bure, après que d’autres types d’implantations géologiques eurent été envisagées. La Finlande et la Suède ont, ainsi, retenu des implantations en zone granitique, tandis que l’Allemagne a fait le choix de mines de sel, ce qui, on le sait, pose problème. La France a, pour sa part, opté pour un environnement géologique argileux, réputé et éprouvé pour sa qualité de barrière naturelle. Les responsables scientifiques présents lors de la table ronde préalable au débat public sur Cigéo, un rapport de l’École des mines, comme les travaux parlementaires récents ont très clairement posé que la nature géologique retenue ne posait pas de problème en soi et qu’il importait également de prendre en compte la qualité des matériaux et les conditions du stockage.

Mais, à ce titre, la phase industrielle pilote, prévue dans tous les processus internationaux de centres de stockage en cours, sera sans nul doute déterminante. Elle donnera, après d’éventuels réajustements, des garanties supplémentaires, validées par plusieurs experts.

Je veux évoquer un dernier point, et non le moindre : la coopération internationale porte sur des échanges d’informations scientifiques, mais elle s’intéresse également aux conditions de concertation avec la population. Cette phase n’est pas négociable. Elle participe du pacte de notre nation avec le nucléaire.

J’ai, pour ma part, un souhait à formuler : les conditions de sécurisation du site, les contrats de sous-traitance, la sécurité des personnels et leur formation continue ne doivent en aucun cas être relégués en arrière-plan des préoccupations des industriels et des donneurs d’ordre. La sûreté du site en dépend.

Je souhaite que nous continuions à maintenir ce niveau de dialogue tout au long de la phase industrielle proprement dite, parce qu’il s’agit de la seule façon d’avancer en responsabilité. Ce dialogue doit être contenu, maintenu, intensifié s’il le faut. La réversibilité, nous devons en être conscients, est aussi la possibilité d’effectuer, à long terme, des choix différents.

En conclusion, au regard des coopérations internationales en cours et de l’état actuel des recherches, nous disposons d’éléments probants permettant d’autoriser cette phase industrielle pilote, sous réserve que la concertation et la sécurité soient assurées avec le plus haut niveau d’exigence possible.

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