Intervention de Myriam El Khomri

Commission des affaires sociales — Réunion du 17 mai 2016 à 17h45
Instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs — Audition de Mme Myriam El khomri ministre du travail de l'emploi de la formation professionnelle et du dialogue social

Myriam El Khomri, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. - J'aborde ce débat dans un esprit de détermination et de gravité. J'espère que nous pourrons enfin parler du contenu et nous affranchir de certaines postures convenues et artificielles. Ce projet de loi est juste et nécessaire : la situation de notre pays interdit l'immobilisme et le renoncement. Le texte a fait l'objet d'une intense concertation avec les partenaires sociaux, prolongée avec les organisations de jeunesse. Les syndicats représentant la majorité des salariés -CFDT, CFTC, CGC et Unsa- sont favorables aux avancées que le projet comporte. Près de 800 amendements ont été intégrés à l'Assemblée nationale ; un tel chiffre inédit n'est pas un aveu de faiblesse, bien au contraire. Je souhaite, du reste, que votre commission et le Sénat tout entier, dans un dialogue constructif, apportent de nouvelles améliorations. Les ajouts de l'Assemblée nationale n'ont pas dénaturé le texte, ni rompu son équilibre.

Les objectifs sont de redynamiser la négociation en la portant au plus près du terrain, de poser les bases d'une sécurisation des parcours à travers le compte personnel d'activité, de renforcer le dialogue social pour contribuer au développement d'une culture de compromis, dans la droite ligne des lois des trois dernières années.

Le texte repose sur un constat : le code du travail est d'un trop grand formalisme, au point parfois de s'écarter des préoccupations des salariés. Il s'appuie sur une conviction : pas de dialogue social efficace sans des partenaires sociaux forts. C'est pourquoi il les renforce au niveau de l'entreprise et de la branche. Tirant les conséquences de la réforme de 2008 sur la représentativité des organisations syndicales, il donne une place inédite au dialogue social par rapport à la loi, ce qui est pertinent au regard de la démocratie sociale et de l'économie. Le code du travail, à force de dérogations -souvent d'ailleurs à l'initiative d'organisations patronales- est devenu illisible. Je n'ai jamais opposé droit du travail et droit au travail ; je ne pense pas que le code du travail soit un frein à l'emploi. Le texte repose sur une équation simple : pas de souplesse sans négociation.

Il ne s'agit pas d'avoir une vision angélique du dialogue social : il y a des blocages, des échecs, des pressions. Mais il faut aussi se départir d'une vision manichéenne du monde de l'entreprise. La philosophie du texte est de donner le plus de poids possible au dialogue social de proximité tout en préservant des garanties pour qu'il ne s'exerce pas au détriment des salariés. Je revendique cette confiance envers les acteurs pour consolider notre modèle social, ainsi que la démocratie sociale et la compétitivité.

Le compte personnel d'activité, conçu comme la protection sociale du XXIème siècle, répond à la réalité du travail d'aujourd'hui : on n'entre plus à 18 ans dans une entreprise que l'on quitte à 60 ; l'employeur, mais aussi le statut, changent tout au long de la vie professionnelle. Nous avons souhaité anticiper les besoins en rendant les citoyens pleinement acteurs de leur réussite. Il faut compenser la discontinuité des parcours par la continuité des droits, avec le droit universel à la formation. Chaque personne, quel que soit son statut -salarié, demandeur d'emploi comme indépendant, ou fonctionnaire-, dans les conditions que la négociation définira, pourra accumuler des droits. Cela fait trente ans que l'on dit que les fonds de la formation professionnelle ne vont pas à ceux qui en ont le plus besoin, ce ne sera plus le cas. Le CPA valorisera aussi l'engagement citoyen associatif ou le rôle de maître d'apprentissage avec des crédits d'heures alloués en contrepartie de ces activités d'utilité collective.

La « garantie jeune » sera généralisée pour les moins de 26 ans en situation de précarité qui ne sont ni en qualification, ni en formation, ni dans l'emploi et qui accepteront de s'insérer dans un parcours exigeant -j'insiste sur ce point : la « garantie jeunes » ne se limitera pas à une allocation mais sera un vrai contrat donnant-donnant.

Le texte consacre le droit à la déconnexion, dont le rapport Mettling a dit toute l'importance pour lutter contre le burn out ; le numérique est un formidable potentiel pour le travail mais ne doit pas être une source de souffrance au travail. Ce sera un point obligatoire des négociations consacrées à la qualité de vie au travail. Une charte devra être rédigée dans les entreprises de plus de 300 salariés ; à défaut, une décision unilatérale de l'employeur devra y pourvoir.

L'avis du Conseil d'État, monsieur le président Milon, dit que nous avons bien respecté l'article L. 1 du code du travail. Le rapport de Jean-Denis Combrexelle a été remis une semaine après ma nomination. J'ai immédiatement demandé aux partenaires sociaux s'ils voulaient négocier sur la base de ce rapport, ils ont refusé. Tout a ensuite fait l'objet de concertations avec les organisations syndicales et patronales ; en ce qui concerne l'article 30 sur le licenciement économique, l'arbitrage a été tardif, si bien que nous avons reporté de deux semaines le passage en conseil des ministres et discuté avec ces organisations. Le CPA a fait l'objet d'une négociation demandée par les organisations syndicales et patronales : elle a abouti à une position commune.

La philosophie du rapport Combrexelle implique de réécrire le code du travail pour redonner plus de place à la négociation collective, dans le droit fil des textes ayant régi le domaine depuis les lois Auroux en 1982. Une commission d'experts fera des propositions de réécriture au Gouvernement qui sera libre d'accepter ou non en laissant ensuite au Parlement toute sa place. Nous pourrons ainsi mieux distinguer ce qui relève de l'ordre public social -ce à quoi nul ne peut déroger- de la négociation collective au niveau de l'entreprise ou de la branche et des dispositions supplétives qui s'appliqueront en l'absence d'accord. La lisibilité a motivé le choix transparent d'une réécriture totale de toutes les dispositions relatives au temps de travail, sans changement. Cela a malheureusement amplifié certaines confusions. Il fallait donner plus de cohérence à la négociation sur le temps de travail en introduisant la règle de l'accord majoritaire, qui constitue une garantie essentielle.

Il n'y a pas d'inversion de la hiérarchie des normes : la loi encadre toujours tout le dispositif. Il y a une clarification des champs d'intervention entre l'accord d'entreprise et l'accord de branche. Ce dernier sera toujours le seul à régler certains sujets comme les salaires minima, les classifications, la prévoyance, les fonds de la formation professionnelle. Les entreprises ne pourront moduler le temps de travail au-delà d'une année que si la branche l'autorise. Les branches se verront dotées de commissions permanentes pour négocier. Le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale a également souhaité qu'elles puissent formuler des recommandations aux entreprises.

La démocratie exige que les accords soient signés par les syndicats représentant 50 % des salariés, et non plus 30 % comme aujourd'hui. À l'époque des lois Auroux, on comptait environ 2 000 accords d'entreprise contre 40 000 aujourd'hui. Les accords majoritaires garantiront un consensus beaucoup plus large. Un accord signé par des organisations non majoritaires mais représentant 30 % des voix pourra, si elles le demandent, être soumis à la consultation des salariés eux-mêmes, ce qui renforce la démocratie dans l'entreprise. Comment ne pas considérer les salariés et leurs représentants comme les mieux placés pour juger de ce qui fait leur quotidien ? La défiance frappe les organisations syndicales : il faut engager leur responsabilité sur des sujets quotidiens pour rétablir la confiance.

L'élargissement du champ de la négociation va de pair avec l'amélioration des moyens mis à la disposition des acteurs : les délégués syndicaux auront 20 % de crédit d'heures en plus et les bourses du travail bénéficieront d'une meilleure protection. Les règles de révision seront rénovées pour améliorer la loyauté et le dynamisme des accords. Nous l'assumons ; cette loi fait confiance aux partenaires sociaux. À eux de se montrer à la hauteur des enjeux.

Nous avons aussi l'ambition de mieux accompagner les PME car c'est là que tout se joue en matière d'emploi. Il y faut de la souplesse : le dialogue social de proximité ne doit pas être le monopole des grandes entreprises. Un service public d'aide aux TPE-PME sera mis en place avec des cellules d'appui fournissant une réponse rapide aux questions juridiques qu'elles se posent. Le nombre des branches passera de 700 à 200 : on ne peut pas les renforcer sans cela. Les TPE-PME pâtissent du manque de vivacité des branches qui auront désormais la possibilité d'élaborer des accords-types.

Le texte clarifie les motifs du licenciement économique. Nous avons entendu le besoin de prévisibilité des petites entreprises qui n'ont pas d'armée d'experts juridiques à leur disposition. Le but est de favoriser l'emploi durable. Il y a trop de contrats à durée déterminée (CDD) et notamment de CDD très courts : 82 % des embauches en CDD sont des réembauches ; 50 % des CDD sont de moins d'une semaine ! Il faut traiter la réticence à embaucher en contrat à durée indéterminée (CDI) en clarifiant un droit aujourd'hui largement jurisprudentiel. À aucun moment, le but n'a été de faciliter les licenciements. L'essentiel, c'est d'établir des règles claires et intelligibles. La loi déterminera donc les conditions du licenciement économique en reprenant largement les critères de la jurisprudence, comme celui de la baisse des commandes pendant plusieurs trimestres. L'Assemblée nationale a introduit une modulation selon la taille de l'entreprise. Moins de 5 % des personnes qui entrent à Pôle emploi après un emploi en TPE s'inscrivent en raison d'un licenciement économique, mais 20 % à la suite d'une rupture conventionnelle -contre 7 % dans les grandes entreprises. Cela signale un recours abusif à la rupture conventionnelle et au licenciement pour motif personnel, moins protecteurs pour le salarié.

Autre avancée, la lutte contre le travail détaché : nous avons la législation la plus stricte d'Europe en ce domaine. Les services ont déjà prononcé 1,5 million d'euros d'amendes en six mois et une cinquantaine de fermetures de sites. Mais nous ne pouvons pas réprimer comme il se devrait la simple absence de déclaration de détachement.

Enfin, le texte comporte une modernisation de la médecine du travail, l'encadrement des contrats saisonniers et bien d'autres mesures encore. Je n'ignore rien des questionnements dans l'opinion : il serait étonnant qu'il en soit autrement devant l'alliance des contraires, dont certains qui parlent d'une loi vidée de son contenu et d'autres d'un retour au XIXème siècle. Je compte sur votre Haute Assemblée pour sortir de ces postures et enrichir ce texte afin qu'il prenne toute sa force au service de l'intérêt général. Nos concitoyens n'attendent pas de nous des jeux de rôles convenus, mais des actes.

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