Intervention de Myriam El Khomri

Commission des affaires sociales — Réunion du 17 mai 2016 à 17h45
Instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs — Audition de Mme Myriam El khomri ministre du travail de l'emploi de la formation professionnelle et du dialogue social

Myriam El Khomri, ministre :

La modulation des cotisations d'assurance chômage au titre des CDD existe déjà car les organisations patronales et syndicales l'avaient demandée en 2013 et elle avait été intégrée dans la loi de sécurisation de l'emploi. Embaucher un jeune de moins de 26 ans en CDI donne droit à une exonération de trois ou quatre mois, et les contrats courts génèrent une surcotisation. Aux partenaires sociaux de faire le bilan de cette mesure ! Pour nous, cette modulation était trop modeste et n'a donc pas eu assez d'effet, notamment parce qu'elle n'est pas infra-mensuelle. Un article du texte prévoyait que les partenaires sociaux « peuvent » moduler les cotisations d'assurance chômage. Fallait-il écrire « doivent » ? Cela n'est pas de la compétence du Gouvernement mais des partenaires sociaux dans la négociation de la convention d'assurance chômage. Ils se sont émus d'une ingérence du Gouvernement, alors même qu'ils avaient eux-mêmes soulevé cette question. Nous avons abandonné cette mention, mais je tiens à rappeler qu'il s'agit d'une sorte de malus-bonus, non d'une surcotisation.

De fait, la première signature d'un CDI se fait en moyenne à 27 ans, et non plus à 22 ans. C'est un recul, dont les premières victimes sont les jeunes, surtout les moins qualifiés, et ceux qui proviennent de quartiers éligibles à la politique de la ville, ainsi que les femmes et les personnes les moins qualifiées. L'hyper-flexibilité existe : 70 % des CDD sont des contrats de moins d'un mois ; 60 %, de moins de quinze jours ; 50 %, de moins d'une semaine ! Le Gouvernement sait bien que nous avons besoin de CDD, et il a d'ailleurs autorisé leur renouvellement l'été dernier dans la loi Rebsamen. Mais 82 % des signatures de CDD sont des réembauches. Or le CDD crée des difficultés considérables pour accéder au logement ou au crédit. Le recours systématique aux CDD est parfois un modèle économique, dont le coût incombe à la collectivité : l'an dernier, les CDD ont généré un déficit de 5,8 milliards d'euros de l'assurance-chômage.

Nous donnons davantage de prévisibilité par le barème indicatif des prud'hommes ou en précisant les motifs du licenciement économique, mais c'est aux partenaires sociaux qu'il revient de trouver un équilibre. L'objectif est de favoriser la création d'emplois durables.

Les dispositions relatives au travail saisonnier s'inscrivent dans la lignée des annonces faites par le Premier Ministre devant le comité montagne et résultent aussi d'amendements déposés à l'Assemblée nationale. Je comprends qu'il soit parfois difficile de s'y retrouver. Nous prévoyons la possibilité d'une négociation d'entreprise sur la reconduction du contrat saisonnier et la prise en compte de l'ancienneté dans le cas où les négociations de branche n'aboutiraient pas. Un bilan doit être produit un an après l'ouverture des négociations pour identifier dans quelle mesure des indemnités financières de fin de CDD saisonniers ont été négociées, en cas de non reconduction. L'accès des saisonniers aux périodes de formation est aussi abordé, ainsi que l'expérimentation pendant trois ans du recours aux contrats de travail intermittent en l'absence d'accord de branche ou d'entreprise, ou la prise en compte la pluriactivité des saisonniers par des accords territoriaux.

Bien sûr, les partenaires sociaux sont libres du contenu de leurs négociations. Ils pourront y ajouter la question de l'indemnité de précarité. Notre priorité est la sécurisation des parcours des saisonniers et la prise en compte de l'ancienneté. D'autres recommandations du groupe de travail, touchant les saisonniers, ne relèvent pas du domaine législatif : forum d'emploi virtuel dédié, convention entre Pôle emploi et la Fédération nationale des groupements d'employeurs, mesures sur le logement, sur la validation des acquis de l'expérience, implication des maisons de service public, groupe de travail conduit par France Stratégie...

Je partage votre indignation sur les difficultés d'accès au travail des personnes handicapées. J'ai rappelé ce matin aux préfets, comme chaque mois, la nécessité de cibler les contrats aidés sur les personnes en situation de handicap, les seniors et les jeunes issus des zones de revitalisation rurale (ZRR) et des quartiers faisant l'objet de la politique de la ville.

Pour les personnes en situation de handicap, l'accès à la formation est essentiel. De nouveaux articles du texte l'améliorent. Leur accompagnement médico-social n'est pas moins important, surtout pour celles qui travaillent dans des établissements et service d'aide par le travail (Esat) et ont un projet d'insertion en milieu ordinaire. Nous examinons comment travailler avec Pôle Emploi pour aider les personnes handicapées rencontrant des difficultés persistantes d'accès à l'emploi. Les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) doivent aussi organiser un débat sur l'insertion des personnes en situation de handicap. Nous avons réfléchi, lors de la première Conférence sociale que j'ai organisée avec Mme Neuville sur les personnes en situation de handicap, à la manière de développer la négociation d'entreprise autour des questions du handicap. Le plan de 500 000 formations supplémentaires doit aussi prendre en compte cette question. Enfin, des manifestations comme les Abilympics aident à valoriser certaines voies et à changer le regard de tous sur les compétences des personnes handicapées. Nous les multiplierons.

Ce texte prévoit plusieurs dispositifs d'accompagnement. Le droit à la formation initiale, d'abord. Puis, la « garantie jeunes », dont nous allons faire un droit universel. Cela ne concernera pas tous les « Not in education, employment or training » ou neet mais uniquement ceux qui sont en situation de précarité et se montrent volontaires et motivés. Je souhaite en effet préserver le travail fin effectué par deux accompagnants pour des groupes de 15 jeunes, qui peuvent ainsi construire un vrai parcours professionnel. Il ne s'agit pas simplement d'une allocation. Fin 2016, 100 000 jeunes auront bénéficié de la « garantie jeunes » ; 80 % des missions locales seront couvertes. Je souhaite qu'au 1er janvier 2017, toutes les missions locales puissent accueillir des jeunes dans ce dispositif. Le coût sera précisé au cours de l'année. J'ai travaillé sur une hypothèse de 150 000 nouveaux bénéficiaires en 2017. Cela coûterait 600 millions d'euros à l'État -et à l'Union européenne, puisque j'ai déjà fait savoir à la commissaire Thyssen que nous souhaitions prolonger la garantie européenne pour la jeunesse.

Le modèle économique des missions locales, qui doivent suivre les jeunes au terme de leur contrat d'avenir, va faire l'objet d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui sera rendu en septembre, afin de mieux préparer le budget 2017. Je sais que le coût des locaux, en particulier, déstabilise parfois leurs finances. Si le nombre de jeunes qui entrent dans la démarche dépasse les 150 000, nous pourrons toujours la financer, puisque 800 millions d'euros sont prévus. Il ne s'agit donc pas de plusieurs milliards d'euros, ni même d'un milliard ! Je m'engage à ce que tous les jeunes remplissant les critères que j'ai indiqués bénéficient de la « garantie jeunes » en 2017.

Antoine Lyon-Caen a fait partie de la commission Badinter et approuve le développement de la négociation collective, même s'il est déçu de voir que les principes essentiels que la commission avait formulés ne sont pas directement intégrés dans la loi. Un autre excellent professeur de droit, Jean-Emmanuel Ray, estime lui qu'il est essentiel que nous passions d'une culture de l'affrontement à une culture du compromis.

M. Watrin déclare que c'est le groupe CRC qui représentera les jeunes. Pour avoir été secrétaire d'État à la politique de la ville, je crois à l'importance d'un projet de loi qui comporte un droit universel à la « garantie jeune », un droit universel à la formation pour les salariés les moins qualifiés, un droit à la formation initiale ou encore une aide pour les jeunes boursiers qui cherchent un emploi. Certains syndicats, qui représentent une majorité des salariés, ont souligné que ce texte comportait des avancées majeures et partagent l'objectif d'élargir le champ de la négociation. La Fédération des associations générales étudiantes (Fage), qui est la première organisation dans les universités, a aussi salué dès le mois de mars ces avancées. Les mesures relatives à la rémunération des apprentis ne sont pas défavorables à ces derniers...

Je ne suis pas là pour détricoter le code du travail. Celui-ci est le fruit de luttes et de combats ; nous devons l'adapter avec lucidité. Nous perdons des emplois dans le secteur industriel depuis le deuxième trimestre de 2001 : peut-on dire que notre système protège ? Les contournements du droit du travail sont trop nombreux, mais ils résultent souvent de son inadaptation à certaines contraintes, comme les pics de commande ou d'activité, qui entraînent des recours au travail détaché ou à des intérimaires.

Oui, le mouvement ouvrier a lutté pour conquérir le droit de négocier dans l'entreprise : 1919, 1936, 1945, 1968... et il a fallu attendre les lois Auroux de 1982 pour qu'il y ait une obligation de négocier. Depuis, de la loi Delebarre à la loi de sécurisation de l'emploi, la négociation dans l'entreprise s'est vue reconnaître une plus grande marge de manoeuvre. À chaque fois, certains ont dénoncé une régression sociale, une casse du droit du travail, une déréglementation libérale. Déjà, M. Bergeron s'était opposé aux lois Auroux, et la loi de sécurisation de l'emploi a suscité les mêmes réserves. Pourtant, peut-on sérieusement soutenir que depuis trente ans, les gouvernements ont maltraité les salariés et le code du travail ? Lors du vote de la loi de sécurisation de l'emploi, on nous annonçait le pire : les accords de maintien de l'emploi (AME) allaient être signés en masse par des syndicats qui négocieraient avec le pistolet sur la tempe. Rien de tel ne s'est produit. Il faut faire confiance aux acteurs qui négocient. Certains syndicats mobilisés contre ce texte signent de nombreux accords d'entreprise. En 1982, il y avait 2100 accords. Ils étaient 6 400 en 1992, puis 18 000 en 2002, avec les lois Aubry. Nous en sommes à 35 600 accords d'entreprises signés, et 11 400 ratifiés : la progression est constante, et irréversible, car elle répond aux besoins des entreprises et des salariés.

Pourquoi s'opposer à un dialogue de proximité ? Cette loi ne prévoit pas de décision unilatérale de l'employeur. Pourquoi penser que les salariés et leurs représentants manquent à ce point de discernement qu'ils se feront berner à coup sûr ? La négociation est nécessaire. Elle est faite de compromis et d'ajustements. Faute d'accord, c'est le droit actuel qui s'appliquera. Nous donnons 20 % de moyens supplémentaires aux syndicats, pour que les représentants syndicaux soient mieux formés. Et l'accord majoritaire assurera l'équilibre de la négociation. J'y suis très attachée, car c'est la meilleure garantie des salariés.

Il y a eu beaucoup de rapports et de missions sur la question de la restructuration des branches professionnelles. Nous en avons 700, contre 150 en Allemagne. Les redynamiser améliorerait la qualité des normes conventionnelles et la régulation de la concurrence, ainsi que la gestion des quatre domaines qui continuent de relever obligatoirement de la branche. Cela facilitera la création de filières économiques et de passerelles professionnelles, et donnerait un socle conventionnel solide aux TPE et PME non couvertes par des accords d'entreprise. Nous souhaitons donc accélérer la restructuration des branches. Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à opérer des rapprochements avant fin 2016, le ministre du travail engagera une fusion des branches territoriales et de celles n'ayant pas négocié depuis plus de quinze ans. À défaut de rapprochements dans les trois ans, s'engagera une fusion des branches de moins de 5 000 salariés et de celles n'ayant pas négocié depuis plus de dix ans. Il existe encore une trentaine de branches ou les salaires minimaux sont inférieurs au Smic.

C'est un amendement de M. Robiliard qui instaure une représentation du personnel dans les réseaux de franchisés. Il n'a pas été débattu en séance, mais soulève une vraie question. Il concerne 350 000 salariés dans notre pays, qui ne bénéficient pas du principe énoncé à l'article 8 du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». Pour autant, cet amendement doit évoluer car sa rédaction n'est pas encore totalement satisfaisante, et le Gouvernement l'a retenu en pensant que le Sénat pourrait l'améliorer.

Nous posons la question du statut du particulier employeur et de la responsabilité sociale des plates-formes collaboratives envers les travailleurs indépendants qui y contribuent, mais la notion d'auto-employeur sera davantage abordée dans la loi que présentera M. Sapin.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion