Intervention de Didier Porte

Commission des affaires sociales — Réunion du 18 mai 2016 à 9h10
Instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs — Audition des représentants des organisations représentatives des salariés

Didier Porte, secrétaire confédéral du secteur juridique de Force ouvrière :

Ce projet de loi ne va pas dans le sens du progrès social. Il met par ailleurs au jour l'autoritarisme du Gouvernement qui, malgré le rejet du texte par les syndicats, par de nombreux salariés et par 70 % des Français, n'a pas hésité à recourir à l'article 49, alinéa 3, ce qui est un déni de démocratie.

Selon nous, il n'y a pas de déconnexion entre le projet de loi « Travail » et les politiques économiques globales menées par ce gouvernement qui a déjà accordé aux entreprises 100 milliards d'euros d'exonération sur trois ans, pour de très faibles résultats. Le projet de loi s'inscrit donc dans une logique libérale, dans le droit fil de la loi relative à la sécurisation de l'emploi, qui remettait en cause le contrat de travail, de la loi relative au dialogue social et à l'emploi, qui visait la représentation des salariés dans l'entreprise, et de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances, qui a instauré le travail dominical et réformé comme on le sait les prud'hommes.

Les questions sociales sont pour ce Gouvernement des variables d'ajustement, avec toujours plus de flexibilité pour les salariés. De ce point de vue, aucune étude ne dit que la déréglementation favorise la compétitivité et la création d'emplois. Même l'OCDE le dénie ! Par ailleurs, le code du travail n'a pas pour objectif de créer des emplois ou de sécuriser les employeurs.

Nous étions, à Force ouvrière, favorables à la réforme du code du travail -il ne convient aujourd'hui à personne !-, notamment dans une perspective d'adaptation face à la numérisation et à l'uberisation de la société. Selon nous, le droit du travail ne peut pas être simple. La nature ayant horreur du vide, si on allégeait le droit du travail, on mettrait de côté des dizaines d'années de jurisprudence et on irait droit vers une amplification du contentieux. Nous souhaitions, quant à nous, rendre le code du travail plus lisible et accessible, notamment pour les dirigeants de PME, mais à droit constant et dans le respect de la hiérarchie des normes. Cela n'a pas été accepté.

Pour ce qui concerne la méthode, nous constatons un problème de forme par rapport au respect de l'article L. 1 du code du travail. Mais le juge a tranché : il n'est pas de son office de s'immiscer dans le processus d'adoption d'un texte de loi. Pour autant, il n'a pas remis en cause le fond de notre contestation. Nous nous réservons donc le droit de poursuivre notre action.

La présentation du projet de loi a constitué une véritable rupture dans la façon de mener le dialogue social et par rapport aux principes républicains d'égalité des droits et d'égalité de traitement. Les salariés, qu'ils appartiennent à des TPE ou à de grands groupes, ont en effet aujourd'hui les mêmes droits, couverts par la convention collective ou l'accord de branche.

Ce projet de loi vise à instaurer la primauté de l'accord d'entreprise, ce qui entraînera l'inversion de la hiérarchie des normes, fera sauter le verrou de la branche et créera du dumping social ; on le voit d'ores et déjà à propos de la majoration des heures supplémentaires.

Cette nouvelle articulation est la remise en cause d'un principe républicain. Le code du travail sera allégé. De l'ordre public social et de l'ordre public absolu, on ne parlera plus. Tout cela est très flou et permettra de renvoyer une grande partie des droits vers l'accord d'entreprise.

Par ailleurs, le projet de loi n'aborde qu'un seul thème, sur les 61 principes essentiels énoncés dans le rapport Badinter. On imagine les dégâts que fera le groupe chargé de réécrire l'ensemble du code du travail !

On nous dit que le nouveau dispositif créera de la négociation collective. Or, si l'on se regarde ce qui s'est passé dans les pays qui ont procédé à la décentralisation de cette négociation, on constate que tel n'est pas le cas. En Espagne, entre 2008 et 2013, le nombre des accords d'entreprise est ainsi passé de 1 448 à 706, et celui des accords d'entreprise de 4 539 à 1 702. Quant au nombre de salariés couverts par une convention collective nationale, il a diminué, passant de 12 à 7 millions en Espagne et de 1,9 million à 328 000 au Portugal. Selon l'Organisation internationale du travail, la France se place au premier rang pour la couverture des salariés par une convention collective ou un statut : ce taux s'élève à près de 90 %. En Allemagne, seuls 60 % des salariés sont ainsi couverts. Par conséquent, la décentralisation affaiblit la négociation, du fait aussi des pressions et du chantage à l'emploi qui peuvent exister au sein de l'entreprise.

Nous réfutons également l'argument de la simplification de la législation. Prenons l'exemple du repos dominical, auquel le code consacre seulement trois articles : les dérogations à cette règle font l'objet de plus d'une cinquantaine de dispositions ! Cela montre bien qu'il n'y a pas sur ce point de volonté de simplifier.

Sur la dernière version du projet de loi, j'observe que, sur les 500 amendements retenus dans la version « 49-3 » du texte, la plupart sont purement rédactionnels et ne concernent pas le fond du texte. Nombre de dispositions n'ont même pas fait l'objet de discussions préalables.

Le Gouvernement aurait pu mettre en application l'une des recommandations de l'OIT, relative à la liberté de désignation des délégués syndicaux. Il n'en est rien !

L'amendement Sirugue prévoyant un droit de regard des branches sur les accords d'entreprise ne résout pas, selon nous, le problème de l'inversion de la hiérarchie des normes. Nous aurions préféré un véritable droit de veto des branches sur les accords d'entreprise signés qui ne correspondraient pas au principe de faveur ou à une amélioration des droits des salariés.

S'agissant des congés payés, le Gouvernement n'a pas profité de cette occasion pour mettre la législation française en conformité avec la directive européenne, notamment s'agissant de l'acquisition des droits en période de maladie ou le report des droits. Nous allons donc introduire un recours sur ce point.

Quant au motif spécifique de licenciement invoqué dans le cadre des accords de préservation de l'emploi, il s'agit toujours, selon nous, d'un licenciement sui generis, et non individuel pour motif économique au sens strict.

Enfin, il sera difficile de faire fonctionner le CPA tel qu'il existe aujourd'hui et le compte personnel de prévention de la pénibilité, le C3P. N'en rajoutons pas ! Loin de nous l'idée de construire une usine à gaz ; mieux vaut aller doucement pour que le CPA ne soit pas définitivement remis en cause.

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