L'examen de ce projet de loi a été précédé d'un certain nombre de concertations et nous avons tous été auditionnés dans le cadre de l'établissement de divers rapports. Comme tous les syndicats, nous avons apporté nos contributions écrites à ces travaux et avons indiqué, à cette occasion, les raisons de notre désaccord sur certaines idées avancées.
Nous sommes ainsi opposés au renvoi à la négociation d'entreprise, à l'affaiblissement de la branche et, par voie de conséquence, à ce qui est aujourd'hui qualifié d'inversion de la hiérarchie des normes. Cela revient à situer la négociation là où les syndicats sont les plus faibles et les salariés les moins bien représentés, avec, à la clé, de forts risques de dumping social. Les entreprises, elles-mêmes, sont très frileuses à l'idée de devoir porter certaines négociations, comme celle sur la rémunération des heures supplémentaires, percevant tout à fait les risques encourus. Les exemples à l'étranger, notamment le cas de l'Espagne, montrent les conséquences de telles évolutions : loin de développer l'emploi, elles engendrent une précarisation des salariés.
Pourquoi les partenaires sociaux ne déverrouillent-ils pas la négociation au niveau de la branche ?, s'interroge la ministre. Cette négociation apporte un élément de régulation que nous souhaitons voir maintenu afin de préserver les entreprises et l'emploi. Qu'un opérateur de taille importante vienne à réduire la rémunération des heures supplémentaires de ses salariés, et tous ses concurrents devront s'aligner, sous peine de disparaître. Ce ne serait avantageux ni pour les entreprises, ni pour les salariés, ni pour notre économie.
Ce projet de loi repose sur l'idée selon laquelle la réforme du code du travail permettrait de résorber le chômage et de développer l'économie. C'est un leurre ! Comme toutes les études le montrent, il n'existe aucun lien direct entre droit social et taux de chômage. Une réforme du code du travail peut être nécessaire, mais le prétexte avancé n'est pas le bon.
En revanche, nous sommes favorables aux accords majoritaires, dont la légitimité est renforcée. Mais nous jugeons incompréhensible le recours au référendum en cas de signature de l'accord par des organisations syndicales ayant recueilli entre 30 % et 50 % des suffrages exprimés. Le recours au référendum reviendra à percuter deux logiques, celle de la démocratie représentative et celle de la démocratie directe, ajoutant au contournement de la représentation des salariés un affaiblissement de la démocratie dans l'entreprise. Il obligera les salariés à répondre par oui ou par non à des questions parfois très complexes. Il présuppose que l'entreprise est un lieu de démocratie, où les salariés sont des citoyens libres et égaux, alors que ces derniers sont soumis à un lien de subordination. Nous défendons donc une évolution directe vers l'accord majoritaire, étant persuadés que les partenaires sociaux trouveront les moyens de construire les compromis nécessaires.
J'en viens à un sujet largement méconnu dans notre pays : le forfait jours.
Ce dispositif dérogatoire, qui n'est pas nouveau, consiste à mesurer le temps de travail, non pas en heures par semaine, mais en jours par an. Très mal connu et faiblement encadré sur le plan législatif, il engendre de très fortes contraintes sur les salariés. Bon nombre des conventions collectives ont été invalidées par la Cour de cassation au motif qu'elles ne respectaient pas le principe fondamental de garantie de la santé et de la sécurité des travailleurs. Ce dispositif doit être sécurisé par un meilleur encadrement législatif. Or, au-delà des quelques amendements retenus par l'Assemblée nationale, le dispositif demeure très insuffisant. Rien n'est prévu, par exemple, pour un salarié au forfait jours travaillant à temps partiel ; ce même salarié n'aura pas droit à une retraite progressive. Ces « petits détails » concernent tout de même près de 2 millions de personnes, qui, même si leurs heures ne sont pas formellement comptabilisées, travaillent plutôt autour de 45 heures par semaine. Ces salariés méritent un peu plus d'attention de la part du législateur !
Ce projet de loi offre aussi une bonne occasion de mettre le droit français en conformité avec le droit européen s'agissant des congés annuels, ce qui n'a pas été fait à cause du 49-3. Il faut aller plus loin que la prise en compte des arrêts de maladie pendant la période de référence : il faut reporter les congés annuels au-delà du congé de maladie. Cela n'a rien d'une révolution et je vous invite à considérer cette réforme avec bienveillance et attention.
Enfin, le CPA contient, en germe, une évolution forte pour le droit social dans notre pays. Cette évolution est en totale adéquation avec les aspirations des salariés, lesquels souhaitent gérer leur temps tout au long de la vie de manière plus autonome. Le projet de loi contient des mesures positives, comme le droit à l'accompagnement, mais il manque une strate pour donner au CPA tout son sens : il faudrait poser les fondations d'un véritable compte épargne temps, que les partenaires sociaux pourraient ensuite construire et affiner.