Intervention de Pierre Jardon

Commission des affaires sociales — Réunion du 18 mai 2016 à 9h10
Instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs — Audition des représentants des organisations représentatives des salariés

Pierre Jardon, secrétaire confédéral chargé du dialogue social au sein de la Confédération française des travailleurs chrétiens :

Lors de son congrès de novembre 2015, la CFTC affirmait : « Dans un monde en bouleversement, construisons un nouveau contrat social ». Désormais, les salariés ne peuvent plus envisager de mener toute leur carrière dans la même entreprise. Il faut leur apporter des réponses. Il est inconcevable qu'à chaque changement d'emploi, les acquis qu'ils ont obtenus par leur travail soient remis en question. C'est pourquoi, depuis plus de dix ans, la CFTC propose un statut du travailleur visant à attacher les droits, non plus au contrat de travail, mais à la personne. Il faut aussi accompagner les changements qui s'imposent à l'entreprise, par la formation professionnelle, la mobilité, etc.

Le monde de l'entreprise évolue avec la création de nouvelles formes d'activité et de métier ou le développement du numérique, qu'il convient de cadrer et d'accompagner. Dans ce monde en bouleversement, les entreprises doivent faire preuve d'adaptation, de réactivité et se mettre en capacité d'innover. Pour la CFTC, des entreprises en bonne santé sont des entreprises pouvant créer de l'emploi de qualité.

La réponse à tout cela se résume en un mot : la « flexisécurité », un concept visant à donner plus de flexibilité aux entreprises, tout en sécurisant le parcours des salariés. L'ANI du 11 janvier 2013 allait déjà dans ce sens ; le projet de loi tend à approfondir cette voie. La flexisécurité réside, non pas dans une opposition entre salariés et entreprise, mais dans un équilibre à trouver dans l'intérêt de tous et du bien commun. L'avant-projet de loi était très loin de répondre à cette exigence, comportant même des clauses totalement inacceptables à nos yeux. Pour toutes ces raisons, la CFTC a fait le choix de contribuer à l'évolution du texte. Nous avons été entendus sur certains points, et il convient de ne pas revenir sur ces avancées.

D'une manière générale, nous sommes favorables à la nouvelle architecture proposée pour le code du travail, le triptyque ordre public, champ de la négociation collective et dispositions supplétives offrant une meilleure visibilité, donc une meilleure appropriation par tous.

Nous sommes également favorables à la négociation dans l'entreprise. Toutefois deux règles essentielles sont à respecter : du fait de l'existence d'un lien de subordination, la négociation doit être menée par des salariés mandatés et formés par des organisations syndicales ; la branche doit en outre conserver un rôle de régulation. Cela implique qu'elle puisse décider des thèmes renvoyés à la négociation dans l'entreprise et le cadre dans lequel cette négociation peut avoir lieu.

La disposition prévue dans le texte issu de l'application de l'article 49-3 -la possibilité offerte aux branches d'établir un rapport sur l'état des accords d'entreprise et leurs effets sur les distorsions de concurrence- constitue certes un premier pas, mais insuffisant.

Le renvoi, dans certaines dispositions supplétives, au pouvoir unilatéral de l'employeur doit également attirer notre attention, car il remet en cause tout à la fois le rôle de régulation de la branche et la négociation d'entreprise que l'on cherche à développer.

Dans ce monde en bouleversement, il est essentiel d'attacher des droits à la personne, et non plus au contrat de travail. En cela, le compte personnel d'activité constitue une véritable révolution. Le projet de loi établit le socle de ce dispositif, que la négociation nous permettra de faire évoluer par la suite.

L'évolution de la validation des acquis de l'expérience, la VAE, est un autre élément positif à souligner, ainsi que la lutte contre le détachement illégal et le droit à la déconnexion.

Par ailleurs, il est un certain nombre de sujets sur lesquels nous avons obtenu gain de cause dans le cadre des consultations et nous ne voudrions pas d'un retour en arrière sur ces questions.

S'agissant du barème d'indemnisation des dommages en cas de licenciement abusif, nous peinons à comprendre les débats, démagogiques et malsains, que cette thématique a suscités. On peut entendre qu'il faille maîtriser le risque en cas de problèmes économiques, donc dans la perspective éventuelle de licenciements économiques. Mais la mesure envisagée se référait aux risques liés aux contentieux prud'homaux en cas de licenciement abusif, ce qui accrédite l'idée qu'il est tout à fait normal, pour une entreprise, de licencier un salarié sans cause réelle et sérieuse... De plus, dans le barème initial, il en coûtait moins de licencier un salarié en CDI qu'un salarié en CDD, ce qui se révélait totalement improductif. Il convient donc de ne surtout pas revenir à ce barème.

Sans m'appesantir sur l'évolution du texte en matière de temps de travail et de congés spécifiques, je saluerai certaines mesures très intéressantes, comme celles qui concernent le compte personnel de formation pour les jeunes décrocheurs ou, plus généralement, les dispositifs en faveur des jeunes et des personnes éloignées de l'emploi.

Il importe, comme je l'ai déjà souligné, de redonner à la branche son rôle de pivot - des amendements en ce sens seraient les bienvenus -, un rôle qui, d'ailleurs, pourrait être ajouté au nombre des grands principes posés dans le rapport Badinter pour la réforme du code du travail. Nous envisageons d'un oeil favorable la restructuration des branches, mais cette tâche revient aux partenaires sociaux, en toute connaissance de cause. On ne peut pas sans contradiction ôter aux branches les prérogatives qui leur permettent de jouer leur rôle de régulateur en renvoyant tout à la négociation d'entreprise.

Par ailleurs, il nous paraît dangereux de prévoir que les accords seront conclus pour une durée limitée à cinq ans. Nous pouvons partager l'objectif, s'il s'agit de redynamiser la négociation collective, mais la méthode n'est pas la bonne car, en cas d'absence de négociation ou de refus d'une des parties de renégocier le texte dans le délai de cinq ans, l'accord cesserait automatiquement de produire ses effets et les salariés ne seraient même plus en mesure de faire reconnaître des avantages individuels acquis. Le principe d'une clause de révision quinquennale des accords peut être inscrit dans le projet de loi, mais la limitation de leurs effets à cinq ans n'est pas souhaitable.

L'évolution du texte sur la question du licenciement économique mérite aussi d'être soulignée. Dès le départ, nous avons considéré que les difficultés économiques en cas de licenciement économique devaient s'apprécier au niveau du groupe, y compris si celui-ci a une dimension internationale.

Nous sommes favorables aux accords dits « offensifs », dont l'objectif est de mettre l'entreprise en condition d'innover et de répondre à de nouvelles perspectives qui s'offriraient à elle. Un salarié qui refuserait la modification de son contrat de travail serait désormais licencié pour motif économique. Il ne faut pas revenir en arrière sur ce point. Le projet de loi, dans sa version la plus récente, tend à prévoir la contribution des salariés, mais aussi des actionnaires de l'entreprise. Le texte mérite néanmoins d'être amendé afin d'y intégrer un principe de juste retour pour tous, dès lors que l'entreprise s'est développée.

Nous évoquons ici les accords de préservation ou de développement de l'emploi. Le recours au terme « préservation » engendre une confusion avec les accords de maintien de l'emploi, signés dans un tout autre contexte, quand l'entreprise rencontre des difficultés économiques.

Enfin, nous jugeons indispensable de revoir les mesures relatives à l'inaptitude. Il est effectivement prévu qu'un salarié inapte puisse être licencié pendant son arrêt de travail ou, s'il fait l'objet de mesures de reclassement, en cas de refus d'une seule proposition.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion