Vos questions le démontrent, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi soulève plus d'interrogations qu'il n'apporte de réponses ! Plus de 5 000 amendements ont été déposés à l'Assemblée nationale et, à votre tour, vous allez profondément modifier le texte. Cela prouve son caractère inabouti et plaide en faveur de notre proposition : prenons le temps, dans le cadre d'un véritable dialogue social, de revenir sur chacune des questions que vous posez.
Vous posez la question, monsieur Lemoyne, de l'inversion de la hiérarchie des normes. Nous sommes d'accord sur un point : nous n'avions effectivement pas signé l'accord de 2001, car nous étions déjà en désaccord profond avec la vision du dialogue social et de la hiérarchie entre loi, accord de branche et accord d'entreprise qu'il exprimait et qui se retrouve dans le présent projet de loi.
Cette inversion répond à la politique européenne sur ce sujet. Des syndicalistes d'autres pays européens nous ont d'ailleurs fait parvenir leur soutien ; selon eux, la France est l'un des derniers remparts contre la modification en cours du dialogue social et du rapport entre employeurs et salariés. Ils nous envient la possibilité, absente chez eux, de protéger le salariat par la voie législative.
Quant aux nouvelles règles de validité des accords d'entreprise, après la position commune que nous avions élaborée dans la concertation, en 2001, il aurait été possible d'instituer très rapidement le principe de la signature par les syndicats représentant plus de 50 % des salariés. Or, depuis lors, s'est produit un changement majeur, avec une campagne incessante du Medef en faveur de la baisse du coût du travail, liée au souci affiché de compétitivité et à la financiarisation de l'économie. Si ce dogme devait être retenu, plus aucune négociation, qu'elle soit menée au niveau de la branche ou de l'entreprise, ne pourrait améliorer la condition du salarié : l'objectif du grand patronat est en effet de pratiquer le dumping social en faisant baisser à tout prix le coût du travail jusqu'à ce qu'un salarié français ne soit pas plus payé, peut-être, qu'un salarié sri-lankais, alors même que notre économie reste essentiellement contenue dans les frontières de l'Union européenne.
Il n'est donc pas impossible, à nos yeux, de mettre en oeuvre dès maintenant le principe de l'accord d'entreprise majoritaire, à la condition toutefois de fixer à la négociation d'autres objectifs : non pas l'argent, mais le progrès humain.
J'en viens à la démocratie sociale et à la citoyenneté d'entreprise. S'il existe aujourd'hui des problèmes autour de la représentation des salariés dans l'entreprise, c'est bien parce que les représentants du personnel et, plus largement, les syndiqués ne sont pas assez protégés. On assiste à une montée de la criminalisation de l'activité syndicale. Les salariés ont donc peur de se syndiquer, d'autant que le salariat est toujours plus précaire. Assurons une meilleure reconnaissance du syndicalisme dans l'entreprise, faisons en sorte que les élections se passent bien et que les employeurs jouent le jeu, les dysfonctionnements étant pour l'heure trop nombreux : les organisations syndicales pourront alors jouer leur rôle et le taux de syndicalisation ainsi que la représentativité des syndicats augmenteront considérablement.
Cela m'amène à la question du mandatement dans les PME. Nous n'y sommes pas favorables. Le mandatement est inefficace et complexifiera les relations dans l'entreprise. En revanche, lors de la négociation qui avait précédé, l'an dernier, la loi Rebsamen, nous avions fait des propositions sur la base d'accords signés tant par les organisations syndicales, y compris la CGT, que par l'Union professionnelle artisanale. Il s'agissait notamment de créer des commissions locales pour assurer au mieux la gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences, à laquelle nous sommes favorables. Nous privilégions la formation de réseaux de bassin ou de branche qui puissent assurer une réelle représentation des salariés. De telles propositions sont, selon nous, de nature à améliorer le dialogue social dans ces entreprises, mais le patronat n'en a pas voulu lors de ces négociations et la loi Rebsamen ne les a pas reprises.
J'en viens à la médecine du travail. Nous ne sommes pas favorables aux dispositions du projet de loi dans ce domaine. Nous rejetons en particulier les certificats d'aptitude et la sélection de prétendus salariés à risque. Nos propositions autour du plan santé-travail, issues d'un long processus de concertation, d'un avis du Conseil économique, social et environnemental et de réflexions du Conseil d'orientation des conditions de travail, avaient reçu le soutien unanime des syndicats. Mme la ministre nous avait assuré qu'elles seraient reprises dans le projet de loi.
Notre conception de la santé au travail repose sur le triptyque santé-travail-environnement. La majorité des problèmes de santé, souvent extrêmement coûteux pour notre système de protection sociale, proviennent du travail, de la mauvaise hygiène de vie ou de la pollution de l'environnement. Il faut s'attaquer à ce triptyque pour assurer ce que nous appelons le développement humain durable. Cela passe par une prévention systématique et non, comme la politique actuelle le préconise, par la gestion de risques ou les réparations. C'est pourquoi le C3P est à nos yeux un pis-aller ; on pourrait le faire disparaître s'il existait une vraie politique de prévention. Cela passe aussi par la solidarité intergénérationnelle et par l'application du droit à l'ensemble des travailleurs et des citoyens. Nous attendons de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous rouvriez le débat sur ce point et que vous fassiez en sorte que le Gouvernement respecte les engagements qu'il avait pris.
Pourquoi le C3P n'existe-t-il pas encore ? C'est bien parce que les patrons n'en ont pas voulu. Les organisations syndicales en ont arraché le principe dans la douleur lors de la dernière réforme des retraites mais immédiatement après sa création, on a cédé à la pression patronale pour renoncer à identifier les situations pénibles au travail au profit de référentiels de branche. Or personne ne s'affole de cette obstruction patronale ! Comment peut-on donc gérer un référentiel de branche, alors que les situations diffèrent d'une branche à l'autre et que le CPA a pour objectifs l'universalité, la portabilité et la reconnaissance des situations pénibles tout au long de la vie ? Cela me semble contraire à la philosophie de la sécurité sociale professionnelle. La pénibilité doit être réparée, même si cela coûte aux employeurs ; au final, elle doit disparaître grâce à une politique de santé publique et de prévention.
Bien des choses sont à revoir quant au CPF. Ce dispositif va dans le bon sens ; nous défendons la portabilité. Néanmoins, c'est une usine à gaz du fait de la création de listes de formations professionnelles incompréhensibles pour les salariés et les personnes privées d'emploi. On a en effet refusé de présenter le CPF comme un dispositif ayant pour objectif la qualification, car cela mènerait à la classification des salaires, alors que notre société érige en dogme la baisse du coût du travail.
Enfin, nous sommes favorables à l'ouverture du débat sur l'apprentissage. Nous demandons au Gouvernement, depuis deux ans et demi, la tenue d'assises de l'alternance. L'apprentissage et la formation en entreprise des élèves de lycée professionnel posent la question du contrat de professionnalisation. La formation par insertion ne peut pas être confondue avec la formation initiale par apprentissage. L'apprentissage dans l'enseignement supérieur est aujourd'hui le seul à se développer. Ce sujet mérite bien un débat citoyen public national.