Intervention de Véronique Descacq

Commission des affaires sociales — Réunion du 18 mai 2016 à 9h10
Instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs — Audition des représentants des organisations représentatives des salariés

Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la Confédération française démocratique du travail :

Sur l'articulation entre les différents niveaux de négociation - loi, accord de branche et accord d'entreprise -, j'avoue partager la vision exprimée tout à l'heure par M. Lemoyne : le mouvement visant à donner plus de poids aux négociations d'entreprise est ancien. Je le ferai même remonter à 1968 : la CFDT entendait alors rendre la parole aux salariés sur le terrain et leur donner la possibilité de s'organiser au sein de sections syndicales d'entreprise. Pour la première fois s'exprimait alors l'idée que c'est à ce niveau que doivent se nouer des accords dans l'intérêt bien compris tant des entreprises que des salariés, sans que soient remises en cause les protections offertes par le code du travail ou le rôle de régulation de la branche. On franchit aujourd'hui une étape supplémentaire sur ce chemin.

Nous considérons que, dans sa rédaction actuelle, le présent projet de loi ne remet pas en cause le rôle de la branche, mais le réaffirme. La redéfinition des rôles respectifs des accords de branche et des accords d'entreprise ne concerne, dans le projet de loi, que la question du temps de travail. Sur ce sujet comme sur l'organisation du travail, il nous semble légitime que la négociation se joue au plus près du terrain. Certes, de telles négociations peuvent déjà se tenir, depuis 2004, mais des verrous subsistent au niveau de la branche. Quand d'autres parties du code du travail feront l'objet d'un nouveau travail législatif, nous verrons bien le rôle majeur de régulation de la branche. Nous n'avons donc pas d'inquiétudes à ce sujet, d'autant que le texte crée des commissions chargées d'établir le bilan de la négociation collective de branche.

Quant au mouvement vers les accords majoritaires d'entreprise, vous suggérez de le ralentir encore en procédant par étapes. Nous avons adopté en 2008 sur ce sujet une position commune avec, en particulier, la CGT, dans l'idée de changer progressivement de culture. Une étape a déjà été franchie en matière de culture de l'engagement dans le syndicalisme. Toutes les organisations syndicales, quelles que soient leurs positions dans le débat national, signent des accords d'entreprise quand elles sont confrontées aux besoins tant des entreprises que des salariés.

Le temps est venu d'aller jusqu'au bout de la logique de la culture de l'engagement. En France plus qu'ailleurs, cette question des accords d'entreprise provoque une forte crispation. On se méfie toujours de la négociation, jugée inapte à produire de bons compromis alors que les conflits seraient seuls capables de faire avancer les droits des salariés. Les vingt dernières années ont pourtant montré à quel point cette conception était fausse ! C'est la négociation, qu'elle soit d'entreprise, de branche ou nationale interprofessionnelle, qui a permis la création de nombreux nouveaux droits pour les salariés : droits rechargeables à l'assurance-chômage, CPF ou encore C3P.

Ce dernier représente une réponse au défi du déséquilibre des régimes de retraite et, plus largement, de l'allongement de la durée de vie en bonne santé. Tout en acceptant de tous travailler plus longtemps, nous devions prendre en considération la situation des salariés qui, du fait de leur travail, ne jouissent pas d'une aussi bonne santé que les autres. Le C3P permet de ce point de vue à la fois la prévention et la réparation. Il prévoit en effet non seulement un volet formation, qui permet d'échapper aux situations de travail pénible, mais aussi un outil de réparation par le biais d'un départ anticipé à la retraite.

Il n'y a aucune raison de craindre que les acquis obtenus par la négociation en entreprise soient inférieurs à ceux rendus possibles par la négociation aux autres échelons. Il faut simplement changer la culture de l'engagement, tant dans les organisations patronales que dans les syndicats. L'articulation nouvelle présentée dans ce projet de loi nous séduit. Par ailleurs, rien n'interdit de retoucher à la marge cette formule au regard du bilan, prévu en 2019.

Nous soutenons donc ce mouvement vers l'accord majoritaire d'entreprise, ainsi que l'articulation entre démocratie représentative et démocratie directe permise par le référendum. Cette dernière initiative est audacieuse mais intéressante : elle mérite donc d'être expérimentée. Il n'y a pas en effet à mes yeux de contradiction entre la capacité des organisations syndicales à représenter les salariés et la possibilité de recourir, parfois, au mécanisme du référendum pour valider un accord ayant recueilli, par exemple, le soutien des représentants de 49 % du personnel. Plutôt que de s'en remettre dans ce cas à une décision unilatérale de l'employeur, il serait bon de pouvoir demander aux salariés ce qu'ils en pensent. Il ne s'agit pas de leur poser une question vague ou de les manipuler ; les organisations syndicales prendraient plutôt le risque de leur soumettre un accord préalablement négocié. Cela ne serait d'ailleurs que rarement nécessaire.

Ce mécanisme correspond quelque peu à votre proposition relative aux commissions paritaires. Je doute qu'il faille renforcer leur rôle par la loi. Cela reviendrait à remettre en cause la légitimité de la mesure du principe de faveur en donnant à la branche un droit de censure a posteriori sur les accords d'entreprise. Si ce système ne fonctionne pas aujourd'hui, c'est bien parce qu'il est inefficace et inutile.

J'en viens au problème de la négociation au sein des très petites entreprises, ou TPE. On souligne à juste titre l'insuffisance de la représentation des salariés de ces entreprises. Vous indiquez, monsieur Gabouty, que le dialogue dans ces entreprises repose parfois sur des accords de fait non formalisés, une bonne volonté et une bonne entente généralisées. Je n'y crois guère pour ma part, en raison du lien de subordination qui subsiste. La bonne entente ne peut pas se présumer sans intermédiation d'une organisation syndicale ou d'un représentant élu du personnel.

Il faut mettre en oeuvre certains dispositifs pour assurer le droit constitutionnel de ces salariés à être représentés. La loi Rebsamen va dans ce sens, par la création des commissions paritaires régionales, mais les attributions de ces dernières sont limitées. C'est une bonne idée que de permettre l'adaptation des règles dans les TPE au bénéfice des employeurs comme des salariés. Cette adaptation pourra s'opérer au travers du mandatement, auquel s'ajoutent les accords types négociés au niveau de la branche. Que demander de mieux ? Cela représente une simplification bienvenue pour ces entrepreneurs, qui n'ont pas toujours les compétences requises pour négocier des accords complexes. Mandatement, représentants du personnel, accords types : voilà un triptyque qui va dans le bon sens.

Nous espérons aussi un changement de culture majeur de la part de certains patrons. Sans connaissance directe des organisations syndicales, ils s'en font une idée largement erronée et croient qu'un salarié qui se syndiquerait ferait entrer la lutte des classes dans leur entreprise et ne viserait qu'à la détruire. C'est pourtant le contraire qui se passe ! Les salariés syndiqués sont mieux formés pour comprendre les enjeux économiques, sociaux et médicaux en jeu dans l'entreprise. Ils apportent une valeur ajoutée sous-estimée par de nombreux chefs d'entreprise et permettent un véritable dialogue social. L'extension du mandatement aux TPE peut contribuer à ce changement de mentalité ; ainsi, bien des patrons de moyennes entreprises se rendent à présent compte que le dialogue social sauve des entreprises. Il permet en effet d'anticiper certains problèmes, de discuter de la stratégie de l'entreprise et de surmonter des difficultés majeures.

Vous avez présenté à raison le CPA, monsieur Forissier, comme la compilation de trois comptes. Le mot de « fongibilité » est absent de ce projet de loi comme du relevé de conclusions signé par les partenaires sociaux, le patronat s'étant opposé à son inclusion, mais il s'imposera nécessairement car ces comptes ont vocation à fonctionner ensemble dans l'objectif commun de la sécurisation des parcours professionnels. Il y a d'ailleurs des points de convergence entre le CPF et le C3P : tous deux prévoient des possibilités de financement de formations. Il est par ailleurs faux de dire que le C3P n'est pas appliqué ; il l'est en effet pour six des dix critères prévus par la loi. Certains sujets doivent certes encore être tranchés par la négociation. La CFDT y exprimera sa volonté de simplification pour rendre ces droits effectifs. Il s'agit en effet de droits essentiels pour les salariés, en particulier pour ceux qui sont exposés à des risques professionnels.

Vous préférez parler, monsieur Forissier, de statut des actifs plutôt que de statut des travailleurs. Vous avez raison, du moins en ce qui concerne le CPA. Limiter celui-ci strictement à l'activité professionnelle serait en effet réducteur, du fait notamment de l'allongement de la durée de vie en bonne santé et de la complexification des parcours. Le passage de l'activité à la retraite se fera de façon toujours plus progressive et multiforme. Les activités militantes ou associatives jouent aussi un rôle croissant et peuvent nécessiter l'accès à des formations spécifiques.

Quant à l'apprentissage, c'est une énigme française. Les réformes se succèdent à un rythme effréné. On peine à comprendre pourquoi un dispositif si pertinent sur le papier, qui paraît utile à tous les jeunes comme aux entreprises, ne fonctionne pas. Il est probable que la gouvernance, sur ces questions, est un peu trop complexe ; l'État, les régions et les partenaires sociaux devraient se pencher sur ce problème, sur lequel la CFDT est extrêmement mobilisée.

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