Avons-nous, monsieur Lemoyne, quinze ans de retard pour ce qui est de la négociation d'entreprise ? Je vous répondrai : ne regardons pas le passé, regardons l'avenir. Nous croyons pour notre part à la subsidiarité et à la négociation au plus près des réalités du terrain.
Concernant les nouvelles règles sur la conclusion d'accords majoritaires, qui se substituent au droit d'opposition existant, nous ne sommes pas forcément opposés à une approche par paliers. En revanche, si les organisations syndicales minoritaires sont privées du droit d'opposition, elles doivent néanmoins pouvoir continuer de jouer leur rôle. Il est dès lors légitime de leur donner la possibilité de déclencher un référendum. Mon expérience de syndicaliste issu du monde agricole et forestier me fait apprécier ce changement de dispositif : nous avions signé un accord d'entreprise prévoyant que l'employeur prenne à sa charge 90 % des coûts de la mutuelle santé -un très bel accord !-, mais une organisation syndicale majoritaire avait fait valoir son droit d'opposition, ce qui l'avait bloqué. Il faut abandonner ces façons d'agir et faire avancer le débat dans l'entreprise en levant des freins plus politiques que pragmatiques.
Nous émettons en revanche des réserves quant à la conclusion d'accords d'entreprise par des salariés élus en l'absence d'organisations syndicales. Il est, selon nous, indispensable que les participants à la négociation d'entreprise soient accompagnés et formés. Le mandatement a un sens dès lors que l'organisation mandataire accompagne les personnes qu'elle désigne. La négociation ne s'invente pas ! Rencontrant chaque jour des élus non syndiqués, nous constatons leurs carences : ils sont de bonne foi et de bonne volonté, mais sont limités par une absence de soutien juridique et d'accompagnement technique.
Je connais très bien les TPE. J'y vois tous les jours des employeurs et des salariés de bonne foi, qui savent s'entendre. Mais quand un différend quelconque survient entre eux, cela se termine aux prud'hommes, car leurs pratiques étaient complètement « en dehors des clous »... Une telle situation n'offre aucune sécurité, à l'entreprise comme au salarié.
Le mandatement peut constituer une solution à ce problème, même si les petites entreprises craignent aujourd'hui qu'un syndicat ne vienne ainsi mettre sa patte dans leurs affaires. Le présent projet de loi apporte aussi une autre réponse : l'accord type, au travers duquel se manifeste la mission de service des branches. Celles-ci ont déjà la possibilité de prévoir dans leurs différents accords des dispositions spécifiques aux TPE par le biais d'accords types que le chef d'entreprise peut reprendre à son compte.
J'en viens aux commissions paritaires permanentes. Nous appelons de nos voeux depuis bien longtemps la mise en place de ce type de structures, que nous souhaitons encore renforcer. Les lois Auroux, qui ont donné la personnalité morale aux comités d'entreprise, auraient dû aller plus loin en la conférant aux branches. Nous avons aujourd'hui l'occasion de donner une personnalité morale à ces commissions, donc une adresse et un téléphone. En effet, à l'heure actuelle, on ne sait trop comment faire quand on veut s'adresser à une branche. L'instauration de commissions paritaires permanentes dotées de la personnalité morale créerait un tel interlocuteur.
Certaines branches ne sont toujours pas dotées de commissions paritaires d'interprétation ; dans d'autres, ces commissions fonctionnent irrégulièrement. Les rendre permanentes et élargir leur champ d'action, comme le fait ce projet de loi, devrait améliorer la situation. La restructuration des branches y contribuera également. Il faudra néanmoins suivre la qualité de leur travail. Il serait possible d'aller encore plus loin, par exemple en confiant aux branches, comme mon collègue l'a suggéré, des missions de service public auprès des TPE.
Concernant le CPA, il s'agit bien à nos yeux du regroupement de trois comptes. Nous demandons justement la fongibilité entre ces comptes pour les rendre plus opérationnels et faciliter les transitions professionnelles et la mobilité. Nous nous félicitons par ailleurs de l'élargissement dans le temps du champ du CPA, de seize ans au décès. Nous préférons nous aussi parler de statut d'actif plutôt que de statut de travailleur, vocable insuffisamment large. Notre volonté est au final de faire évoluer le CPA par la négociation, dans le cadre fixé par la loi, pour répondre à vos préoccupations concernant les retraités ou l'attachement de droits à la personne plutôt qu'au contrat de travail.
Quant au compte engagement citoyen, monsieur Forissier, vous regrettez que son cadre soit insuffisamment précis ; il nous semble néanmoins que certains dispositifs sont clairement cités, même s'ils méritent peut-être d'être précisés.
Le C3P constitue un autre gros sujet. On le dit inapplicable, notamment dans les TPE. Si tel est le cas, faisons-le évoluer. La pénibilité est une question débattue depuis des décennies et à laquelle on n'a jamais su trouver de réponse. Le C3P a le mérite d'exister et de proposer une solution : ne supprimons donc pas le principe de la prévention et du traitement de la pénibilité. Les référentiels, qui peuvent être négociés au niveau de la branche, offrent tout de même un outil utile pour les TPE.
Sur l'apprentissage, je partage l'avis de mes collègues. C'est un vrai tremplin vers des emplois qualifiés et pérennes. Pour autant, il faut reconnaître qu'il existe aujourd'hui certains freins au développement de l'apprentissage, qu'il convient de considérer sans démagogie pour trouver des solutions. On impose souvent des règles trop strictes ; ainsi, il était à une époque interdit à l'apprenti de monter sur un escabeau ! Comment voulez-vous apprendre un métier s'il vous est impossible de participer pleinement aux activités de l'entreprise ? S'il faut un cadre pour garantir la santé et la sécurité des apprentis, il ne faut pas, en revanche, les empêcher d'exercer l'activité même qu'ils sont censés apprendre.