Intervention de Patrick Pouyanné

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 mai 2016 à 9h30
Audition de M. Patrick Pouyanné président-directeur général de total

Patrick Pouyanné :

Je connais la Lozère, pour y avoir été envoyé comme jeune polytechnicien... Les têtes d'oeuf qui passent leur temps à faire des mathématiques sont envoyées là au grand air !

L'efficacité énergétique est un impératif, nous cherchons en particulier à mettre au point des produits moins émissifs, comme le carburant Excellium, ou garantissant une moindre consommation. C'est ce que les clients demandent... Dans notre centre de recherche près de Lyon, 300 chercheurs y travaillent.

Le groupe a versé 950 millions d'impôt à l'État en 2014. Encore n'a-t-il pas payé d'impôt sur les sociétés cette année-là : ce sera davantage en 2015. Contribution économique territoriale, taxe sur les salaires, sur les dividendes, etc. : nous sommes la société française la plus taxée ! Nous payons des impôts en Angola, au Nigéria, là où nous produisons et gagnons de l'argent. La territorialité de l'impôt est un principe de base. Mais nous nous battons pour que nos activités industrielles en France soient rentables !

Je n'ai rien contre l'hydrogène. J'écoute avec intérêt Benoît Potier, qui présente le moteur à hydrogène comme la voie de l'avenir. Cela renvoie à la pile à combustible, à la batterie. Il faut reconnaître que Toyota a pris le sujet à bras le corps, or il a abandonné le véhicule électrique pour l'hydrogène. En matière de R&D, nous ne travaillons pas sur cette question, plutôt sur le stockage de l'énergie. Si j'ai acheté Saft, c'est bien pour cela.

Nous avons soutenu la mission Borloo en Afrique, comme beaucoup d'autres groupes français. Mais pour assurer l'accès à l'énergie, faut-il créer un grand réseau ? Ou nous inspirer de ce qui s'est produit dans la téléphonie ? Ce sont les mobiles qui ont transformé la vie et les échanges sur le continent. L'Afrique représente 30 % de l'activité du groupe, c'est pour nous une zone fondamentale, où nos concurrents anglo-saxons sont parfois discrets car ils ont une certaine crainte de ce continent, où nous avons, nous, tout un pan de notre histoire. Je crois beaucoup au développement de ce continent. Nous étudions comment promouvoir le solaire, par exemple avec des lampes à énergie solaire vendues entre 10 et 20 euros - il s'en est vendu déjà 1 million. Elles sont utilisées pour l'éclairage... mais aussi comme chargeurs de téléphones ! Lorsque je rencontre les dirigeants de pays africains, je plaide pour un abaissement des taxes à l'importation de ces lampes. Il ne s'agit pas de mécénat mais de business sociétal favorisant l'accès à l'énergie.

La fracturation pour extraire le gaz de schiste crée des fissures, certes, mais celles-ci se referment rapidement : elles ne pourraient nullement servir au stockage du gaz. Mieux vaut chercher du côté des vieux réservoirs, comme nous l'avons fait près de Lacq, pour stocker du CO2. Mais les autorités administratives nous demandent d'apporter la preuve que le stockage ne va pas fuir pendant mille ans : je ne peux la fournir !

Un mot de nos activités de mécénat. Il n'y a pas seulement la fondation d'entreprise mais aussi la fondation du patrimoine. Nous menons des actions en direction des jeunes, des PME - Total investit dans le développement régional - auxquelles nous apportons un soutien à l'innovation, aux exportations... Ainsi 150 PME sont aidées, dans les bassins d'emploi où nous avons mené des restructurations, mais pas seulement.

Nous n'avons pas de « stratégie insulaire ». Mais nous maintenons la distribution de carburant dans les Antilles, à Mayotte, à La Réunion, dans les îles du Pacifique, même si cela est souvent compliqué. Pour la production, nous rencontrons parfois un problème de permis minier, comme en Guyane. Cependant le Gouvernement nous a saisis d'un dossier que nous sommes en train d'étudier.

Lorsqu'une assemblée générale se prononce, il faut l'écouter, c'est une question de démocratie actionnariale. Je l'ai dit aux patrons du CAC40, s'il n'y avait pas d'autre moyen qu'une loi pour faire respecter ce principe, on entrerait en terrain dangereux. Les groupes quitteraient la France, localiseraient leurs sièges sociaux ailleurs : ce n'est pas une menace que je formule, c'est ce qui se passerait à coup sûr. En Grande-Bretagne, le salaire du dirigeant de BP a été augmenté de 20 % alors que le groupe accusait des pertes : l'AG a refusé cette augmentation, et tout le monde a fait preuve de bon sens.

Nous ne sommes pas experts en micro-algues. Nous investissons 500 millions de dollars par an dans les énergies renouvelables, et 1 milliard pour acheter Saft, c'est une somme. Nous avons un vrai commitment, non pas de consacrer aux renouvelables 2 % des capitaux du groupe, mais d'atteindre 20 % dans vingt ans. Car nous pensons que là se trouvent les relais de croissance. Étudier l'intérêt des éoliennes, pourquoi pas, mais nous avons écarté il y a cinq ans les éoliennes offshore, à cause du coût de maintenance, sachant que la fiabilité des équipements est de 80 %. La ministre britannique reconnaît du reste que le coût de l'électricité est à plus de 150 euros le mégawatt. Les investissements et l'entretien sont onéreux. En France, un des facteurs de compétitivité est le coût bas de l'énergie. Le coût du travail ne sera jamais avantageux, nous le savons. Mais ce mix énergétique qui garantit un prix bas de l'énergie attire les industriels, il faut donc veiller à ce qu'il ne se renchérisse pas.

Les pétroliers européens ont l'an dernier appelé les gouvernements à mettre en place une taxation des émissions de CO2. Accusés de tous les maux, nous préférons prendre le problème à bras le corps et profiter de notre capacité de recherche et d'innovation. Pour que le gaz émerge contre le charbon, il n'y a pas d'autre solution que de tarifer le CO2. Voyez les Allemands qui ont remis en service des centrales à charbon. La Grande-Bretagne a créé cette taxe et les résultats ne se sont pas fait attendre : à 20 ou 25 euros la tonne, toutes les centrales à charbon s'arrêtent ! Dans tous nos projets d'investissement, nous étudions les scénarios avec une taxe à 30 euros. Encore faut-il, pour qu'un marché des émissions se développe, qu'il soit régulé par une vraie autorité, non par la Commission européenne ou le Conseil des ministres européens, parce que les lobbies sont actifs, mais par un régulateur indépendant, avec un tarif progressif, jusqu'à 100 euros - à partir de 30 ou 40 euros, le rapport entre gaz et charbon bascule, la R&D commence à s'activer.

La ville de Pau fait partie de l'histoire du groupe, avec Elf à Lacq. Le centre de recherche de Pau compte 3 000 ingénieurs, je me sens une responsabilité particulière dans cette région - dont je suis, de plus, originaire. Nous sommes sponsor de la section paloise, prenant en charge 30 % de son budget. Mais je l'ai dit clairement en souriant : « soit vous êtes champions, soit nous partons ».

Le CIR est l'outil fiscal français le plus efficace. Avoir des centres d'intelligence, des start up, c'est excellent pour l'avenir du pays ! Les grands groupes ont-ils besoin de ce crédit d'impôt ? Nous en bénéficions à hauteur de 70 millions d'euros par an. S'il n'existait pas, peut-être envisagerions-nous d'installer nos centres en Inde, par exemple, où les talents sont brillants. Il y a une compétition internationale sur ce créneau comme sur les autres. Je déplore le débat récurrent sur le CIR, qui fait planer une incertitude peu propice à attirer les investisseurs. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

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